Si bien des maux menacent la santé des humains, les médecins de la Renaissance savaient aussi que les femmes étaient encore plus accablées que les hommes. L’accouchement était souvent, en effet, un moment bien périlleux, imposant un savoir pratique solide issu de la tradition mais aussi de nécessaires innovations.

 

En 1580 paraît à Francfort une édition latine posthume du traité De conceptu hominis du médecin zurichois Jacob Rueff (1500-1558), la première datant de 1554, suivie d’une traduction en allemand la même année. Dans la version de 1580, une image, absente des éditions précédentes, est insérée : une scène d’accouchement. La parturiente est entourée de trois femmes, des hommes, astrologues, font l’horoscope du bébé dans le fond de la salle.(1) Au premier plan, la parturiente est assise sur un siège dont elle serre les accoudoirs de ses mains, s’y appuyant durant l’effort de l’enfantement.

Deux femmes se tiennent auprès d’elle, qui l’encouragent et la réconfortent. La sage-femme, assise sur un tabouret très bas en face de la femme en travail, tourne le dos au lecteur, sa main droite accomplissant les manoeuvres de l’accouchement. Un linge couvre les parties intimes de la femme en travail et une chemise la partie supérieure de son corps. À droite de la sage-femme, on peut voir un baquet rempli d’eau et, à gauche, une table avec des objets utiles lors d’un accouchement. Le lit est prêt pour recevoir la parturiente.

 

Le neuvième mois, le foetus n’arrive plus à se nourrir

Cette scène est insérée dans le chapitre 2 du premier livre de l’oeuvre de Rueff, qui traite de la conception de l’enfant par le mélange des semences des deux parents, et qui présente le sang menstruel de la femme comme un excrément à évacuer tous les mois lunaires.(2) L’image aurait peut-être néanmoins trouvé une meilleure place dans le troisième livre, qui s’ouvre par l’analyse du moment “opportun” de l’accouchement, au neuvième mois, et des douleurs de l’enfantement.

C’est en effet au neuvième mois que le foetus n’arrive plus à se nourrir correctement, d’une taille trop grande pour la quantité de nourriture qu’il peut absorber par les petites veines et le cordon ombilical qui le relient à sa mère. C’est pourquoi, dans un grand effort, il déchire les membranes qui l’enveloppent.

La sage-femme connaît bien les signes annonciateurs de cet événement, parmi lesquels le plus marquant est indubitablement la douleur de la mère.(3) Les membranes rompues, les fluides sortent de l’utérus, dit Rueff, et l’enfant, libéré des liquides, commence à sentir l’air qui entre dans la matrice. Il essaie donc de sortir du ventre de sa mère, la tête vers le bas, les bras le long du corps si l’enfantement est naturel.(4) S’il n’y a pas de complications, la sage-femme fait asseoir la parturiente sur le siège obstétrical, couverte d’un linge pour la protéger des regards. Une assistante de la sage-femme soutient la femme en couches assise sur le siège, et s’il arrive que les douleurs soient trop fortes, elle peut poser ses mains sur le ventre de cette dernière et pousser doucement le foetus.

 

Graisse de poule pour oindre les parties intimes

En même temps, la sage-femme utilise des huiles d’amande et de lys, ainsi que de la graisse de poule, pour oindre les parties intimes de la femme et favoriser la sortie du bébé par des manoeuvres internes. L’enfant né, la sage-femme coupe le cordon ombilical et s’occupe de l’arrière-faix (placenta).(5)

Ce que nous lisons chez Rueff s’inscrit dans une longue tradition qui remonte à l’Antiquité. En effet, cette scène d’accouchement a plusieurs points communs avec ce que nous lisons dans le traité Maladies des femmes de Soranos d’Ephèse (né dans la seconde moitié du Ier siècle après Jésus-Christ), l’un des livres les plus importants dans l’histoire de la gynécologie. […]

La sage-femme de Soranos ne regarde pas avec insistance les parties génitales de la parturiente et calme ses appréhensions. Cette dernière ne porte pas de ceinture, pour mieux respirer et redoubler d’efforts au moment des douleurs, les cheveux dénoués pour le bien-être de la tête.(9) La présence des assistantes et leurs gestes, le siège obstétrical, les produits et les manoeuvres de la sage-femme présentent une grande proximité avec ce que nous lisons chez Rueff, mais aussi chez d’autres auteurs qui traitent de gynécologie et d’obstétrique. Le Der Swangern Frauwen und Hebammen Rosegarten d’Eucharius Roesslin (1513) est traduit en latin et dans plusieurs langues vernaculaires : la version française de 1536 montre l’image du siège obstétrical, alors que le texte explique comment l’utiliser en suivant la tradition de Soranos.(10) Mais que doit-on faire si l’enfant ne se présente pas de façon naturelle ?

La sage-femme peut intervenir par des manoeuvres de redressement du foetus dans le ventre et, si les espoirs de sauver l’enfant sont faibles, elle peut se servir de l’eau dont elle dispose pour ondoyer le foetus de ses propres mains.(11) En cas de mort de l’enfant mais non de la mère, c’est souvent le chirurgien qui intervient avec des tenailles et des crochets qui permettront d’extraire le foetus.

 

Extraction d’enfants morts

Ambroise Paré décrit les instruments chirurgicaux et leur utilité dans le traité sur la génération de l’homme publié en 1573 puis dans la collection de ses Oeuvres complètes. En insérant tout doucement sa main dans la matrice, le chirurgien peut connaître la position de l’enfant dans le ventre de la mère et découvrir s’il s’agit de jumeaux.

La version podalique est proposée par A. Paré,(12) qui raconte aussi ses expériences dans l’extraction d’enfants morts. Il est un jour appelé au chevet d’une femme en travail, après que les matrones ou sages-femmes ont essayé d’extraire le bébé mort en lui tirant un bras, provoquant ainsi des tuméfactions de la matrice et du foetus lui-même. A. Paré coupe alors les muscles du bras du foetus avec un rasoir jusqu’à l’épaule et tranche l’os avec des tenailles incisives sans endommager les parties génitales de la femme. Il raconte avoir extrait le foetus par les pieds. L’ouvrage montre les tenailles ainsi que les crochets nécessaires en cas de foetus trop gros par nature, par tuméfaction ou dont la tête oblige le chirurgien à utiliser l’instrument dit pieds de griffon.(13)

D’après A. Paré, une dernière manoeuvre reste à pratiquer seulement si la femme est morte et si l’on a encore l’espoir de sortir l’enfant vivant : la section césarienne…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Concetta Pennuto

 

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REFERENCES

1. Rueff J. De conceptu et generatione hominis. Francfort : S. Feyerabendius, 1580 : f. 3ro. 2. Ibid., f. 3vo-4ro. 3. Ibid., f. 18vo-19ro. 4. Ibid., f. 19ro. 5. Ibid., f. 20ro-vo. 6. Cf. Soranos. Maladies des femmes, Tome I, Livre I ; texte établi, traduit et commenté par P. Burguière, D. Gourevitch et Y. Malinas, Deuxième tirage. Paris : Les Belles Lettres, 2003 : Introduction, p. XLVII-XLIX ; King H. Midwifery, Obstetrics and the Rise of Gynaecology. The Use of a Sixteenth-Century Compendium. Burlington: Ashgate, 2007:2-3. 7. Rufus. De uesicae renumque morbis, De purgantibus medicamentis, De partibus corporis humanis. Paris : A. Turnebus, 1554:54-60. 8. Cf. Soranos. Maladies des femmes, p. XLIX ; King. Midwifery, p. 3. En 1566, le médecin zurichois Conrad Gesner publie une version grecque byzantine du texte de Muscio dans Gynaeciorum, hoc est, De mulierum tum aliis, tum grauidarum, parientium et puerperarum affectibus et morbis, Libri …. Bâle : T. Guarinus, 1566. 9. Soranos. Maladies des femmes, Tome II, Livre II, Texte établi, traduit et commenté par P. Burguière, D. Gourevitch et Y. Malinas. Paris : Les Belles Lettres, 1990:7-8 ; Soranos. Gynaeciorum vetus translatio latina. Lipse : Teubner, 1872:22-4. 10. Rösslin E. Des divers travaulx et enfantemens des femmes. Paris : J. Foucher, 1536 : f. 18ro-21ro. Cf. Green M. The Sources of Eucharius Rösslin’s ‘Rosegarden for Pregnant Women and Midwives’ (1513). Medical History 2009;53:167-92. 11. Sur l’ondoiement et le petit baptême, cf. Gélis J. L’arbre et le fruit. La naissance dans l’Occident moderne, XVIe-XIXe siècles. Paris : Fayard, 1984:489-502. Le geste d’ondoyer (ondoiement) consiste en l’administration du baptême sans y joindre les cérémonies de l’Église dans des circonstances de danger, etc. Cf. Dictionnaire de l’Académie Françoise, Ve édition, Tome II L – Z. Paris: J.J. Smits et Ce, 1798:190. 12. Paré A. Deux livres de chirurgie, I. De la génération de l’homme… ; II. Des monstres … Paris : A. Wechel, 1573:138. 13. Ibid., p. 141-8