Aggraver les diagnostics pour obtenir les meilleurs résultats après intervention, faire gonfler le porte-monnaie et s’offrir une belle réputation… C’était la méthode Rossignol. Cet urologue toulousain de renommée internationale a été condamné deux fois pour avoir falsifié plusieurs dossiers médicaux et retiré inutilement des prostates et des vessies. Aujourd’hui, il a purgé sa peine et continue à exercer. Car le Conseil de l’ordre l’a sanctionné d’un simple blâme.

 


“On a voulu m’opérer d’un cancer que je n’avais pas !” Michel Dufour est le premier patient à s’être méfié des méthodes douteuses du Dr Rossignol. En 1989 Georges Rossignol et son associé le Pierre Léandri, qui exercent alors à la clinique Saint-Jean de Toulouse, veulent effectuer sur Mr Dufour une “cysectomie radicale”, pour enrayer un cancer de la vessie. Mais Michel Dufour hésite. Il préfère consulter d’autres médecins, avoir un autre avis. Après de nouveaux examens, le diagnostic est clair : il n’a pas de cancer, tout juste une tumeur bénigne. Cela aurait pu rester une simple erreur de diagnostic. Sauf que Michel Dufour ne veut pas en rester là. Il en veut aux médecins de l’avoir incité à subir une opération extrêmement invalidante. Il demande justice.

 

Avantageuses statistiques de survie dans sa patientèle

Entre temps, Georges Rossignol produit un faux rapport d’analyses attestant le cancer de son patient. Cela marquera le début de sa descente aux enfers. Car en deux ans d’instruction l’enquête révélera que le médecin à la notoriété mondiale pour ses “doigts d’or” et ses avantageuses statistiques de survie dans sa patientèle, avait pris la fâcheuse habitude de modifier les diagnostics pour prescrire des actes médicaux qui ne servent à rien. Mais rapportent gros. Afin que personne ne s’aperçoive de ces petits arrangements, le chirurgien donnait aussi l’ordre aux anatomopathologistes de ne pas communiquer les résultats des examens aux médecins traitants des malades.

En 1992, l’urologue se retrouve pour la première fois face à la justice. Il écope de deux ans de prison pour faux en écriture.

Seulement, contrairement à Michel Dufour, tous les patients n’ont pas eu la bonne idée de faire confirmer le diagnostic posé par cet imminent urologue. C’est par exemple le cas de Claude Dubuc. En 1990, il se fait opérer une première fois d’un polype à la vessie par le docteur Pierre Léandri. Il en ressort trois jours plus tard et ne connaît aucune complication. Mais peu de temps après, il reçoit un appel téléphonique de la secrétaire du chirurgien. Son état est plus grave qu’on ne pensait et nécessite une cystectomie. A l’issue de l’intervention, Claude Dubuc apprend qu’on lui a retiré la vessie et la prostate.

Depuis, un rapport d’expertise contresigné par plusieurs spécialistes a révélé que “le traitement qui a été appliqué à M. Dubuc pour la tumeur vésicale dont il était porteur ne correspond pas aux règles actuelles de l’urologie”, et que “la décision de l’opération a été hâtive et injustifiée, d’autres possibilités thérapeutiques existant”. Devenu incontinent et impuissant suite à l’intervention, Claude Dubuc portera lui aussi l’affaire en justice.

 

8 ablations inutiles

Au cours de l’instruction, 43 dossiers médicaux suivis par les urologues de la clinique Saint-Jean sont réouverts, 18 ont été examinés par des experts. Il ont jugé 8 ablations de la vessie ou de la prostate litigieuses. Cinq ont été effectués par le Dr Rossignol, deux par le Dr Léandri et une a été réalisée à quatre mains. Début 1997, les deux hommes passent donc devant le tribunal correctionnel de Toulouse. Ils comparaissent pour “violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente”.

Pendant le procès, les deux prévenus défendent leur “vision de l’urologie”, arguant préférer des “remords” d’une ablation pratiquée trop tôt aux “regrets” d’être intervenus trop tard. Les deux médecins sont soutenus par certains de leurs collègues toulousains. Parmi les experts désignés, Jean-Jacques Gaubert, chef du service urologie de l’hôpital de Poitiers. A la barre, il s’étonne du choix systématique de ces chirurgiens pour des solutions aussi handicapantes sans vraiment “se donner le temps de la réflexion”.

Les chirurgiens doivent s’expliquer : “Vous n’êtes pas ici devant un jury de thèse, demande le président du tribunal au Dr Rossignol. Mais expliquez-moi. L’élaboration de la décision d’opérer me paraît toujours très obscure.” Il voudrait en savoir plus, par exemple, sur cette tumeur évaluée avant opération par un anatomopathologiste comme étant de grade I et de stade A. D’un seul coup de stylo, elle s’est transformée en mal de grade I-II et de stade B1 dans la lettre que Georges Rossignol a adressée au médecin traitant de son patient. “C’est que je ne faisais pas entièrement confiance à l’anatomopathologiste”, répondra le professeur.

Si Rossignol botte en touche, Léandri évoque, lui, des majorations “parfois motivées par la crainte de ne pas entrer dans la norme des indications générales” pour une ablation. Et reconnait un péché “d’orgueil professionnel”.

Orgueil… et appât du gain. Quelques temps avant l’affaire, ces deux chirurgiens, reconnus dans les années quatre-vingt pour avoir développé avec succès une technique de vessies de remplacement, ont signé un document dans lequel ils s’engageaient à accroître le rendement de la clinique Saint-Jean, pour imaginer, ensuite, en devenir propriétaire. Les deux médecins auraient aussi souhaité à tout prix avoir le quota de dossiers et de réussites nécessaires pour être publié dans les revues médicales, s’assurer une place de choix dans les congrès internationaux, et s’offrir une belle notoriété professionnelle.

 

Soif de reconnaissance

“Les personnages que l’on retrouve dans ce genre d’affaires ont un profil typique, explique un médecin interrogé anonymement par le Nouvel Observateur au moment où l’affaire éclate. Ce sont des spécialistes brillants qui n’ont pas eu leur place à l’hôpital et qui prennent leur revanche dans le privé. Ils veulent avant tout être reconnus. Le syndrome de célébrité est important, mais c’est quand même le facteur économique qui est à la base de tous les dérapages. Dans le privé, la pression de l’argent est énorme. Un type qui opère doit faire un chiffre, se créer un territoire, et le garder.”

Pierre Leandri a été relaxé. Georges Rossignol a lui été condamné à 6 ans de prison ferme. Une peine ramenée à trois ans en appel. En 1999, c’est devant le conseil de l’ordre qu’il devait s’expliquer. Ses confrères lui ont infligé un simple blâme. A sa sortie de prison, en liberté conditionnelle, il s’est installé dans l’Ariège pour exercer dans une nouvelle clinique dont il assure 25 % du chiffre d’affaires.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu

 

[Avec Le nouvel observateur, l’Humanite.fr et Liberation.fr]