En 1658, en guerre contre les Pays-Bas, le jeune Louis XIV assiège Dunkerque et Bergues, mais “à cause des incommodités du lieu, de la corruption de l’air, de l’infection des eaux, du grand nombre de malades, de plusieurs corps morts sur la place, et de mille autres circonstances, (il) contracta petit à petit un venin caché.”

 

Extraits des Remarques sur la santé du Roy rédigées par son médecin Antoine Vallot.

 

“Le 29 du mois de juin, le roi se ressentit d’une chaleur extraordinaire, lassitude de tous les membres, furieuse douleur de tête, sans force, sans vigueur et sans appétit. Peu de temps après, la fièvre se déclara avec des faiblesses extraordinaires, au retour d’un voyage qu’il avait fait à Bergues […]. Sa Majesté (S. M.) étant arrivée à Calais le lundi 1er de juillet, entre dix et onze heures du soir, peu de temps après je lui fis prendre un lavement, et, en le rendant, S. M. eut de si grandes faiblesses, que l’on appréhendait qu’elle ne pût résister à ces accablements, se ressentant de faiblesses extraordinaires, langueurs et sueurs froides.

Cela ne m’empêcha point de lui faire tirer trois grandes poêlettes de sang du bras droit, et durant la saignée les faiblesses avec tous les accidents augmentèrent de telle manière, que cela donnait de l’épouvante à tous ceux qui le voyaient dans cet état. Le reste de la nuit se passa de la même manière, et même avec des douleurs du dos, ou plutôt des lombes, des agitations continuelles, inquiétudes, rêveries, faiblesses, inégalité du pouls, et des froids extraordinaires aux extrémités.

 

Une bouffissure de tout le corps, marque d’une grande malignité

Dans cette violence on lui fit quelques légères frictions sur le dos, avec les mains ; on lui donna des cordiaux ; et de grand matin, voyant que le mal augmentait, je fus obligé de lui faire tirer du sang de l’autre bras. Ce remède, quoique nécessaire, n’apaisa point son mal. Sur le midi, je lui fis donner un lavement.

Le reste de la journée tous les accidents continuèrent de la même force, et même, on peut dire qu’ils se rendirent plus fâcheux, ce qui obligea d’en venir à une troisième saignée sur le soir. Sur les dix heures, on donna à S. M. un julep cordial et rafraîchissant, quelques heures après avoir rendu un lavement. Le mercredi, troisième du mois, se passa avec augmentation de la fièvre, accompagnée de fâcheux redoublements et de tous les autres accidents, ce qui m’obligea de réitérer la saignée du bras et de continuer l’usage des remèdes cordiaux et des lavements.

Le jeudi 4 du mois, toutes les inquiétudes augmentèrent et même la rêverie fut considérable, ce qui me fit résoudre de faire saigner S. M. du bras le matin, et du pied le soir. Je fis aussi continuer les cordiaux, particulièrement après avoir remarqué les mouvements convulsifs, et l’enflure, ou plutôt bouffissure de tout le corps, qui est une marque indubitable d’une grande malignité, d’un venin qui ne peut s’exhaler, ni sortir au dehors.

Quoique la fièvre fût pourprée, il ne paraissait pour lors aucune tache sur le corps, mais comme j’étais assuré de la nature du mal, je pris résolution, sur cette bouffissure qui ressemblait à celle que l’on remarque après la morsure d’un serpent, et sur le transport qui se faisait à la tête, qui menaçait de ruine si l’on n’y apportait promptement les remèdes nécessaires ; je pris donc résolution, dans l’inquiétude où j’étais, de proposer deux remèdes, qui ont si heureusement réussi, que l’on peut dire avec vérité qu’ils ont sauvé la vie de S. M.

 

Application des vésicatoires aux bras et aux jambes

Le premier fut la purgation donnée le vendredi, cinquième jour du mois et septième de la maladie, qui fut contestée par les médecins. L’autre remède fut l’application des vésicatoires aux bras et aux jambes, pour arrêter le transport qui se faisait à la tête et sur la poitrine ; mais particulièrement pour arrêter le mauvais effet de la bouffissure de tout le corps. Ces deux remèdes, comme j’ai dit ci-dessus, méritent la gloire de la guérison du roi, comme l’on verra par la suite de ce discours […] [NDLR : Vallot considère que le mal est trop grave pour ne pas s’affranchir de règles héritées de la tradition hippocratique qui prévoyaient de ne pas purger avant le 10e jour et surtout recommandaient de s’abstenir de tout traitement le 7e jour de la maladie, jour critique du point de vue pronostique : la maladie du roi n’est ni commune ni ordinaire et il risque de mourir si on ne le traite pas de façon énergique.]

Le mal pourtant était d’une telle nature, qu’il ne pouvait pas être combattu par de si faibles armes, et comme plusieurs accidents étaient un peu diminués, il nous en restait encore d’assez fâcheux et de conséquence, pour ne nous pas endormir ; particulièrement la bouffissure de tout le corps et le transport à la tête, et même quelque commencement d’une difficulté de respirer, qui est l’accident qui m’a le plus étonné en tout le cours de la maladie du roi, qui m’obligea le lendemain samedi, sixième du mois et huitième de la maladie, non seulement d’avoir recours à la saignée, mais de venir aux vésicatoires que j’avais déjà proposés.

Ce remède fut si heureusement appliqué que l’enflure du corps commença à diminuer comme les autres accidents, particulièrement la fluxion qui se jetait sur la poitrine. […] Cependant la nuit du dimanche au lundi se passa avec beaucoup d’inquiétude et les redoublements ordinaires, ce qui nous obligea de saigner le roi du pied de grand matin. Ce remède, quoique nécessaire et fait bien à propos, ne diminua pas beaucoup la fièvre, ni les accidents.

 

Un coup de maître pour secourir le roi

Sur les onze heures, je fis assembler MM. les médecins pour leur représenter que nous avions besoin d’un remède vigoureux pour empêcher le redoublement qui devait venir sur les quatre à cinq heures après midi. M. le cardinal ayant été par moi averti qu’il était question de faire un coup de maître pour secourir le roi, voulut assister à notre consultation, afin de fortifier ce que je lui avais déjà proposé ; et, comme il avait déjà goûté mes raisons sur le fait du vin émétique [NDLR : contenant de l’antimoine, remède dont le maniement était extrêmement dangereux], il fit adroitement consentir à ce remède ceux qui ne l’approuvaient pas, et, après quelques légères contestations, il dit à toute la compagnie qu’il louait le dessein qu’elle avait de purger vigoureusement le roi ; et ayant en mon particulier fait connaître à MM. les médecins que l’on ne devait plus ordonner ni de la casse, ni du séné, et que les maladies de cette nature ne guérissaient jamais par les remèdes communs et ordinaires, tout le monde se déclara pour l’antimoine, dont M. le cardinal avait parlé de son propre mouvement, après lui avoir dit que nous avions besoin de son suffrage pour réduire quelquesuns qui pestaient contre l’antimoine.

J’avais fait préparer pour cet effet, dès le grand matin, trois grandes prises de tisane laxative, et trois onces de vin émétique, qui étaient séparément en deux bouteilles sur la table du roi depuis le matin ; incontinent après cette délibération, je fis mêler trois onces de vin émétique avec trois prises de tisane laxative, et sur-le-champ je lui fis prendre une tierce partie de tout ce mélange, qui réussit si bien et si heureusement que le roi fut purgé vingt-deux fois d’une matière séreuse, verdâtre et un peu jaune, sans beaucoup de violence, n’ayant vomi que deux fois, environ quatre ou cinq heures après la médecine.

L’effet fut si prodigieux et l’opération si grande, que nous reconnûmes un changement notable et une diminution de la fièvre et de tous les accidents, de sorte que tous ont sujet de rendre grâce à Dieu d’avoir en si peu de temps tiré le roi de la dernière extrémité où il était, par un remède qui donnait de l’appréhension à ceux qui n’avaient point encore éprouvé sa vertu”…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : La Revue du Praticien

 

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