Changement de cap au Conseil national de l’Ordre des médecins. Le Dr Patrick Bouet, 57 ans, médecin généraliste à Villemomble (Seine-Saint-Denis) vient d’être élu président de l’institution. Il succède au Dr Michel Legmann, radiologue dans les Hauts-de Seine, à la tête du CNOM depuis 2007.

 

Egora.fr : Les médecins vous connaissent très peu, quelles sont les principales choses qu’ils doivent savoir de vous ?

Patrick Bouet : Je suis médecin en activité, spécialiste en médecine générale, bien que cela ne soit pas ce qui motive mon action ordinale. J’exerce en cabinet de groupe en Seine-Saint-Denis depuis 1984. J’ai une activité ordinale ancienne, elle date de 25 ans. J’ai présidé le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis pendant 10 ans et je suis conseiller national depuis 10 ans.

 

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous présenter à la tête du Conseil national ?

La volonté de mettre l’institution au cœur de la société et du monde de la santé. Il m’a semblé qu’un médecin en activité, avec une expérience ordinale importante pouvait prétendre à la présidence, dans ce cadre là.

 

Vous comptez donc concilier exercice de la médecine générale et présidence du CNOM, comment allez-vous vous organiser ?

J’ai un mode d’activité qui demandait déjà une très grande organisation. Je suis comme tous les généralistes, je pars tôt faire mes visites le matin et je rentre tard le soir. J’ai la chance d’être à Villemomble donc je suis proche du Conseil national. Ainsi, je peux aisément assumer mes deux fonctions.

 

Quels sont les principaux chantiers que vous souhaitez mener pendant votre mandat ?

La feuille de route du Conseil national de l’Ordre des médecins sera définitivement établie lors d’un séminaire qui se déroulera au mois de septembre. Pour l’instant je suis dans les priorités d’installation de l’équipe qui vient d’être élue.

Ce qui est sûr, c’est que nous allons moderniser l’institution et la placer au cœur du débat de la santé. Nous allons l’externaliser, c’est-à-dire la porter au cœur de la société de façon à ce que l’on nous connaisse mieux et que l’on mesure bien l’importance qu’ont les Ordres en général, et le nôtre en particulier. Je ne nous dissocie pas des autres Ordres des professions de santé puisque nous avons un message commun à porter. L’objectif est que les médecins reprennent totalement leur rôle dans cette société qui s’interroge. Les patients doivent également reprendre confiance à la fois dans les médecins et dans tous les acteurs du monde de la santé.

 

L’Ordre est vu depuis quelques années comme une institution archaïque, à quoi cela est du ? Et comment le moderniser ?

C’est vous qui le voyez comme archaïque. Nous, qui sommes dedans, ne le voyons pas comme tel et nos interlocuteurs institutionnels non plus.

 

Les médecins le voient comme archaïque…

C’est simplement parce que notre institution avait une espèce de tradition d’enfermement sur elle-même, pensant qu’elle devait travailler avec l’ensemble de ses partenaires mais qu’elle n’avait pas à externaliser ses travaux. Elle travaillait dans une espèce de semi-ombre, ne cherchant pas à se faire valoir à l’extérieur. Aujourd’hui, nous travaillons, nous produisons, nous concertons beaucoup… Il ne faut pas que l’institution ait peur de se positionner dans le débat général. C’est une vision nouvelle. Je ne crois pas à l’archaïsme, notre institution n’a jamais été archaïque, elle a été vue comme telle.

 

C’est donc l’image qu’il faut changer…

Tout à fait. Il faut surtout, ne pas avoir peur de montrer l’ampleur de l’activité que nous développons. Nous n’avons pas les mêmes objectifs que d’autres acteurs du monde de la santé, mais en tous cas nous participons à tous les débats concernant la santé dans notre pays et nous allons le faire savoir, le porter vers la société et vers l’ensemble des médecins pour sortir de cette image feutrée qui ne correspond pas à la réalité.

 

Vous succédez au Dr Legmann qui était radiologue dans les Hauts-de-Seine. En tant que généraliste de Seine-Saint-Denis, pensez-vous avoir un regard différent sur la question des déserts médicaux ?

Sur le plan ordinal, il n’y a pas de raisons que j’aie un regard différent. Michel Legmann était plus président du Conseil national, que radiologue dans le 92 et ce sera la même chose avec moi. Nous n’avons pas à avoir une vision différente. Ce que nous devons avoir, c’est une vision régulatrice d’une part, mais surtout organisationnelle et participative d’autre part. Il faut travailler d’abord avec tous ceux qui sont sur le terrain et ensuite porter les expériences et les propositions vers les décideurs.

 

Vous ne pouvez nier qu’en tant que généraliste du 93, vous côtoyez la question de la désertification de beaucoup plus près que d’autres spécialistes…

Je ne suis pas un acteur individuel. Je suis au centre d’une mosaïque de 4 000 élus, tout comme mes prédécesseurs et l’expérience que nous portons est celle de ces élus qui maillent l’ensemble du territoire. Je ne suis qu’un des éléments qui rassemble toutes ces données. Il ne faut pas croire, ni penser que j’aurais quelque chose de plus que les autres.

 

Avant d’être élu président, vous étiez en charge des relations avec les Conseils départementaux. Comment avez-vous vécu le tollé qui a fait suite aux propos de Michel Legmann sur la coercition à l’installation ?

Je me porte vers l’avenir. Nous devons faire connaître ce que nous faisons et pour cela nous devons rassembler l’ensemble des expériences de nos élus de terrain. Voila le sens que je veux donner à ma présidence. Je ne m’exprimerai que lorsque la synthèse de toutes les propositions de l’ensemble de l’institution sera validée et stabilisée au niveau du Conseil national. C’est comme ça que cela fonctionnera, au moins pour les trois années de ma mandature.

 

A 57 ans, vous faites figure de jeune homme au sein du CNOM, est ce que vous pensez qu’il est important de rajeunir cette institution ?

Je crois que l’on doit avoir des objectifs qui permettent à un plus grand nombre de professionnels jeunes et de femmes de participer à la vie ordinale. Cela me semble fondamental. Non pas que je fasse du jeunisme, mais je pense que toutes les structures représentatives ont intérêt à voir les fractions générationnelles les plus jeunes et l’équilibre entre les sexes, s’accomplir en leur sein. Nous allons poursuivre cet objectif et cela passera notamment par propositions favorisant l’arrivée des plus jeunes, des femmes… Nous avions pris il y a quelques années une disposition qui est passée totalement inaperçue mais qui a permis aux médecins, dès leur inscription, de postuler pour être conseiller ordinal. Avant, dans le code de déontologie, il fallait attendre trois ans. Nous avions annulé cette disposition.

 

Sur l’échiquier politique, vous faites figure d’homme de gauche, quel bilan tirez-vous de la première année de Marisol Touraine ?

Je pense que fort heureusement dans deux ou trois mois, on aura compris que je ne suis ni de gauche ni de droite. Il faut sortir de cette idée. Le président de l’Ordre national est garant de l’indépendance de l’institution.

J’ai beaucoup de respect pour tous les acteurs du monde politique, quelle que soit la majorité qui est en place, dès lors qu’ils prennent leurs responsabilités. Ils ont une étendue importante de problèmes à gérer et je crois que Madame la ministre, pas plus, ni moins que ses prédécesseurs, ne démérite dans cette fonction. Il faut simplement, comme tout ministre, être à l’écoute de l’ensemble des acteurs et de leurs propositions. Je ne porte pas de jugement sur le résultat de son action, je dis simplement qu’elle ne fait ni moins, ni différemment de ce qu’on fait ses prédécesseurs.

 

Que pensez-vous de son projet de praticiens territoriaux de médecine générale ?

C’est une expérimentation qui ne va concerner que 200 praticiens sur l’ensemble du territoire. Ce n’est donc pas une solution en tant que telle mais ça contribue, comme d’autres expérimentations, à explorer des voies. En cela, le CNOM n’a pas à faire de remarques négatives. Ce n’est simplement pas la solution unique à la problématique de la désertification.

 

L’Université Pessoa de Toulon projette de s’ouvrir à la médecine. Le succès de cette formation n’est-il pas lié à un problème de numerus clausus ?

Je pense qu’il faut savoir, dans notre pays, ce que l’on veut. Il y a aujourd’hui un système qui donne aux universités le droit de délivrer des diplômes et nous qualifions les professionnels dans la spécialité qu’ils ont acquis. Pour autant que je sache, cette “université” n’est pas habilitée à délivrer des diplômes. Notre position est très claire et nous en avons informé le ministère de la Santé. Cette “université” n’entre pas dans le cadre naturel de la délivrance de diplômes permettant l’exercice de la médecine sur notre territoire.

 

N’y a-t-il pas un problème de fond avec le numerus clausus ?

Au niveau de l’Ordre des médecins, notre position a été constante. Nous avons toujours pensé que le numerus clausus n’était pas une réponse adaptée à la problématique de la désertification médicale puisque l’impact des décisions prises à l’instant T ne se révélait que 10 ans après. La preuve a été faite dans le passé que les baisses du numerus clausus n’avaient pas anticipé les difficultés soit de pléthore, soit de déficit du corps médical. Il y a donc une réflexion à mettre en place au niveau de l’accessibilité aux études de médecine d’une part et d’autre part au niveau du nombre de médecins potentiels lorsque l’on aura un schéma organisationnel bien stabilisé en matière de programmation gouvernementale sur la distribution des soins. Nous y verrons alors peut être un peu plus clair sur les nécessités en matière de professionnels de santé et de médecins sur le territoire.

Le numerus clausus ne nous semble pas être la clé de voute du système d’accessibilité à l’exercice de la médecine sur l’ensemble du territoire.

 

Il y a moins d’un mois, le CNOM a publié un communiqué en ne s’estimant pas satisfait du décret sur la publication des liens d’intérêts entre professionnels de santé et industrie du médicament. Comment comptez-vous réagir ?

L’Ordre a déjà assez clairement agi puisque d’une part, nous formons un recours en Conseil d’Etat contre ce décret. Non pas tant pour la façon dont il est rédigé mais parce que nous pensons qu’il limite le champ d’action de la loi. D’autre part, nous travaillons beaucoup avec le ministère de la Santé pour tenter de redonner la transparence nécessaire à l’aspect déclaratif en termes de liens d’intérêts. Ce décret s’il contraint l’Ordre à publier les 50 euros que coûte un repas, passe sous silence les 10 000 euros qui peuvent être perçus par un praticien dans le cadre d’une convention avec l’industrie pharmaceutique. Il faut donc réellement que l’acte de transparence soit complet. L’initiative était bonne. La loi Bertrand avait une volonté assez claire. Il appartient au gouvernement de porter des décrets qui aillent dans le sens de ce que la loi voulait, c’est-à-dire une transparence totale en matière de liens d’intérêts.

 

Avant de conclure, quel message important souhaitez vous faire passer aux médecins ?

Ayez confiance.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin