Exclues par la création des universités et durant 7 siècles de l’exercice médical, les femmes forcent non sans mal, à la fin du XIXe siècle, les portes de la Faculté de médecine et des hôpitaux. En France leur accession au concours de l’internat sera homérique…

 

Aujourd’hui, partout dans le monde, le nombre des femmes médecins augmente régulièrement. Mais si les portes des facultés leur sont très largement ouvertes, les couloirs tortueux du pouvoir médical leur sont le plus souvent inaccessibles : on trouve peu de femmes aux niveaux élevés de la hiérarchie et dans les instances de décision. En France, en 15 ans, le pourcentage de femmes médecins est passé de 28 à 38 %, mais les femmes professeurs ne forment encore que 9 % de l’effectif total, pourcentage inférieur aux 13 % de femmes préfets ou ambassadeurs !

 

Les femmes qui soignent traitées de “sorcières”

Nul doute que ces difficultés sont les séquelles d’une longue histoire entre les femmes et la médecine, histoire au cours de laquelle rien n’a jamais été donné, mais au contraire enlevé aux femmes. En effet, l’homme primitif chassait, sa compagne cueillait. De cueillette en chaudron, de brouet en guérison, la médecine en vint bientôt à se conjuguer au féminin, jusqu’au Moyen Âge où la création des universités éloigne les femmes du savoir médical et traite de “sorcière” toute femme qui se mêle de soigner. La parenthèse va durer sept siècles. Sept siècles d’exclusion et de clandestinité, pendant lesquels les filles d’Hippocrate persistent et soignent, même si elles risquent le bûcher ou la prison, même si elles doivent se travestir en homme, ce qui fut souvent le cas. Au XIXe siècle enfin, elles luttent et gagnent le droit de fréquenter les facultés et d’obtenir des diplômes.

Au XIXe siècle, c’est le combat, bastion par bastion, pour l’égalité promise – mais non accordée aux femmes – par la Révolution française. Elizabeth Blackwell sera la première femme médecin des États-Unis. Quand elle décide de parfaire sa formation en Europe où s’élabore la médecine moderne, seule lui est autorisée, à Paris, l’École d’obstétrique de Port-Royal, où l’on reçoit, cas unique au monde, des milliers de femmes par an. De retour à New York, grâce aux subventions de ses amis quakers, elle crée un dispensaire qui deviendra l’Infirmary Medical School autorisée en 1864 à délivrer des diplômes de médecins aux femmes. En effet, dans les pays anglo-saxons, la bataille est si dure que la seule solution est de créer des universités féminines.

Emily Blackwell, diplômée peu après, assistera sa soeur dans son entreprise médicale. De brillantes élèves sortiront de l’Infirmary Medical School : Emily Stone, première femme médecin canadienne. Sa fille Augusta obtient l’autorisation de s’inscrire au Collège des médecins et chirurgiens de Toronto, passe son diplôme en 1879 et devient démonstratrice d’anatomie au Collège médical féminin, fondé en partie grâce à sa mère. Elle s’impose en tant que femme, mais femme médecin. Le droit de vote fut sa dernière conquête, obtenu par les Canadiennes un demi-siècle avant les Françaises.

 

Seule solution : créer des universités pour femmes

Mais rien n’est jamais acquis : le Dr Mary Walker doit s’engager à titre bénévole si elle veut être chirurgien militaire dans la guerre de Sécession. En 1865, à 33 ans, elle reçoit la plus haute distinction militaire : la médaille d’honneur du Congrès, médaille qui lui fut ensuite retirée à l’occasion d’une révision puis réattribuée post mortem.

Les Américaines se défendent avec maestria : témoin la création du Female Medical College of Pennsylvania à Philadelphie où, là encore, les Quakers, bien implantés dans le milieu médical, ont joué un rôle décisif ainsi que quelques hommes d’affaires tentés par cette aventure. Quand le Female Medical College ouvre ses portes, aucun pasteur n’accepte de le bénir, aucun journal ne publie ses annonces, aucun hôpital ne reçoit ses élèves. Pourtant, après bien des aventures et des combats acharnés, la consécration arrive avec la reconnaissance de l’école par l’American Medical Association, autorité reconnue dans tout le pays. L’école et l’hôpital attenant, ancêtre de nos centres hospitaliers universitaires, ne deviendra mixte qu’en 1969 !

Pour ce qui est de la France, ma première inscription d’une femme à la faculté de médecine de Paris a lieu en 1866 : Madeleine Brès, par chance peut-on dire, est veuve et mère de 3 enfants. Par chance aussi, le doyen de l’époque n’est pas vraiment défavorable aux femmes, et Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique est le champion de l’éducation féminine. Le Conseil des ministres – pas moins – se réunit pour débattre de cet important problème, et c’est finalement l’impératrice Eugénie qui enlève le vote permettant aux candidates de s’inscrire à l’université. Mademoiselle Garrett, une Anglaise, passe ainsi sa thèse en 1870, Mary Putman Jacobi, une Américaine, un peu plus tard : ces deux étrangères déjà diplômées dans leur pays obtenaient ainsi la consécration parisienne tant convoitée. Madame Brès les suivit de près en 1875. Il faut dire que le baccalauréat était indispensable à l’entrée à l’université et qu’aucune école secondaire ne préparait les jeunes filles à cet examen : les candidates capables de le préparer seules n’étaient pas légion.

De brillantes pionnières : Augusta Klumpke, d’origine américaine, et Blanche Edwards, d’origine anglaise, dont les familles étaient définitivement installées en France ont cependant fait avancer rapidement la cause des femmes médecins. Probablement moins inhibées par la pression sociale qui tendait à valoriser la femme au foyer, elles ont défendu pied à pied la difficile entrée des femmes à l’hôpital, nouveau sanctuaire où se joue alors le jeu du nouveau pouvoir médical.

 

“Jeunes filles fantaisistes” vs “hommes sérieux”

Militante infatigable, Blanche ouvrira un cabinet en ville, se battra avec succès pour que les lycées féminins préparent au baccalauréat. Elle se battra aussi pour le droit de vote, mais les esprits ne sont pas mûrs, et pour l’accession à l’internat des hôpirangée contre les médecins des hôpitaux qui ne veulent rien savoir. Ceux-ci tiennent des réunions urgentes et quasi secrètes, sans comptes rendus. Seuls, les journaux médicaux s’en font l’écho. Bien que Blanche Edwards ait réussi à obtenir 42 signatures en faveur des femmes médecins, au moment du vote seulement “4 ou 5” bulletins se révèlent favorables. Il est vrai que le vote est fait par “appel nominal”, c’est-à-dire publiquement, ce qui limite bien des courages.

La polémique s’amplifie. La presse politique s’en mêle. Nous sommes sous la IIIe République, dont la grande priorité est l’instruction pour tous. Le Conseil municipal de la Ville de Paris prend parti pour les femmes. Réplique immédiate du corps médical : “Si le Conseil décide d’octroyer à des jeunes filles fantaisistes le droit de disputer à des hommes sérieux les places dont dépendent leur avenir c’est alors que leur rôle commencerait”. Ils refuseraient purement et simplement de les admettre dans leurs services, et leur concours ne leur serait d’aucune utilité.

Blanche ne fera pas moins de 1 500 visites pour arracher l’autorisation pour les femmes de se présenter à l’internat. La victoire de l’internat sera finalement gagnée grâce au préfet Poubelle et au savant et physiologiste Paul Bert, ministre de l’Instruction publique. Ainsi est promulgué l’arrêté préfectoral du 31 juillet 1885 selon lequel les femmes peuvent passer le concours de l’internat. Le premier concours donne lieu à une émeute.

Bien que n’ayant pas pu suivre les précieuses conférences d’internat, Blanche Edwards et Augusta Klumpke passent l’écrit avec succès. Le 7 octobre 1885, à 11 heures du matin, les portes monumentales de l’avenue Victoria s’ouvrent pour les candidats à l’oral, mais Blanche et Augusta n’y sont pas. Les membres du jury ont reçu des lettres d’injures concernant les notes à l’écrit, pourtant anonyme : l’atmosphère est houleuse, on leur a recommandé la prudence.

 

Emeutes pendant le concours

Les demoiselles se faufilent donc par un escalier discret et l’on verrouille cette entrée dérobée derrière elles…mais déjà on tente d’enfoncer la porte. Cris, sifflements, menaces : la police est mobilisée de la préfecture toute proche. La place de l’Hôtel de Ville est envahie. “Sortez Blanche !” hurlent certains tandis que d’autres entament Bamboula, en référence à une troisième candidate, Alice Sollier, à la peau foncée.

Ne pouvant s’en prendre à Blanche qui ne leur sera pas livrée, les étudiants remontent alors le boulevard Saint-Michel, brandissant au bout d’une perche un mannequin de paille représentant la jeune fille. Arrivés en haut du Boul’Mich, dans la vaste salle du Bal Bullier où a lieu chaque année le bal de l’internat, ils se déchaînent, et dans une explosion de cris, de danses et de chansons obscènes, ils mettent le feu au mannequin, dernière sorcière de l’histoire.

Pendant ce temps, les candidates planchent et l’on voit déjà poindre les mandarines : Augusta Klumpke sera la première femme interne, d’ailleurs major aux épreuves anonymes de l’écrit. Elle épousera le savant Déjerine et travaillera des années bénévolement auprès de lui. Son élection des années plus tard à la présidence de la Société de neurologie, alors qu’elle est veuve, sera une juste reconnaissance, toujours sans contrepartie financière, des années passées au service de la science…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Josette Dall’Ava-Santucci

 

Retrouvez cet article “Au XIXe siècle, les femmes à l’assaut de la médecine” dans les dossiers “Histoire de la médecine” de La Revue du Praticien, sur www.larevuedupraticien.fr, sous la rubrique “Organisation des soins, études médicales”.