Si la formation des ostéopathes se poursuit à son rythme actuel, notre pays en comptera 60 000 en 2030, contre 3 500 en Angleterre. Président du Syndicat national des médecins rhumatologues (SNMR), le Dr Bernard Morand crie au fou et alerte les pouvoirs publics contre les dérives commerciales et les risques sanitaires liés à cette situation.

 

 

Egora.fr : Vous attaquez bille en tête en affirmant que les ostéopathes ne sont pas une profession de santé. Comment ça ?

Dr. Bernard Morand. Tout à fait, cette profession ne figure pas dans la liste des professions de santé. Et il suffit de lire le décret du 25 mars 2007 qui décrit le champ d’activité des ostéopathes pour comprendre qu’ils ne sont que des prestataires de service comme peuvent l’être la manucure, l’esthéticienne ou le moniteur de sport dans un centre de gymnastique. Que l’action des ostéopathes participe au bien être de nos concitoyens, ceci est incontestable, au même titre que peuvent l’être l’amélioration de l’aspect esthétique ou des performances d’endurance sportive.

 

Vous êtes médecin rhumatologue et vous pratiquez vous-même l’ostéopathie ?

Oui. Avant la publication de ce décret sur l’ostéopathie, la France bénéficiait déjà depuis des dizaines d’années, de multiples médecins ostéopathes, issus d’une école française de renom dotée de plusieurs centres de formation, délivrant des diplômes interuniversitaires d’ostéopathie. A cette période, les patients ne consultaient un ostéopathe qu’après avoir pris l’avis de leur médecin dans l’immense majorité des cas, et uniquement pour des pathologies fonctionnelles. Puis le décret du 25 mars 2007 a légalisé l’ostéopathie – avant, les ostéopathes non médecins ne pouvaient pas exercer et il y a eu des procès pour exercice illégal de la médecine. Ce qui fait que maintenant, tout est différent. Des écoles d’ostéopathies ont été agrées, le nombre d’ostéopathes a explosé en France, et l’on en compte aujourd’hui entre 12 à 15 000. Si le rythme actuel de formation de 5 000 étudiants par an se poursuit, je pense qu’on peut s’attendre à compter près de 60 000 ostéopathes non médecins et non kinés en 2020, contre 3 500 en Angleterre ! Dans nos provinces on a vu disparaître le boulanger, le boucher et le médecin généraliste, bien sûr, mais dans chaque village, ou presque, on peut s’enorgueillir de la présence d’un ostéopathe ! Voilà le résultat.

 

Et là, vous criez “au fou” !

Ah oui ! Car on va vers une dérive consumériste, il faut bien qu’ils vivent… Les gens qui consultent, pour une douleur la plupart du temps, peuvent cacher une affection grave qui nécessite une prise en charge spécifique. Or, désormais, le patient consulte un ostéopathe en premier qui, du fait de la pléthore dans sa profession, sera tenté de le reconvoquer, lui faisant ainsi courir le risque d’une perte de temps sur une pathologie éventuellement évolutive.

 

Mais les patients ne sont pas remboursés…

Certes, mais on observe de plus en plus, certaines dérives de la part de mutuelles qui prennent ces frais en charge. On a vraiment l’impression qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion. Et je suis d’autant plus étonné que les députés s’étaient émus de la situation. Le Pr. Bernard Debré, avait déposé deux bonnes propositions de loi tendant à limiter le nombre d’ostéopathes formés. Or, ces projets n’ont jamais été discutés par l’Assemblée nationale. Il y a beaucoup de lobbying. Dans ces projets, il était en particulier créé un Conseil national de l’ostéopathie paritaire – médecins spécialistes de l’appareil locomoteurs et ostéopathes – à qui il revenait d’agréer les écoles. Actuellement, tout est agréé, c’est comme à l’Ecole des Fan autrefois… Et puis, il était question de limiter le nombre de professionnels sortant sur le marché car il ne faut pas oublier que les premières victimes de la situation actuelle, ce sont les ostéopathes eux-mêmes. Le marché n’est pas extensible à l’infini.

 

Qu’en est-il du nombre d’années de formation ?

Là aussi, il y a une dérive. Le décret prévoyait 2 100 heures de formation, ce qui est largement suffisant pour maîtriser les gestes techniques. Mais pour garder leurs étudiants, les écoles de formation qui sont toutes payantes, et souvent très chères, ont mis en place des cursus allant jusqu’à cinq ans. Voilà donc des personnes qui auront suivi cinq ans de formation pour devenir prestataires de service dans la prise en charge des pathologies fonctionnelles. Mais à quoi ça rime ? Elles vont se considérer sur-formés et vont vouloir accéder à des compétences qu’elles n’ont pas. C’est une dérive très dangereuse. Si ces professionnels veulent étendre leurs compétences, ils peuvent toujours reprendre leurs études pour devenir médecins ou kinés. De la même manière, alors qu’il y a nombre de médecins et kinésithérapeutes formés en ostéopathie, nous avons été très étonnés de voir des établissements de santé publics ou privés prendre des ostéopathes, ce qui ne peut se justifier que pour des problèmes très spécifiques, exceptionnels. Il faut vraiment faire quelque chose. Or, j’ai l’impression que l’on ne nous écoute pas. Le gouvernement laisse aller, mais je reste à sa disposition ou à celle des députés s’ils veulent s’emparer du sujet.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne