Pour lutter contre les déserts médicaux, l’Agence régionale de santé de Haute-Normandie et la Faculté de médecine de Rouen ont lancé un dispositif innovant. Pour la première fois, ceux qui veulent se reconvertir à la médecine générale pourront faire financer leur formation, en échange d’une installation en zone sous-dotée.

 

“La Faculté de médecine de Rouen est partie du constat que quatre à cinq médecins par an venaient les voir pour se réorienter vers la médecine générale, sans savoir comment faire”, se souvient Bruno Anquetil, responsable du département qualité et appui à la performance à l’ARS de Haute-Normandie. Un processus de reconversion existe pourtant. Depuis la réforme de 2004, les spécialistes qui souhaitent se réorienter vers la médecine générale, ou des généralistes qui ont cessé d’exercer et veulent reprendre, doivent suivre une formation validée par l’université et le Conseil de l’Ordre. Mais cette passerelle reste méconnue : “On a souhaité lui donner plus de lisibilité”, souligne Bruno Anquetil.

Une autre question s’est rapidement posée : celui du financement du dispositif. “Les candidats qui viennent nous voir sont des médecins déjà installés, qui ont une vie de famille à assurer. Quand on leur propose une formation longue, à temps plein, ils se demandent comment ils vont vivre pendant ce temps”, explique Jean-Loup Hermil, directeur du département de médecine générale de la Faculté de Rouen.

 

Formation adaptée au parcours

Un dispositif innovant a donc été mis en place, sur le modèle des Contrats d’engagement de Service Public (CESP) déjà proposés aux internes. Pour la première fois, l’ARS offre de financer la moitié de la formation en échange de l’engagement du médecin de s’installer ensuite dans une zone déficitaire de la région.

Comme pour le processus de reconversion classique, le candidat est sélectionné par la Faculté de médecine. Il suit ensuite une formation, qui dure en général deux ans et dont le contenu est adapté à son parcours. “On a eu un médecin qui avait travaillé des années dans un centre de gériatrie, on n’allait pas lui demander de repasser six mois en gériatrie”, raconte Jean-Loup Hermil. La formation est sanctionnée par un examen et validée par une commission universitaire puis par l’Ordre.

En Haute-Normandie un seul contrat de ce type a été signé pour le moment, avec un médecin biologiste. Au cours de la première année, à sa charge, il devra suivre six mois de formation en médecine polyvalente, et six mois dans un service d’urgence. Ces enseignements seront complétés par de la pédiatrie et de la gynécologie. “C’est une formation très complète pour exercer en cabinet”, assure Jean-Loup Hermil.

 

“On fait le pari que les médecins vont rester”

La seconde année se fera dans un cabinet de médecine générale où l’étudiant sera mis en autonomie progressive, et au cours de laquelle il touchera un salaire équivalent à celui d’un interne. A ce moment, l’étudiant choisit conjointement avec l’ARS la zone déficitaire où il souhaite exercer. Il s’engage à y rester au moins deux ans après la fin de sa formation.

“On fait le pari que les médecins vont rester dans la zone où ils se sont installés, même à la fin de leur engagement. En travaillant dans cette zone, ils vont se créer un réseau, une patientèle, connaître les collègues. Il faut faire confiance aux gens”, confie Jean-Loup Hermil.

Ce dispositif est encore en phase d’expérimentation. L’ARS se donne deux à trois ans pour en évaluer la réussite et envisager sa pérennité : “Si 100% des candidats se fixent dans des zones déficitaires, alors on aura réussi”.

Du côté des généralistes, l’initiative semble être globalement bien accueillie. “Ceux qui sont installés voient arriver de futurs collègues, ils sont ravis”, ajoute Bruno Anquetil.

“Cette initiative est très intéressante. Je ne peux qu’approuver ce qui favorise les reconversions vers un métier que j’aime”, se félicite pour sa part Claude Leicher, président de MG France qui rappelle qu’avant la réforme, il suffisait aux spécialistes de demander une requalification à l’Ordre pour s’installer en tant que généraliste. “L’amélioration, c’est qu’on ne devient plus généraliste en demandant un bout de papier. On a pris conscience que pour exercer la médecine générale, il faut suivre une formation”, ajoute Claude Leicher.

Les internes aussi apprécient ce dispositif. “On connaît actuellement de vrais problèmes de déserts médicaux. On est très favorables à ces reconversions, du moment que ça profite aux zones sous dotées”, explique Julien Paimboeuf, porte-parole de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-Img).

 

Formation “à la tête du client” ?

Un syndicat, pourtant, proteste énergiquement et se lamente d’être le seul à pointer les travers de ces reconversions. “La durée de la formation est variable, c’est à la tête du client”, tonne Michel Combier, président de l’UNOF-CSMF qui dénonce une “formation express”. “Je crains que ça nous donne beaucoup moins d’arguments pour lutter contre des formations à la va-vite, du type formations privées ou étrangères”, ajoute-t-il.

Des accusations que le directeur de l’UFR de médecine générale de Rouen entend mais réfute. “En aucun cas nous ne bradons la formation des généralistes. Nous sommes très sérieux dans nos procédures de sélection et d’évaluation, assure Jean-Loup Hermil. Je comprends l’inquiétude d’une reconversion express, mais ce n’est pas notre intention. Je ne suis pas près d’être méprisant envers un métier qui me passionne.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier