Saint-Louis, mort de la Peste, François 1er de la syphilis… Les livres d’histoires sont formels ! Mais si on rouvrait les dossiers médicaux plusieurs siècles plus tard, les conclusions seraient-elles les mêmes ? Non, assure le Dr Jacques Deblauwe. Ce médecin généraliste, passionné d’histoire, s’est penché sur les rapports d’autopsie des rois de France et des personnages célèbres. Les découvertes qu’il a faites sont surprenantes.

 


Egora.fr :
Pouvez-vous nous raconter votre parcours et ce qui vous a poussé à rédiger votre premier ouvrage, “Mais de quoi sont-ils vraiment morts” ?

Dr Jacques Deblauwe : J’ai été médecin généraliste, aujourd’hui je suis médecin du travail. Il se trouve que, depuis ma tendre enfance, je suis passionné d’histoire, mais aussi de médecine légale. Je me suis donc formé en histoire de la médecine. Ce livre est né d’un travail de plusieurs années. En tant que médecin, à chaque fois que je lisais un bouquin d’histoire j’étais souvent surpris des conclusions médicales auxquelles on arrivait. J’ai commencé à fouiller je me suis aperçu que ca ne collait pas. Et je me suis posé la question : mais si j’étais médecin aujourd’hui à l’hôpital et que je voyais un patient avec ces symptômes, est-ce que j’irai vers ce diagnostic là ? Dans certains cas oui, dans d’autres comme pour Saint-Louis, supposé mort de la peste, ou François 1er, de la syphilis, non pas du tout.

La passion m’a pris je suis allé chercher le plus d’éléments possibles : des données d’autopsie mais aussi beaucoup de témoignages de contemporains, de serviteurs, de familiers… C’est un travail de rat de bibliothèque.

 

Par exemple, dans votre livre vous revenez sur le cas de François 1er. On a toujours dit qu’une syphilis l’a emporté. Vous êtes, vous, persuadé du contraire.

François 1er, mort de la syphilis, on l’a tous appris. Je n’affirme pas qu’il n’en a pas eu – c’était probablement d’ailleurs une blennorragie plus qu’une syphilis – car on sait qu’il a eu de nombreuses maîtresses royales… Mais cela ne peut pas être la cause de sa mort ! En effet, on ne retrouve pas de trace de chancre syphilitique, ni d’adénopathies. En revanche, il y a un abcès dont tout le monde va parler pendant un an, sur lequel les médecins tentent de nombreuses choses, comme des cautérisations, ce qui a du être un martyre pour le roi. Cet abcès dure 5 ans et s’écoule jusqu’à prendre la forme d’une pomme d’arrosoir. Or, on sait en médecine que les tuberculeuses urinaires et les abcès ont la particularité d’être chroniques, donc de durer plusieurs années car il n’y a pas de fièvre, mais aussi d’avoir plusieurs orifices de sortie. Ce qui correspond. La tuberculose urinaire était très fréquente à cette époque, c’est donc très certainement la cause de sa mort et non pas la syphilis. Même s’il en a peut-être eu une. Et encore, on n’en est pas sûrs !

 

Vous évoquez par exemple, le cas de la descendance de Louis XIV. Tous les héritiers sont morts les uns après les autres…

Louis XIV avait sa descendance assurée avec un fils et cinq petits enfants, cela devait lui suffire. Or, au cours du terrible hiver de l’année 1709-1710, il a vu mourir le grand dauphin de la variole, qui était une maladie très courante à l’époque, mais aussi trois de ses petits enfants, d’une épidémie de rougeole qui s’est transformée en méningite et qui a aussi emporté son épouse.

Il ne restait donc qu’un seul petit enfant. Comme il avait un frère ainé il n’était pas considéré comme un héritier potentiel. Il a donc a été confié aux nourrices. Ces dernières ont eu l’intelligence de laisser passer la fièvre avec un peu de biscuit et un peu de vin et surtout ne l’ont pas confié aux médecins. Il a donc été préservé des saignées et des vomissements… et a régné ensuite sous le nom de Louis XV. Alors que tout le monde le donnait perdu à 3 ans.

L’intérêt de cette histoire, c’est aussi qu’à force de voir tous les successeurs au trône mourir en l’espace d’un an, les contemporains ont soupçonné le duc d’Orléans, le régent, d’avoir voulu empoisonner les enfants du roi pour pouvoir lui même accéder au trône. Alors qu’en fait il n’y était pour rien. Il a bénéficié d’un concours de circonstances.

 

Vous revenez sur la mort de Marat, assassiné dans sa baignoire par Charlotte Corday. Vous faites des révélations étonnantes…

Cela m’a amusé d’essayer de comprendre pourquoi Marat, qui était lui même médecin, passait autant de temps dans une baignoire en cuivre remplie d’eau d’huilée. En fait il avait des problèmes de peau et d’intenses démangeaisons. Mais de quel type d’infection souffrait-il ? Il se trouve que, c’est surprenant venant d’un médecin, mais c’était un problème d’hygiène. Marat avait des poux, beaucoup de poux. Cela a entraîné, suite aux grattages, une affection allergique, une forme d’eczéma. C’est donc pour calmer ces allergies qu’il était en permanence dans le bain. L’ironie de l’histoire, c’est que Charlotte Corday, qui était plus petite que lui, n’aurait en réalité jamais pu tuer Marat d’un coup de poignard. Et c’est justement parce qu’il était assis dans son bain qu’elle a pu lui porter ce coup fatal.

 

Il y a aussi le cas, un peu différent, de Charles VI qui était schizophrène…

C’est très curieux. Est resté sur le trône de France, pendant 25 ans, un roi qui pouvait à certains moments se comporter tout à fait normalement, être très lucide. On sait qu’il a rédigé des ordonnances tout a fait sensées. Mais à certains moments entrer dans une sorte de double personnalité, une folie complète au cours desquelles il perdait le sens des réalités. Il oubliait qu’il était roi, qu’il avait des enfants. A certains moments, il se croyait fait de verre et pensait que ses os pouvaient se briser à tout moment. Ces crises ont été très fréquentes, mais sans vraiment d’éléments déclencheurs. Or, son pouvoir n’a jamais été remis en cause. Bien au contraire ! Je pense, au vu de l’esprit de l’époque, que le cas de Charles VI était plutôt perçu comme une fatalité. Pour ses sujets, il était à plaindre. Il rachetait, par sa maladie, les fautes du peuple de France.

 

Pensez-vous qu’on a voulu, au fil des années “mystifier” la mort des rois de France. Ou bien, que c’est réellement la médecine de l’époque qui n’a pas permis de poser les bons diagnostics.

Pour un bon nombre, l’état de la médecine ne permettait pas le diagnostic. C’est le cas d’Agnès Sorel, morte d’empoisonnement au mercure. Dans certains cas, le diagnostic a parfaitement été fait. Le cancer du sein d’Anne d’Autriche était clair, tout comme la gangrène de Louis XIV, on n’est juste pas allé en profondeur, à la cause de la gangrène qui vient d’un problème cardiaque. Les conclusions médicales ont été celles de l’époque. Pour Saint-Louis, on parle de peste. Je pense en fait qu’on a dû à l’époque parler d’infection pestilentielle, c’est-à-dire affection épidémique contagieuse. Puis au fil du temps il y a eu déformation et les historiens ont parlé de peste. Mais à mon avis, le gros problème des médecins de l’époque était de craindre un régicide, notamment par empoisonnement.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu

Dr Jacques Deblauwe. De quoi sont-ils vraiment morts ?, éditions Pygmalion.