Le “oui, mais…” du rapport coordonné par le Pr Dautzenberg sur la e-cigarette est partagé par les experts aux vues des récentes données de la littérature.
Le rapport demandé par Marisol Touraine sur les bénéfice/risques de la e-cigarette a été présenté publiquement le 28 mai à l’occasion d’un colloque au ministère de la santé. Réalisé par un groupe d’experts, sous la coordination du Pr Bertrand Dautzenberg, pneumologue, président de l’Office français de prévention du tabagisme (Ofta), ce document fait état de 28 recommandations destinées à ne pas freiner l’accès à la e-cigarette pour les fumeurs, mais à en éloigner les non fumeurs et en particulier les plus jeunes.
Ainsi, parmi les mesures les plus importantes, le comité d’experts propose une interdiction de la e-cigarette dans les endroits ou il est actuellement interdit de fumer, et donc en particulier dans les lieux publics, de façon à ne pas encourager les jeunes à cette pratique. “Vapoter dans une cour d’école est une incitation à fumer pour les élèves” ; la e-cigarette ne doit pas devenir un produit d’entrée dans le tabagisme et la dépendance nicotinique” a souligné le Pr Dautzenberg le 28 mai sur France Info.
“C’est clairement une réduction du risque”
Le rapport propose aussi que la vente d’e-cigarette ne puisse s’effectuer que dans les établissements agrées (pas “dans les supermarchés et les boutiques généralistes”), mais pas uniquement dans les pharmacies, et qu’elle soit interdite aux mineurs. En outre, il souhaite l’interdiction de la publicité concernant ces produits. Enfin, le texte recommande l’obligation pour les fabricants d’apporter la preuve de l’innocuité des produits utilisés, et de limiter la quantité de nicotine utilisée à 18 mg/ml (contre 20 actuellement), ainsi qu’un volume de recharge limité à 30 ml. Cependant, ce taux doit rester significatif pour pouvoir jouer un rôle dans la prise en charge des fumeurs. Dans ce cadre, la e-cigarette pourrait constituer un véritable atout.
“La cigarette électronique n’est pas un produit innocent. Mais pour un fumeur, passer de la vraie cigarette à la cigarette électronique, c’est clairement une réduction du risque. C’est un produit qui est satisfaisant en terme de santé pour sortir du tabac” a expliqué le Pr Dautzenberg. Les experts de l’Ofta recommandent cependant que les e-cigarettes ne soient pas utilisées par les femmes enceintes ou allaitantes “du fait de l’absence de toute donnée démontrant leur efficacité et leur totale innocuité dans ces conditions” et que de nouvelles études indépendantes soient mises en place pour mieux analyser le rôle de la e-cigarette dans le cadre d’un sevrage.
Des données rassurantes
Le Dr Gérard Mathern, pneumologue à Saint-Chamond (42) et Secrétaire général de la Société française de tabacologie, interrogé par Egora.fr, est lui aussi assez confiant et tout à fait en adéquation avec les propositions du rapport. “Les études, assez nombreuses aujourd’hui, conduites en Pologne, Nouvelle-Zélande, États-Unis sont plutôt rassurantes sur le court terme”. “Il n’y a pas de relargage d’oxyde de carbone ou de substances cancérogènes dans l’atmosphère, ce qui écarte tout problème de tabagisme passif. Le propylène glycol et le glycérol, présents au sein de la solution inhalée par le fumeur vapoteur, sont des substances apparemment sans danger déjà utilisées par l’industrie. On trouve d’ailleurs du propylène glycol dans les inhalateurs pour asthmatiques”, précise le Dr Mathern.
L’innocuité des arômes proposés dans les e-cigarettes (tabac, menthol, fruits…) a aussi été démontrée par voie digestive. Quant à la nicotine, qui est à l’origine de l’effet recherché par les “vapoteurs” de “throat hit” lors du passage dans la gorge, les doses proposées sont très variables (0, 6, 9, 11 et 18 mg), comme pour les timbres et gommes utilisées en sevrage (ce qui permet au fumeur de moduler sa quantité de nicotine), mais bien trop faibles pour avoir une action réellement toxique, notamment sur le plan cardiovasculaire. Il n’y a d’ailleurs pas de combustion mais juste vaporisation de la nicotine.
Récemment un pneumologue de Périgueux, le Dr Jacques Granger, a rapporté des effets très positifs de ces e-cigarettes dans une étude menée chez 100 fumeurs pourtant non désireux de s’arrêter. “Plus de la moitié d’entre eux, ont considérablement diminué leur consommation de cigarettes traditionnelles et 8 à 10 % se sont totalement arrêtés”, signale le Dr Mathern. Plusieurs études ont aussi révélé que ces cigarettes ne favorisent pas l’entrée dans le tabagisme chez les adolescents. Ce qui était une des principales craintes des tabacologues. “Pour l’instant, ces cigarettes semblent être consommées en France par trois catégories de “vapoteurs” : des fumeurs qui veulent stopper le tabagisme, des fumeurs qui ne désirent pas arrêter mais ne veulent plus inhaler de fumée de tabac, des curieux qui apprécient cette nouvelle forme d’aromathérapie“, précise le Dr Mathern.
Attention aux cigarettiers
Il y a toutefois des “mais” à la diffusion sans surveillance de la e-cigarette. “En premier lieu, les preuves au long cours d’efficacité sur le sevrage tabagique et d’innocuité manquent”, insiste le Dr Mathern. “Ensuite, le risque de favoriser le tabagisme pourrait être accru si ces e-cigarettes étaient vendues, non par des sociétés indépendantes comme aujourd’hui dont le comportement semble assez responsable et qui proposent de plus en plus des e-cigarettes de composition connue et constante, mais par les cigarettiers. Or, ces derniers ont déjà racheté plusieurs grosses compagnies fabriquant des cigarettes électroniques aux États-Unis”.
La proposition de loi, déposée le 2 mai 2012 par un député UMP du département du Nord, Thierry Lazaro, de restreindre la vente des e-cigarettes aux buralistes inquiète également fortement le Dr Mathern qui est favorable au maintien, sous conditions d’encadrement et de non vente aux mineurs, du système actuel de distribution de ces e-cigarettes, plutôt fiable et pratique pour les consommateurs français. “Il serait aussi dommageable que le projet de directive européenne de limiter le taux de nicotine à 4 mg/ml dans les cigarettes électroniques soit retenu. Car ceci leur ôterait leur principal intérêt : contribuer à la diminution de consommation du tabac”, ajoute cet expert.
u final, le Dr Mathern conseille aux médecins généralistes “de ne pas lutter contre la cigarette électronique, qui peut aider leurs patients fumeurs sans les exposer aux dangers bien plus considérables de la vraie cigarette avec ses carcinogènes et son oxyde de carbone”. Les praticiens devront toutefois expliquer à leurs malades “qu’ils ne peuvent leur délivrer une ordonnance, puisqu’il ne s’agit pas d’un médicament mais d’un produit de consommation courante, et rappeler que les effets au long cours de ces e-cigarettes ne sont pas connus”.
Ce rapport intervient alors que le tabac fait l’objet de nouvelles suspicions dans le diabète. “En sus des lésions micro et macrovasculaires qu’il induit et qui s’ajoutent à celles provoquées par l’hyperglycémie, le tabagisme majore en effet dans une proportion de 40 %, en moyenne, la probabilité de diabète de type 2 en favorisant l’apparition d’une insulinorésistance” explique le Pr Daniel Thomas, chef de service de cardiologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et porte-parole de la Société française de tabacologie. Ce risque s’élève avec le nombre de cigarettes fumées selon une relation effet-dose. Le rapport taille/hanche est ainsi augmenté chez les fumeurs, bien que leur poids soit en moyenne abaissé par rapport à celui des non fumeurs pour des raisons métaboliques, et les fumeurs présentent à poids égal une augmentation de la masse grasse. “Ce surrisque de diabète, qui disparaît à l’arrêt du tabac, représente un autre motif pour se débarrasser définitivement de la cigarette”, juge le Pr Thomas.
Des risques bien inférieurs à ceux de la cigarette
“Les mécanismes par lesquels le tabagisme exerce ses effets nocifs cardiovasculaires sont mieux connus”, continue le Pr Daniel Thomas. A côté de son impact délétère sur la fonction endothéliale, la fumée de tabac exerce des effets thrombogènes, qui jouent un rôle majeur dans l’apparition des accidents vasculaires cérébraux et infarctus du myocarde des fumeurs. “Ceci expliquerait pourquoi 80 % des infarctus du myocarde des sujets de moins de 50 ans sont relevés chez des fumeurs, un phénomène qui concerne de plus en plus les jeunes femmes, toujours plus enclines à s’adonner au tabagisme”.
Des études ont aussi montré que le tabagisme actif, comme passif, ne se contente pas de favoriser la formation des thrombi plaquettaires mais réduit le processus de dissolution de ceux-ci (fibrinolyse). “Les fumeurs sans lésion d’athérosclérose significative doivent donc savoir qu’ils sont exposés au risque d’accident cardiovasculaire et que même une épreuve d’effort normale ne permet de rassurer quant à la possibilité de survenue ultérieure d’un infarctus myocardique“. “De fait, la moitié des infarctus des sujets de moins de 50 ans, qui représentent environ 20 % de l’ensemble des infarctus, se voient en l’absence de sténose coronaire significative”, ajoute cet expert qui rappelle la nécessité “que ces fumeurs arrêtent le plus tôt possible le tabagisme, les données épidémiologiques ayant prouvé l’effet positif d’un sevrage précoce sur le plan cardiovasculaire et également sur le plan carcinologique“.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Drs Marielle Ammouche et Corinne Tutin
Le Pr Daniel Thomas déclare avoir été consultant pour les laboratoires Pfizer et Pierre Fabre Santé et avoir participé à des conférences organisées par les laboratoires Pfizer, Pierre Fabre Santé, Mc Neill et Novartis, dans le domaine concernant le tabagisme.
D’après un entretien avec le Pr Daniel Thomas (Paris) et le Dr Gérard Mathern (Saint-Chamond, 42).
Avec France-Info
http ://www.ofta-asso.fr/docatel/Rapport_e-cigarette_VF_1.pdf