Créée en 2003, l’association le Refuge accueille et héberge de jeunes homosexuels rejetés par leur famille. Alors qu’elle fête ses 10 ans, elle constate que l’homophobie n’a pas faibli en France. Au contraire, elle s’exprime davantage, libérée par le débat sur le mariage pour tous, comme l’explique le directeur de l’association, Frédéric Gal. Une étude considérait en 2007 que les jeunes homosexuel(le)s ont treize fois plus de risques de faire une tentative de suicide que les jeunes hétérosexuels.

 


Egora.fr :
L’association Le Refuge fête cette semaine ses 10 ans d’existence. Pouvez-vous nous rappeler quelle est sa raison d’être et quelles sont vos missions ?

Frédéric Gal : Le refuge a été créé en 2003 pour aider de jeunes homosexuels se retrouvaient exclus de chez eux du fait de leur orientation sexuelle. L’idée était de créer une structure qui pourrait les héberger, les accompagner et les aider à retrouver une autonomie. En 2006 nous avons ouvert le premier appartement. Puis des délégations se sont créées à Montpellier, puis Paris, Marseille, Lyon et Toulouse. En tout nous avons aujourd’hui 50 places d’hébergement. Qui ont toujours été occupées. L’année dernière, on a eu 930 demandes d’aides, et nous avons hébergé 114 personnes.

 

L’association SOS homophobie vient de publier un rapport indiquant que les agressions homophobes ont augmenté de 27 % en 2012 (voir encadré). Est-ce quelque-chose que vous avez-vous constaté sur le terrain ?

Bien-sûr. C’est quelque chose que nous avons vérifié. Entre décembre 2011 et janvier 2012, nous avons reçu environ 80 appels. Sur la même période un an plus tard, c’est-à-dire entre décembre 2012 et janvier 2013, on en eu 460. Le débat sur le mariage pour tous a bien-sûr eu un effet. Mais au delà du débat, ce sont surtout les propos qui ont pu être écrits ou dits durant ces derniers mois qui ont révélé l’homophobie. Nous avons aussi été surpris de recevoir plusieurs mails de jeunes qui ont participé aux manifestations contre le mariage, qui étaient eux-mêmes homosexuels, mais qui ont été entrainés, et fortement incités à y aller. Pour eux, cela a été une grande souffrance.

 

Comment expliquer cette hausse ?

Ce n’est pas qu’il y a une hausse de l’homophobie. Nous n’avons pas découvert en 2013 que des gens homophobes existaient en France. Par contre, nous avons constaté qu’en 2013 les personnes homophobes s’exprimaient de manière plus claire et libérée qu’avant. Cela n’était pas le cas auparavant où on hésitait, on avait presque honte à exprimer son homophobie. On ne dit pas que toutes les personnes qui sont contre le mariage sont homophobes. Mais dans ce débat, les propos tenus ont très souvent été dirigés très clairement contre l’homosexualité. A savoir, la question n’a pas été de se dire “est-ce que le mariage est bien ou pas ?”, mais “est-ce que les personnes homosexuelles sont assez normales pour avoir droit au mariage ?”

 

Comment se manifeste cette homophobie ?

Elle a plusieurs niveaux. La plus classique, on va se faire insulter ou frapper. Mais il y a une autre homophobie, plus insidieuse, qui consiste à mettre à l’écart. Souvent un jeune qui révèle son homosexualité constate que ses camarades vont s’éloigner, vont moins lui parler, vont changer d’attitude. Du coup, cela créé un isolement qui est très mal vécu pour des personnes qui sont déjà peu à l’aise. Alors comment imaginer qu’un garçon qui a une vie sociale “normale” peut continuer à être bien dans sa peau à partir du moment où les personnes qui sont les plus proches de lui ne lui apportent pas le soutien dont il a besoin ?

 

Quel est le parcours de vie des jeunes qui arrivent au Refuge ?

Tous les cas que nous rencontrons sont marquants et symptomatiques. Nous avons des jeunes qui cachent leur homosexualité, mais les parents la découvrent car ils sont allés sur des sites gays ou ont parlé à de jeunes hommes sur Internet. C’est un choc ! A 20h, leur vie est normale, à 20h30 les parents découvrent tout et ils sont dehors avec la valise. On a eu l’exemple d’un beau-père qui a dit à son beau-fils : “Si tu pouvais te suicider ca soulagerait ta mère.” Une mère qui dit, “Si je l’avais su pendant la grossesse j’aurais avorté.” Ces propos sont le couperet de nombreux jeunes qui doivent supporter cela au jour le jour. C’est particulièrement violent pour eux. Mais à côté des mots, ce sont les actes qui sont terribles. Quand un père met son fils à la porte, le ressenti est insurmontable.

 

En dix ans d’existence, n’avez-vous quand-même pas constaté une évolution positive de la façon dont est perçue l’homosexualité ?

Nous avons plus de demandes chaque année. Cela coïncide au fait que nous sommes plus connus. L’homophobie s’exprime davantage, certes. Mais il y a aussi une évolution positive. Il y a 10 ans, l’homosexualité était assimilée soit au Sida, soit à la gaypride. On en avait une vision très caricaturale. Avec le temps, on a expliqué ce qu’était l’homosexualité, que ce n’était pas une maladie, ni une déviance. Et que les homosexuels étaient des personnes comme tout le monde. Aujourd’hui, lorsque nous allons dans les lycées faire de la sensibilisation on constate que ces idées sont encore présentes dans les esprits, mais qu’il y a la possibilité d’engager une réflexion sur le sujet. C’est positif.

 

Les médecins ou les infirmières scolaires notamment peuvent rencontrer des jeunes touchés par l’homophobie. Comment peuvent-ils agir ?

Il faut qu’ils soient sensibilisés. Qu’ils aient une réflexion sur le sujet en comprenant les problèmes de ces jeunes. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. C’est pourquoi nous sommes là aussi à ce niveau pour les accompagner s’ils sont confrontés à des cas qu’ils ne parviennent pas à gérer.

 

27% d’actes homophobes en plus en 2012

A l’occasion de la journée mondiale contre l’homophobie, qui se tient ce vendredi 17 mai, l’association SOS Homophobie vient de publier son bilan “pas très encourageant”, indique la président Elisabeth Ronzier. L’association a recueilli l’année passée, avec un net pic entre octobre et décembre, 1.977 témoignages de personnes rapportant un fait homophobe, soit 27% de plus qu’en 2011. Chaque jour, un peu plus de cinq récits en moyenne sont parvenus à SOS Homophobie pour signaler des insultes (44% des cas), de la discrimination (16%), des menaces ou du chantage (14%). Les agressions physiques constituent quant à elles 8% des faits rapportés, les “outings” 2% et les agressions sexuelles 1%. Les agressions sur Internet représentent 35 % des récits recueillis par l’association, tandis que l’homophobie “de proximité” concerne 36% des faits. Il s’agit de cas recensés sur le lieu de travail, dans la famille et l’entourage proche, dans les lieux publics ou dans le voisinage. Difficile pour autant d’affirmer que les actes homophobes ont augmenté en 2012. Le rapport de SOS Homophobie, s’il constitue le seul outil d’analyse quantitative en France sur le sujet, n’a pas de valeur statistique, puisqu’il se base uniquement sur des témoignages, un suivi de l’actualité et une analyse de la presse.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot