Les avis sont partagés sur le DSM-5, même s’il parait évident pour tous que son utilisation ne peut remplacer l’écoute et l’empathie.

 

Après une difficile gestation, la cinquième édition du Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-5) vient d’être présentée officiellement au congrès de l’Association américaine de psychiatrie, dans un climat persistant de critiques et de controverses. Même si certains nouveaux diagnostics, comme le syndrome de psychose atténué, qui avaient déclenché une vague de protestations, ont finalement été écartés de la version finale, de nombreux psychiatres dénoncent les risques de multiplication des diagnostics psychiatriques.

 

“La plupart des nouveaux diagnostics ne sont pas fiables”

C’est le cas du Dr Patrick Landman (psychiatre à Paris), président du collectif Stop DSM. Celui-ci dit pourtant ne pas être opposé aux classifications. “Le DSM-III a représenté un progrès. Il a amélioré la fiabilité des diagnostics, permis d’établir un langage commun entre les psychiatres, servi de base pour les études épidémiologiques. Nous en avons besoin pour la recherche. Mais je trouve que le DSM-V accentue les dérives déjà perceptibles dans le DSM IV. A l’époque l’introduction du trouble bipolaire de type 2 (avec des phases d’inversion de l’humeur d’au moins quatre jours, sans épisode hypomaniaque franc) avait multiplié par deux les troubles bipolaires. Aujourd’hui, sous prétexte de prévention de la maladie d’Alzheimer, on crée le diagnostic de troubles cognitifs mineurs. Nous assistons à une surmédicalisation de tous les comportements de l’existence, avec par exemple l’extension du comportement addictif, désormais ouvert à tous les objets possibles, le sexe, internet… Les enquêtes de terrain montrent que la plupart des nouveaux diagnostics ne sont pas fiables.”

Le risque d’inflation des diagnostics ne tient peut-être pas tant dans la création de nouvelles catégories que dans la modification des critères diagnostiques. Ainsi, passé un délai de 15 jours, le deuil ne constitue plus un critère d’exclusion pour le diagnostic de dépression majeure. “De petites modifications peuvent avoir des effets importants, remarque le Dr Landman. Dans le DSM-III on a supprimé l’homosexualité. A l’époque, je me suis dit que si les auteurs de ce manuel avaient le pouvoir de faire sortir des millions de personnes du champ de la maladie mentale, ils pouvaient en faire entrer autant. Il suffit de changer un peu les seuils, puisqu’on ne dispose d’aucun marqueur biologique. Certains diagnostics sont des constructions sociales.”

“Le DSM est d’autant plus pertinent que l’on est dans le champ des maladies caractérisées (schizophrénie, troubles bipolaires…) et d’autant moins que l’on est aux frontières du normal et du pathologique, analyse le Pr Michel Lejoyeux, psychiatre à l’hôpital Bichat. Je suis aussi agacé par ceux qui imaginent que l’exercice de la psychiatrie se limite à la compilation des critères du DSM, que par ceux qui, par idéologie, refusent en bloc le travail considérable qu’ont mené nos confrères nord-américains, même si, comme toute classification, celle-ci a des aspects discutables. Elle conduit à une multiplication des diagnostics. C’est caricatural avec le deuil, qui n’exclut plus la dépression. Mais on est aussi en difficulté avec les troubles de la personnalité, car il est difficile d’adopter dans ce cas des critères pour faire la différence entre le normal et le pathologique.”

 

Création de nouvelles maladies ?

Le DSM-III (1980), qui a rompu avec la tradition psychanalytique des deux premiers DSM et introduit les troubles de la personnalité, aux côtés des maladies avérées, comptait déjà 265 diagnostics et le DSM-IV (1994, révisé en l’an 2000) 297. “Aujourd’hui, le DSM-5 en recense plus de 350, dénonce le Dr Landman. L’incidence du trouble bipolaire chez l’enfant a été multipliée par 40 en 20 ans. Pour éviter ces surdiagnostics, les auteurs ont créé le diagnostic de colères explosives, chez l’enfant de plus de six ans. Cela entretient un amalgame entre les problèmes sociaux, familiaux, pédagogiques et va encore conduire à des diagnostics excessifs et à des traitements inappropriés. Poser des labels psychiatriques sur des enfants n’est pas toujours une bonne chose.”

Pour le Pr Kovess-Masfety, psychiatre et épidémiologiste (Université Paris-Descartes et EHESP), beaucoup de critiques viennent, en réalité, d’une méconnaissance du DSM. “Par exemple j’ai entendu dire que n’importe quel gourmand allait se retrouver avec l’étiquette d’hyperphage. Mais pour le diagnostic d’hyperphagie, à côté des deux critères principaux (ingestion d’une très grande quantité d’aliments sur une courte période, sensation de perte de contrôle) il y a le fait de ressentir une détresse psychologique très profonde par rapport à ce symptôme. Nous avons participé à une grande enquête internationale. En utilisant les critères du DSM, 0,3 % seulement de la population française remplissaient les conditions pour ce diagnostic sur un an. On est loin de la gourmandise ! Voilà l’un des diagnostics que l’on monte en épingle. En réalité si les médecins utilisaient sérieusement le DSM il y aurait moins de surdiagnostic et de prescription de psychotropes.”

Selon la grande enquête nationale américaine (National Comorbidity Survey Replication), sur une année, 26 % de la population américaine souffrirait d’au moins une maladie mentale selon les critères du DSM IV (Kessler RC et coll. Arch. Gen. Psychiatry 2005). Parmi ceux-ci la moitié aurait au moins deux maladies. “Mais les problèmes de santé mentale sont assez fréquents, observe le Pr Kovess-Masfety. En France, environ 6 % de la population a eu un épisode dépressif majeur, 10 à 15 % des troubles anxieux. Sur la vie entière la prévalence des maladies mentales est d’environ 20 %. Cela ne veut pas dire que ces troubles durent toute la vie. La durée moyenne de l’hyperphagie, par exemple, est de quatre ans.”

 

Outil diagnostic majeur ?

Outil pour la recherche, le DSM exerce, cependant, une influence évidente sur la pratique clinique, y compris pour les généralistes, qui prescrivent 80 % des psychotropes. “Il y a deux ans l’Assurance maladie a adressé un document à tous les généralistes pour leur apprendre à reconnaître la dépression en 10 questions, calquées sur le DSM-IV, signale de le Dr Landman. Pour réduire la consommation de psychotropes, je pense qu’il vaudrait mieux leur apprendre à avoir plus de patience et d’empathie, les former à l’entretien, à repérer des signes, bien sûr, mais de façon complémentaire à la psychologie. Dans bien des cas les patients ont des épisodes dépressifs légers qui ne nécessitent pas de prescription médicamenteuse. Il faut garder en tête les paradigmes de l’OMS : la santé mentale est déterminée par des facteurs socioéconomiques, biologiques et environnementaux.”

Les discussions sur le DSM-5 reflètent bien, en réalité, la période intermédiaire que traverse la psychiatrie, où de nombreuses pistes de recherche sont ouvertes, mais où les progrès décisifs se font attendre. “Le DSM est un manuel diagnostique et statistique, rappelle le Pr Lejoyeux. Par moment il est intéressant d’y jeter un œil critique. En définition de base, devant être contextualisé, complété, personnalisé c’est très bien. Dans la psychiatrie il y a une dimension d’écoute, de réassurance, mais aussi de diagnostic. Or je trouve que les médecins ont bien du mal à poser des diagnostics psychiatriques. Mais il ne doit pas être utilisé comme un guide d’entretien. Je serais très inquiet d’un médecin qui n’aurait pas d’écoute et serait un compilateur de symptômes, mais tout aussi inquiet d’un médecin qui ne connaitrait pas les critères des maladies.”

Le Pr Kovess-Masfetyn’a pas un avis très différent. “Si on utilise le DSM comme le seul instrument clinique en soumettant les patients à un questionnaire, plutôt que leur parler, c’est dangereux, estime-elle. Mais le DSM est indispensable pour affiner les diagnostics pour la recherche clinique. Chaque critère peut être critiqué, mais la démarche me parait bonne. La psychiatrie risque d’être décrédibilisée par cette controverse. C’est dommageable pour les malades. Tout message qui va dans le sens de montrer que les maladies mentales existent et qu’on peut les reconnaître selon des critères est bonne.”

 

Vers la fin du DSM ?

Le DSM-5 sera sans doute lui-même un jour obsolète. C’est ce qu’a laissé entendre le directeur du National Institute of Mental Health américain (NIMH), en décrivant le projet RDoC, (Research Domain Criteria). Ce projet a été lancé par le NIMH pour recueillir des données cliniques et biologiques afin d’établir une nouvelle classification qui s’affranchirait totalement des catégories du DSM-5. Les variations des fonctionnements de base, comme le circuit neurologique de la peur ou la mémoire de travail, serait mesuré sur des critères neurobiologiques, au travers du spectre des maladies traditionnelles. Bien d’autres polémiques en perspective…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot

 

D’après des entretiens avec le Dr Patrick Landman (psychiatre à Paris), le Pr Michel Lejoyeux (psychiatre à l’hôpital Bichat, Paris), et le Pr Kovess-Masfety(psychiatre et épidémiologiste, Université Paris-Descartes et Ehesp).