Deuxième volet de notre série de focus dans trois pays particulièrement touchés par la crise. Aujourd’hui : Le Portugal. Depuis quelques années, de “doentes” (malades), les patients des hôpitaux sont petit à petit devenus des “clientes” (clients). Mais comment s’étonner de ce glissement sémantique quand on sait qu’une grande banque portugaise est à la tête du plus important groupe hospitalier du pays ? Et que l’État envisage encore la vente de plusieurs hôpitaux publics déficitaires. Ils seraient un tiers à être considérés comme totalement insolvables. Et leur dette totale s’élevait fin 2012 à 3 milliards d’euros.

 

Pourtant, le Portugal avait réussi à construire l’un des systèmes de santé les plus efficaces d’Europe. Acquis de la révolution des Oeillets de 1974, il a haussé le pays au premier rang en termes de réduction de la mortalité infantile et parmi les premiers en termes d’espérance de vie. Malheureusement, ces performances ont peu de poids face à une troïka (FMI, BCE et Union européenne) intransigeante. En échange d’une aide de 78 milliards d’euros, le gouvernement n’a pas hésité à réduire le budget de la Santé : -11% prévus en 2013.

 

2100 patients par médecin

Pour commencer, réduction drastique des remboursements de médicaments, faisant grimper la facture de pharmacie des citoyens de 3% en un an. Les tickets modérateurs ont par ailleurs doublé pour tous les services de santé : une consultation en centre de santé coûte désormais 5 euros –non remboursés– contre 2,25 euros auparavant ; un passage dans un service d’urgences hospitalières est facturé 20 euros, contre 9,60 euros jusqu’en 2011. Et alors que plus de 1 million de Portugais n’ont pas de généraliste, faute de praticiens, le gouvernement prévoit de demander à chaque médecin de prendre en charge 2 100 patients contre 1 500 actuellement.

Plus grave encore, la campagne de vaccination contre la grippe a connu des ratés faute d’infirmiers en nombre suffisant. Cela peut expliquer en partie l’augmentation alarmante du taux de mortalité l’hiver dernier. Selon la direction générale de la Santé portugaise, près de 11 600 personnes sont mortes à la fin de l’hiver 2011-12, soit 10% de plus qu’à la même période l’année passée. La plupart des victimes avaient plus de 75 ans. Pour la direction générale de la Santé, cette hausse résulte des conditions météorologiques inhabituellement froides et des maladies saisonnières comme la grippe. Les médecins y voient quant à eux un des effets de la crise et de la réduction des dépenses publiques. Même Médecins du monde a dû fermer de nombreux centres de santé.

 

Lettre ouverte des médecins aux responsables européens

Pour les personnes défavorisées, qui représentent un quart de la population, il s’agit de choisir entre se loger, manger, se chauffer… et se soigner. “Cette année, il y a eu moins de cas de grippe par rapport à ce que nous avons connu les années précédentes, explique Ana Filgueiras, directrice de l’ONG Cidadãos do mundo (Citoyens du monde), pour qui l’explication du gouvernement ne tient pas. C’est en raison des difficultés causées par la crise actuelle que les personnes âgées pauvres ne peuvent plus se payer les transports, les frais d’hôpitaux et les médicaments pour se soigner.”

Autre symbole de la crise, les Portugais recourent de plus en plus aux antidépresseurs. Leur consommation a augmenté de 7,1% sur les huit premiers mois de l’année de 2012 par rapport à la même période l’année précédente. Pour sortir de cette situation insoutenable, des médecins portugais, espagnols, irlandais et grecs ont envoyé une lettre ouverte aux responsables politiques et aux autorités sanitaires de l’Union européenne dans laquelle ils dénoncent les décisions financières prises depuis 2008 et demandent “une action immédiate pour renverser la situation”. “Les coupes budgétaires ont eu pour effets une détérioration des systèmes de santé, l’émigration des jeunes les plus qualifiés, un chômage de longue durée et des taux de fécondité en chute. Tout cela, ajoutent-ils, pourrait avoir des conséquences très graves à long terme.”

Source :
www.egora.fr
Auteur : Concepcion Alvarez