Tanguy de Lamotte est arrivé 10e du Vendée Globe, battant pavillon Initiatives-coeur. Doté de l’un des deux plus vieux bateaux engagés dans la course, il a réalisé un exploit qui a permis, grâce aux dons, d’opérer dix-huit enfants victimes de cardiopathies ou de malformations cardiaques, venus d’Afrique et d’Asie. Rencontre, après ses vacances, avec un baroudeur au coeur gros comme ça…

 

 

Egora.fr : Votre équipée de quatre-vingt-dix-huit jours et vingt et une heures n’a pas dû être une partie de plaisir…

Tanguy de Lamotte : Oui. Mais c’est sans doute moins difficile de naviguer que de répondre immédiatement aux milliers de sollicitations, radio, télé…

 

Comment êtes-vous parvenu à gérer votre sommeil à votre retour ?

Sur les quatre-vingt-dix-huit jours, ma moyenne de sommeil a été de 5h58. La préparation a consisté essentiellement à accumuler le plus de sommeil possible, partir le plus reposé possible, avec le moins de stress. La veille du départ, j’avais dormi comme un bébé, je m’étais réveillé frais comme un gardon… Vivre près de trois mois de vie avec moins de six heures de sommeil par jour fait entrer dans un cycle de fatigue. En y ajoutant la dureté des éléments et le froid, c’est un contexte qui prend très violemment de l’énergie dans le corps humain. J’ai très mal dormi la première nuit de mon arrivée – mais c’est peut-être parce que j’avais fait la fête. Depuis, j’ai vraiment beaucoup dormi, pour reposer mon corps. Je n’avais pas de pression extérieure parasite s’agissant de mon résultat, mais j’avais tout de même l’impression de partir pour l’inconnu, faire un tour du monde difficile et dangereux. Tout au long de la course, j’avais pleinement le plaisir de naviguer plus que l’angoisse de ne pas être au top du top tout le temps. Je guidais mon bateau correctement, en essayant d’être fidèle à ce qu’il pouvait donner. J’avais un curseur un peu différent de ceux qui étaient en tête de la course et qui essayaient de gagner. Je n’étais pas parti pour gagner, on n’avait pas du tout les mêmes objectifs. Ce qui induit une différence dans la manière de se reposer aussi.

 

Pourquoi étiez-vous parti alors ?

Pour essayer de boucler cette course difficile, il y a tout de même 50% des coureurs qui n’y arrivent pas. J’y suis parvenu grâce à l’obstination, la préparation, le travail que nous avons fait en amont, et puis j’avais aussi l’objectif humanitaire de sauver des enfants. Cette responsabilité d’être à l’arrivée pour que la chaîne de solidarité soit efficace était plus forte que de terminer mon aventure personnelle. Cela m’a aidé à tenir dans certains moments difficiles tout en contribuant à démontrer que la navigation peut être utile. Avec le label associatif Mécénat Chirurgie cardiaque, j’avais ces priorités, et pas du tout celles de gagner. Il n’empêche que je me suis retrouvé tout seul sur ce bateau, avec le vent qui souffle et les vagues qui mouillent…

 

Et votre bateau n’était pas de la dernière génération, contrairement à ceux de certains de vos concurrents.

Tout à fait. Mon bateau était l’un des deux plus vieux de la course. Les bateaux qui ont gagné, un peu comme les formules 1, sont plus fragiles. Pour gagner, les skippers prennent des risques, ce qui peut les amener à l’abandon. Moi, je voulais terminer, pas gagner. Alors, certes, mon bateau est plus lourd qu’un autre, mais il est aussi plus solide, j’avais ce stress en moins. J’ai percuté un objet flottant, j’ai eu une voie d’eau aussi. Ma chance a été que ces avaries ne m’ont pas obligé à arrêter la course. Je suis architecte naval à l’origine, j’ai construit plusieurs bateaux, j’ai manié des kilos et des kilos de résine, j’ai pu réparer.

 

Quelles sont vos relations avec Mécénat Chirurgie cardiaque ?

J’ai commencé en 2002 à construire mon mini transat, et j’avais un sponsor qui s’appelait SET Environnement, spécialiste du désamiantage. En même temps qu’il m’aidait, il devait aussi faire un don à Mécénat Chirurgie cardiaque, c’était le principe. Puis j’ai eu la société Novelia, qui a également fait un don. Mais un peu avant la Route du rhum, SET a arrêté, et, par hasard, j’ai rencontré la société Initiative, qui vend des sociétés de financement dans le monde associatif et du chocolat. Les deux directeurs des deux boîtes se connaissaient, ils ont partagé mon budget. J’ai gagné la Solidaire du chocolat, et puis j’ai préparé le Vendée Globe, qui était ma première course en solitaire, en 60 pieds. Comme le métier de mon partenaire est de récolter de l’argent pour différents projets, il a eu l’idée de mettre en avant Mécénat Chirurgie cardiaque. Et de faire une sorte de Téléthon, permettant de récupérer de l’argent pour opérer les enfants. C’est ainsi qu’est née Initiative coeur, spécifiquement pour le Vendée Globe. C’est un compte de passage, un outil financier permettant les dons vers Mécénat Chirurgie cardiaque… Au début de la course, on avait l’objectif de pouvoir faire opérer six enfants, ce qui nous obligeait à récolter 72000 euros, correspondant à 72000 clics sur le site, car chaque clic correspond à 1 euro. Et on en est à plus de 200000, soit dix-huit enfants opérés, certains pendant la course ! Mécénat finance l’opération de cent cinquante enfants par an. La société qui fabrique le petit robot NEO que j’avais à bord a également financé l’opération d’un enfant.

 

Ces enfants, vous les connaissiez ?

J’ai eu pas mal d’échanges avec certains d’entre eux. Ils m’envoyaient des photos, et à chaque fois je présentais un petit nounours qui symbolisait un petit enfant. Ils viennent d’Afrique et aussi d’Asie. Six d’entre eux étaient là au moment de mon arrivée, et ça a été extraordinaire, un symbole extrêmement fort, car ces gosses-là, je les avais rencontrés avant mon départ, certains ne pouvaient plus marcher. Sans intervention, ils n’avaient plus qu’une espérance de vie de quelques mois alors qu’une fois opérés ils sautent sur le bateau, ils jouent au foot et ils font des blagues. Une espérance de vie normale, quoi ! Les gens qui cliquent pour qu’on donne 1 euro, ils font vraiment un acte concret, ils savent qu’on est là pour sauver des enfants, ils sont touchés.

 

Ce sont des raisons personnelles qui vous ont rapproché de cette association ?

Pas du tout, personne autour de moi n’est touché par ce type de pathologies. Mais Mécénat Chirurgie cardiaque est une association très présente dans le milieu sportif en général et de la voile en particulier. L’une de leurs marraines est une amie, Catherine Chabaud, l’une des premières femmes à avoir terminé le Vendée Globe. Elle nous a mis en contact, et je leur suis resté fidèle, car leur but me parlait et je trouvais intéressant de transformer en quelque chose d’utile une navigation que l’on fait quasiment à titre personnel. Je fais beaucoup de sports différents, et Mécénat m’invite souvent à faire des courses à vélo – le Tour en France en avant-première, par exemple– ou un marathon sous leurs couleurs. Et je me rends compte qu’à chaque fois on aide à sauver des vies. Ce n’est pas de l’esbroufe, il y a plein de bénévoles dans l’association, ils sont efficaces, j’adore voir les enfants et je suis très heureux d’être leur ambassadeur, même si ça prend du temps.

 

Quels sont vos pires et meilleurs souvenirs du Vendée Globe ?

Le pire, c’est lorsqu’en pleine remontée de l’Atlantique j’ai touché un objet flottant qui a détruit une dérive, ce qui a entraîné une voie d’eau dans le bateau. J’ai tenté de réparer pendant deux jours, je n’arrivais pas à démêler la situation même si je savais que cela n’allait pas m’obliger à abandonner. Cela a été difficile, très dur physiquement, j’ai dû me mettre à l’eau pour réparer. En revanche, le meilleur moment, c’est lorsque la dérive s’est débloquée et que j’ai pu reprendre la route. Le contraste est si fort que le pire moment est juste apposé au meilleur moment. Et puis, j’ai eu la chance de passer le réveillon à l’anté-méridien, ce qui fait que j’ai fêté deux fois le Nouvel An. Et j’ai aussi fêté Noël tout seul, ce qui fut une expérience très forte : c’est ce que je voulais, ça voulait dire que j’étais encore en course. Enfin, évidemment, il y a l’arrivée dans le chenal, avec les enfants qui m’attendent. C’était formidable de les voir. Là encore, terrible contraste après la solitude et énorme échange d’énergies extrêmes.

 

Architecte naval et fou de mer

Ce sont deux mauvaises blessures au judo, qu’il pratiquait à un haut niveau jusqu’à ses 15 ans, qui ont permis au Lorientais Tanguy de Lamotte, 38 ans aujourd’hui, de découvrir la voile. Il sera donc architecte naval et part bac en poche pour Southampton, en Angleterre, pour se former. Là-bas, il rencontrera les plus grands skippers qui l’encourageront à tenter sa chance. Le rêve se réalise en 2002, avec la naissance de son bateau, puis en 2005, avec sa participation à la Mini Transat, où il termine 7e. Ce qui l’intéresse, c’est toute la partie technique d’un projet, avec bien sûr le dessin du bateau. Il rejoint alors le cabinet d’architectes Simon Rogers pour dessiner les plans de son Class40 avec lequel il gagne la première édition de la Solidaire du chocolat. Après une fin d’année 2011 malheureuse, marquée par un abandon sur la Transat Jacques-Vabre, Tanguy de Lamotte a affronté l’Altantique pour son premier Vendée Globe, en partenariat avec Initiatives et Mécénat Chirurgie cardiaque. Il s’est classé 10e.

 

L’aide humanitaire en tête

Créée en 1996 par le Pr Francine Leca et Patrice Roynette, l’association Mécénat Chirurgie cardiaque permet à des enfants de pays défavorisés de se faire opérer en France. Elle permet également aux praticiens des pays d’origine de suivre une formation. Environ cent cinquante d’entre eux sont pris en charge chaque année, Tanguy de Lamotte a permis à dix-huit enfants de bénéficier de l’opération cardiaque qui leur a sauvé la vie. Le skipper a acquis l’ancien monocoque Whirlpool qui a participé aux Vendée Globe 2000-2001 et 2004-2005. Retapé par l’équipe de Michel Desjoyeaux, le bateau, qui a connu sa première mise à l’eau en 1998, a vogué pavillon Initiatives coeur pour son nouveau tour du monde. Soutenu par DMP-Initiatives et par la chocolaterie Alex Olivier, Initiatives-coeur est un fonds de dotation international qui a pour objet la protection de l’enfance. À chaque clic, c’est 1 euro qui est collecté pour les opérations des enfants.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne