La question du dépistage du cancer de la prostate est en train de devenir un faux problème avec le développement du concept de surveillance active des patients qui diminue considérablement le risque de surtraitement. C’est ce qu’expliquent plusieurs spécialistes dans une monographie de la Revue du Praticien sur le cancer de la prostate qui vient d’être publiée.
Le dépistage du cancer de la prostate fait encore actuellement l’objet d’un profond débat. L’idée même de tout dépistage de cette maladie a été remise en cause au début 2012 avec la publication des résultats contradictoires de deux études (Erspc et Plco), et une recommandation américaine (de l’United states preventive services task force, Uspstf) qui préconisait de ne plus recourir au dosage du PSA chez les hommes n’ayant aucun signe clinique évocateur d’un cancer de la prostate. Et, en France, la Haute Autorité de Santé (HAS) confirmait l’absence d’intérêt à effectuer un dépistage organisé systématique, même dans une population d’hommes considérés à haut risque.
L’Association française d’urologie (AFU), et de nombreux spécialistes, réfutent cette analyse. Ainsi, les Pr Michel Soulié (Toulouse) et Laurent Salomon (Créteil, 94) considèrent, dans la monographie de la Revue du Praticien consacrée au cancer de la prostate (avril 2013), que “cette polémique a mélangé le bénéfice modeste en termes de survie spécifique de l’étude européenne Erspc, le dépistage organisé versus le dépistage individuel de l’étude Plco, les notions de “surdiagnostic” et de “surtraitement” pour nombre de patients dépistés”. Pour ces spécialistes, il ressortait de ces études que le dépistage réduit bien la mortalité (Erspc) et que le dépistage de masse n’apporte pas de bénéfice net en termes de survie par rapport à un dépistage individuel ou opportuniste (Plco) ; ce qui contraste avec les messages qui ont été véhiculés dans les médias, – à savoir une inefficacité du dépistage -, ce qui a pu “induire le public en erreur et lui faire courir des risques pour sa santé”, expliquent les spécialistes.
Surdiagnostic et surtraitement
Les craintes généralement mises en avant par les opposants au dépistage sont un risque de surdiagnostic et de surtraitement, avec son corollaire d’effet secondaires.
Le surdiagnostic est le diagnostic de cancers qui ne se seraient jamais révélés du vivant de la personne. Dans les deux études randomisées (Erspc et Plco), les taux de surdiagnostic variaient entre 17 et 50 %. Cependant, “pour les cliniciens, le terme de surdiagnostic apparaît inapproprié, car il s’agit de “vrais cancers” même si le très faible volume tumoral et le risque de progression en laissent certains cliniquement latents tout le long de la vie. À ce stade, la question reste la mesure optimale du potentiel évolutif de la tumeur fondée sur des bases biologiques scientifiquement validées”, soulignent les urologues.
Le surtraitement correspond au traitement d’un cancer sans impact sur le pronostic de la maladie. Ce risque est évoqué pour des patients ayant un foyer tumoral non palpable, jugé peu agressif (score de Gleason inférieur ou égal à 6) et considéré comme latent sur les données du bilan. Le taux de surtraitement varie selon les études.
Ainsi dans Erspc, 80 % des patients ont reçu un traitement, alors que plus de 50 % des cancers identifiés étaient de faible agressivité. Et près de 90% des hommes américains ayant eu un diagnostic de cancer de la prostate ont bénéficié d’un traitement précoce par chirurgie, radiothérapie ou suppression androgénique. Pour les Prs Michel Soulier et Laurent Salomon “ce risque [de surtraitement] concernerait 25 % des patients dépistés par le dosage du PSA et ayant un microfoyer de bas grade de Gleason“. Pour les Prs François Desgrandchamps et Christophe Hennequin (hôpital Saint Louis, Paris), autres auteurs de cette monographie de La Revue du Praticien, “il est évident qu’un grand nombre de patients ne nécessitent pas de traitement : il y a beaucoup plus de patients qui mourront avec leur cancer de la prostate que de leur cancer : 10 ans après le diagnostic, sur un échantillon de 15 516 patients non traités, 8 % sont décédés de leur cancer contre 64 % d’une autre cause”.
Surveillance active
Il apparait donc fondamental de pouvoir sélectionner les patients en fonction du risque d’évolution de leur cancer et de pouvoir proposer à ceux ayant un cancer favorable une alternative aux traitements lourds susceptibles d’entrainer des séquelles. Cette nouvelle approche thérapeutique semble être la “surveillance active”. Les critères d’inclusion ne sont pas encore totalement définis, mais dépendent des facteurs d’évolutivité du cancer : tumeur non palpable, grade de Gleason faible, taux de PSA faible, nombre de biopsies positives réduit….
Cette option est discutée en réunion pluridisciplinaire. Elle est basée sur une surveillance clinique et biologique étroite (toucher rectal, PSA, biopsies). En cas d’évolutivité de ces données (augmentation rapide de la valeur du PSA, modification du stade clinique ou du score de Gleason),le patient sera réorienté vers un traitement actif. “Actuellement, plus de 3 000 patients ont été inclus dans ces programmes, certains avec un suivi supérieur à 10 ans. Il s’avère qu’environ un tiers des patients progressent et nécessitent un traitement radical. Mais la survie spécifique de ces patients à 10 ans est de 97 %. Aucune étude n’a mis en évidence une diminution de la probabilité de survie globale ou spécifique, cependant ces études ont encore un suivi court”, affirment les Prs Desgrandchamps et Hennequin.
Cette surveillance active, actuellement en cours d’évaluation, pourrait concerner près d’un tiers des patients diagnostiqués: dans le programme de dépistage de Göteborg, sous-groupe de l’étude European RandomizedStudy of Screening for Prostate Cancer, plus de 30 % des patients chez qui un cancer a été diagnostiqué sont en surveillance active. En outre, il semble que cette surveillance active soit globalement bien acceptée par le patient à partir du moment où elle est bien expliquée.
Affiner la sélection des patients
“Comment refuser de faire reculer la mortalité de ce cancer (3e cause de décès par cancer de l’homme) en écartant la possibilité d’un diagnostic précoce, même si la majorité des patients décède à plus de 75 ans à l’issue de longues années de traitements impactant leur qualité de vie ? Comment imaginer, dans l’avenir, s’affranchir des prélèvements histologiques, des progrès de la biologie moderne et de l’imagerie pour prendre une décision ?”. Les Prs Soulier et Salomon s’insurgent contre les risques que représenterait une absence de dépistage du cancer de la prostate. Une étude américaine, datant de 2008, montre ainsi que le nombre de patients en situation d’emblée métastatique seraient multiplié par trois. L’AFU s’est prononcé pour une détection individualisée précoce des hommes à partir de 50 ans, tout en évitant le surdiagnostic et le surtraitement des formes d’évolution lente, et en considérant la surveillance active comme une option thérapeutique.
A l’avenir, plusieurs pistes sont envisagées pour tenter de sélectionner encore mieux les patients et limiter les traitements inutiles et dangereux. Les réflexions portent sur la précocité du dosage de PSA, leur fréquence, le recours à d’autres marqueurs (formes moléculaires de PSA, score PCA3, tests génétiques). “Une piste très intéressante se fonde sur les performances de l’imagerie par résonance magnétique (IRM)”, ajoutent les Prs Soulier et Salomon. En effet, l’IRM peut repérer les tumeurs agressives et pourrait être proposée avant la décision de réaliser des biopsies chez les hommes avec un PSA supérieur à 4 ng/mL.
Les Prs François Desgrandchamps et Christophe Hennequin concluent : “Le dépistage n’est pas délétère par lui-même mais par le surtraitement qu’il induit. Il faut non pas freiner les médecins dans la recherche du cancer grave, mais plutôt contenir les thérapeutes dans la mise en route de traitements inutiles et dangereux.”
Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Marielle Ammouche