Inutiles, illégales, épuisantes… Les médecins généralistes n’ont pas de mots assez durs pour qualifier les réquisitions dont ils font l’objet dans le cadre de la permanence des soins. A l’approche du 1er mai, alors que certains vont y être confrontés, ils expriment leur colère et leur souhait de les voir disparaître.

 

“Les réquisitions sont illégales, inutiles et correspondent à du travail forcé au sens où on risque une peine si on refuse de le faire”, dénonce Georges Delamare, médecin généraliste installé à Blois, qui résume le point de vue de nombre de ses confrères sur la question des réquisitions de médecins dans le cadre de la permanence des soins (PDS).

La pertinence des réquisitions et l’utilité médicale d’une permanence des soins assurée par des médecins libéraux est d’ailleurs au cœur des contestations. “Médicalement parlant, la PDS est une aberration. Quatre soirées sur cinq et un week-end sur deux, les médecins de garde ne reçoivent aucun appel !”, fait remarquer Xavier Tarpin, généraliste à Brignais (Rhône). Xavier Tarpin a reçu cinq ordres de réquisition, qu’il a systématiquement refusés. S’il a été condamné par l’Ordre à trois mois d’interdiction d’activité, dont deux avec sursis, la justice en revanche, est toujours allée dans son sens.

 

Un médecin au moindre rhume

Au printemps dernier, les poursuites judiciaires ont pris fin avec le verdict de la Cour d’appel du tribunal de Lyon selon lequel la réquisition était illégale car elle ne touchait pas tous les médecins de manière égalitaire en ne sollicitant que des généralistes et pas de spécialistes. “La gestion n’est pas médicale, mais politique : les élus veulent pouvoir dire à leurs électeurs qu’un médecin va aller les voir au moindre rhume !”, ajoute-t-il.

Dans la plupart des cas, les patients qui souhaitent voir un médecin en dehors des heures d’ouverture des cabinets se rendent plutôt aux urgences de l’hôpital le plus proche, causant parfois un engorgement du service. “Mais 80% des passages ne sont pas des urgences !” rappelle Georges Delamare.

En 2002, le docteur Delamare a reçu un avis de réquisition du préfet de Loir-et-Cher et a répondu qu’il refusait de faire la garde. Cette rébellion lui a aussi valu un procès, gagné en première instance, en appel puis en cassation. “La réquisition a été jugée illégale car la situation ne l’exigeait pas, explique Georges Delamare. Mon refus n’entraînait aucun trouble dans l’accès aux soins, il y a un hôpital à trois kilomètres…”

La même année, au Mans, le généraliste William Joubert a lui aussi fait l’objet d’une réquisition. S’il a assuré la garde, il était contre la réquisition et a porté plainte contre le préfet a posteriori. Là encore, le médecin a gagné son procès. “La justice a estimé que la réquisition ne doit pas devenir une réponse généralisée. Elle doit être utilisée dans des cas exceptionnels”, rapporte-t-il. “On ne va pas contre la loi. Je ne donnerai jamais le mot d’ordre de ne pas faire une réquisition. Mais il ne faudrait pas que ça recommence, parce que là, la coupe est pleine”, ajoute le praticien.

Un autre point de contestation est celui du temps de travail, de la sécurité et de l’assurance des médecins qui, dans la foulée de leur journée de travail quotidienne, assurent une soirée voire une nuit entière de garde. “Le médecin généraliste qui a ouvert son cabinet à huit heures peut-il continuer à travailler toute la nuit ?”, s’interroge Xavier Tarpin. A ce sujet, le docteur Delamare fait pour sa part remarquer qu’après 17 heures de veille, l’homme a un degré de conscience “égal à celui d’une personne qui a un gramme d’alcool dans le sang”.

 

“La permanence des soins est un frein à l’installation”

La FMF indique qu’elle soulève depuis des années une question restée sans réponse : un tel rythme de travail est-il compatible avec la loi qui impose au médecin de ne “pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux ou la sécurité des personnes examinées” (Code de déontologie médicale – Article 71), et qui condamne “le fait d’exposer autrui à un risque de mort ou de blessures (…) par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence” (Code pénal – Article 223-1). “Ne risquent-ils pas d’être poursuivis pour manquement à leurs obligations ?”, souligne encore Xavier Tarpin.

“L’état actuel de la démographie fait que l’on doit ménager les médecins libéraux, considère Jean-Paul Hamon, président de la FMF. La permanence des soins est une source d’épuisement, donc un frein à l’installation.” Selon lui, des alternatives existent pourtant. “Il y a trois types de cas, précise-t-il. Dans les grandes agglomérations, le généraliste doit être identifié comme un médecin de premier recours.” Jean-Paul Hamon explique que pour ne pas encombrer les urgences, le praticien doit recevoir dans des maisons médicales de garde, dans un cadre sécurisé, et rémunéré. “Dans les zones où il n’y a pas assez de volontaires, c’est le double transfert qui doit prévaloir.” Ailleurs, il existe le médecin correspondant SAMU : “Ils sont véhiculés, les gardes sont régulées, les actes sont payés.”

Roger Rua, du SML, note pour sa part que dans la plupart des Agences régionales de santé, des “dialogues constructifs ont permis d’éviter les réquisitions, qui sont de plus en plus épisodiques”.

“En Basse-Normandie, ils ont choisi de mutualiser la permanence des soins avec l’hôpital, confirme Jean-Paul Hamon. Et c’est une bonne chose dans cette région où on manque de médecins, puisque depuis, on a commencé à recruter.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier