Anna* est à bout. Elle n’en peut plus. Infirmière depuis trois ans au sein du centre hospitalier sud francilien, elle décrit les “abominables” conditions de travail qui sont devenues son quotidien depuis la signature d’un accord de coopération de l’hôpital public avec la société privée Eiffage.

 

“Depuis le déménagement dans le nouvel hôpital sud francilien, issu du partenariat public-privé avec Eiffage, mes conditions de travail sont devenues un enfer. Dans l’ancien hôpital, cela allait encore, bien que nous ayons déjà beaucoup de travail. Depuis le déménagement, on est submergé. C’est de l’esclavagisme. On parcourt des kilomètres de couloir pour faire la moindre démarche comme aller récupérer des résultats d’analyse. Ils ont réduit les effectifs pour un établissement beaucoup plus grand. Je ne comprends pas la logique.

Pour faire encore plus d’économies, l’hôpital a commandé un audit pour chronométrer tous nos gestes. Bien sûr, tous les à côtés n’ont pas été comptés. Résultat, il faut tout faire encore plus vite. Trop vite. On bâcle le travail. On n’a plus le temps de parler aux patients. Je n’ai pas choisi d’être infirmière pour exercer de cette manière. Les rapports humains ont disparu de la profession. On pourrait nous remplacer par des robots. J’ai à peine fini avec un malade que j’ai déjà la main sur la poignée de porte pour aller en voir un autre. Il arrive que les patients sonnent pour nous appeler et que personne n’aille les voir par manque de temps. Lorsque c’est comme ça, on espère qu’il n’y a rien de grave pour eux. Et cela arrive tous les jours.

 

Travail à la chaîne

Cette course perpétuelle fait courir un danger aux malades et c’est terrible. Je travaille avec une boule au ventre dans la crainte de faire une erreur qui pourrait être irréparable. La direction est contente de nous voir travailler à la chaîne mais si demain il y a un problème, il n’y aura personne pour nous sortir de là. Je me rappelle par exemple le cas d’un patient admis dans le service. Il avait l’air d’aller bien. Le lendemain matin lorsque je suis arrivée, j’ai appris qu’un collègue l’avait retrouvé mort dans sa chambre. Les médecins nous disent que ce n’est pas de notre faute mais je sais que le patient n’avait pas été assez surveillé.

Ce qui est terrible c’est que nous sommes tous à bout. Epuisés. Nous faisons environ deux heures supplémentaires par jour qui ne sont pas rémunérées. Quand ce n’est pas plus. L’ambiance dans le service est de plus en plus compliquée à gérer. Tout le monde se tire dans les pattes et se regarde de travers. Si on part sans avoir terminé quelque chose, cela fait du travail qui s’accumule en plus pour les collègues qui prennent la suite. Lorsque je quitte l’hôpital, je suis souvent en larmes. Mon état de fatigue et de stress se ressent aussi à la maison. Les relations avec mon mari sont de plus en plus tendues. Je sais que c’est de ma faute. Je deviens irascible. Un rien m’énerve. Je dors très mal la nuit.

 

Je suis en plein burn-out

Mon médecin veut m’arrêter. Je suis tremblante, j’ai des cernes. Je pense que je vais le faire. Je ne peux pas continuer comme ça. Je suis en plein burn-out. Ma santé mentale est en danger. Il va falloir que je me recentre sur moi-même et que je trouve une solution. Je vais aussi essayer de réfléchir à mon avenir. Je n’arrive pas à me projeter plus loin dans cet hôpital. J’adore mon métier mais je n’ai pas l’impression de le faire correctement. Je suis partie du privée pour venir à Evry, ce n’était pas une bonne idée. Même dans le privé les conditions de travail n’étaient pas aussi abominables.

Ce partenariat public-privé est une catastrophe. La moindre démarche est compliquée. Le système informatique bug en permanence ce qui rend les télétransmissions impossibles. Plusieurs portes cassées attendent depuis des mois d’être réparées. Savoir qui doit réparer quoi est un véritable casse-tête. Des sonnettes, des tensiomètres et bien d’autres choses ne fonctionnent plus. Eiffage refuse d’intervenir.

Les patients réalisent que les conditions d’hospitalisation se sont dégradées. Une chose est certaine, ma famille ne viendra jamais se faire soigner ici…”

 

*Le prénom a été modifié.

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi