La jeune consoeur agressée à main armée il y a trois mois aux Mureaux jette l’éponge et quittera cette banlieue francilienne à la fin de la semaine prochaine. Elle donne un visage à la désertification médicale périurbaine, liée à l’insécurité.

 

Elle l’avait laissé entendre il y a trois mois, juste après l’agression à main armée dont elle venait d’être victime aux Mureaux, dans les Yvelines. Ce sera chose faite à la fin de la semaine prochaine : cette jeune consœur de 30 ans collaboratrice à mi temps d’un médecin généraliste, a pris la décision de quitter ce cabinet libéral de banlieue populaire, où elle voulait pourtant s’installer par choix. Mais il y a eu cette funeste journée de janvier où, un soir, trois malfaiteurs armés qui s’étaient laissé enfermer dans les toilettes, sont brusquement sortis dès le dernier patient parti. Durant de très longues minutes, la jeune femme a été retenue en otage, une arme pointée contre elle, tandis qu’un homme s’emparait de la recette et que le troisième s’en allait vider sa carte bleue à un distributeur… “J’adore ce que je fais. Malheureusement, j’estime ne plus pouvoir exercer mon métier dans des conditions convenables. C’est pour cela que, la mort dans l’âme, j’ai pris la décision de quitter ce cabinet” vient-elle de déclarer sur RTL. Manifestement, et malgré nos sollicitations, cette jeune consœur ne souhaite pas en dire plus.

 

“Nous sommes des cibles privilégiées, on se fait attaquer”

“Je la comprends, et peut être qu’à sa place, 30 ans et mère de deux enfants, j’en aurai fait autant”, lâche très désabusé le Dr Arnaud Tesmoingt, médecin de famille sexagénaire des Mureaux. “Elle a essayé de rester, mais elle n’y est pas parvenue. Nous avons ici 30 % de chômeurs parmi les moins de 30 ans, 15 % de jeunes descolarisés. C’est un creuset de misère sociale. Au-delà du fait qu’il y a une perte générale de repères chez les jeunes, la disparition du respect, les médecins sont perçus comme des riches. Nous sommes des cibles privilégiées, on se fait attaquer”, explique le Dr Tesmoingt. Et il y a aussi un ton, une manière de parler très agressive. “Ces jeunes, et même leurs ainés, n’ont pas de différenciation de langage, même s’ils sont très gentils, ils tutoient, ils bousculent. Alors, si je me fais “traiter”, je ne le prend pas pour une agression”, confie-t-il.

Mais qui voudra demain supporter une telle vie professionnelle ? Un médecin s’est tout de même installé il y a un mois, mais il n’y aura plus que deux médecins généralistes au lieu de trois dans le cabinet de la consœur quittant les Mureaux.

 

798 incidents en 2012

“Je veux attirer l’attention sur la désertification médicale la plus inquiétante, celle des zones suburbaines, liées à une insécurité croissante qui touche les professions de santé au même titre que tous les représentants de l’autorité. Alors que la profession se féminise, l’insécurité joue un rôle primordial dans la sous médicalisation de certains territoires”, a solennellement déclaré ce mardi matin le Président du conseil national de l’Ordre des médecins, Michel Legmann. Voilà dix ans que l’Observatoire de la sécurité des médecins a été installé, sous l’impulsion de l’ordre et le nombre d’incidents recensés annuellement reste bien supérieur à la moyenne nationale enregistrée depuis la création de l’Observatoire, en 2003, soit 666 fiches. En effet, 798 incidents ont été recensés en 2012, contre 822 en 2011, un petit recul assez peu signifiant, si l’on tient aussi compte du fait que la sous-déclaration est manifeste. D’ailleurs, seuls 33 % des incidents recensés en 2012 ont été suivis d’un dépôt de plainte, sans doute de peur des représailles. Il faut rappeler à cet égard que les conseils départementaux peuvent porter plainte en lieu et place du médecin victime.

Autre “nouveauté” du bilan 2012 : si les généralistes sont les plus touchés (56 % des agressions), les spécialistes sont de plus en plus concernés. Arrivent ainsi en tête les ophtalmologistes (6 % du total), les psychiatres, les dermatologues, les médecins du travail et les gynécologues-obstétriciens. Au total, les spécialistes sont concernés par 44 % des agressions recensées.

Malgré une amélioration sensible, le pire département reste à cet égard, la Seine-Saint-Denis (46 incidents en 2012 contre 67 un an auparavant), suivi par le Nord (45) et Paris (41). Les Yvelines (26 déclarations), département de la consœur agressée, ainsi que le Val d’Oise complètent le classement du “top ten” des départements dangereux. En revanche, si l’on prend en compte le taux de victimation, c’est-à-dire le nombre d’incidents par rapport au nombre de médecins en activité, on s’étonne de trouver le Vaucluse en tête (1,9 % des médecins a déclaré un incident), puis la Loire (1,5 %), le Cher (1,2 %) et la Seine-Saint-Denis (1,2 %) en quatrième position. L’Ordre s’interroge sur ce classement, promet de chercher à en savoir plus. Mais affirme néanmoins que “l’insécurité est un phénomène qui touche toute la France”. L’Observatoire nous apprend également que le médecin est la victime dans 90 % des cas, un incident sur deux est le fait du patient (critiques sur la prise en charge, vol, refus de prescription, temps d’attente jugé excessif) et de son entourage pour les 50 % restant. Les agressions physiques représentent 12 % des cas, et 8 % ont suscité un arrêt de travail.

 

Journée santé morte

Depuis l’agression de la jeune consœur des Muraux, les professions de santé du secteur se sont mobilisées. Une journée santé morte, organisée le 1er février dernier, a été l’occasion de rencontre les habitants et nombre de mères de familles, elles aussi en souffrance face à la dérive de leurs enfants. Des réunions ont également été organisées avec la mairie, pour évoquer les moyens de sécuriser la profession. Elles vont donner lieu à l’envoi d’un questionnaire aux médecins libéraux, basé le protocole national co-établi entre l’Ordre des médecins et les représentants des ministères de l’Intérieur, de la Santé et de la justice.

Depuis sa signature en avril 2011, 68 départements ont pris en compte le processus de prévention et de traitements de violences faites aux professions de santé et 43 d’entre eux sont déjà dotés une procédure départementale validée avec référent sécurité dédié identifiés. “On nous avait parlé de présence policière. On n’a rien vu. On nous avait dit qu’on réfléchirait à une organisation différente, mais aujourd’hui on n’a pas de solution”, a témoigné la jeune consoeur des Mureaux sur RTL. “On aurait aimé pouvoir se regrouper, être plusieurs médecins, avoir un secrétariat en permanence. Mais c’est un peu un constat d’échec.” Alors, elle s’en va.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne