Trop de bilans de santé, de dépistages de masse, d’examens biologiques ; échographies et des explorations par imagerie lourde inutiles ; abus de rescription de médicaments et d’interventions chirurgicales… la pertinence des soins est de plus en plus posée. Le rapport présenté le 10 avril par l’Académie de médecine risque de ne pas plaire à tout le monde. Les rapporteurs, les Prs René Mornex, Jean Dubousset et Guy Nicolas, tirent le signal d’alarme.
L’état des lieux dressé par l’Académie de médecine est sans concession. Les bilans systématiques de santé ne modifient ni la morbidité ni la mortalité. Les bilans préopératoires devraient être plus strictement limités en fonction des données anamnestiques, et non systématiquement exhaustifs. Les dosages biologiques répétés sans aucun élément clinique (comme le dosage du PSA) devraient être refusés. Quant aux examens biologiques, ils ne sont pas toujours correctement formulés et hiérarchisés.
L’échographie est, elle, trop souvent réalisée banalement, voire systématiquement, sans recherche spécifique. Elle peut découvrir des anomalies sans conséquence qui font enchaîner des examens complémentaires, potentiellement nocifs. La thérapeutique dispose d’une panoplie de molécules de plus en plus actives et coûteuses. Le médicament est choisi parfois sur le critère de la nouveauté et sur la pression des firmes. Les associations de médicaments sont de plus en plus fréquentes sur les ordonnances, soit du fait de la polypathologie, soit au hasard des consultations de spécialistes qui ignorent les prescriptions antérieures. “Au total, on a le sentiment que les appels incantatoires en faveur de la pertinence n’ont que des échos modestes sur le terrain, souligne le Pr René Mornex. Personne n’est totalement coupable, mais nous sommes tous responsables.”
Conditions d’exercice remises en cause
Selon le rapport de l’Académie de médecine, ce sont les “conditions d’exercice” (le peu de temps consacré à l’examen clinique), le risque de judiciarisation et le “consumérisme médical” des patients (“j’ai payé, j’y ai droit”) qui expliquent la plupart des excès. “L’Académie de médecine est consciente des problèmes posés par la prise en charge des maladies, amplifiés par l’allongement de la durée de la vie, source d’associations de pathologies, par l’explosive évolution technologique et par les difficultés de l’organisation des soins sur le territoire”, nuance René Mornex. Mais il ajoute que si “certains éléments du problème échappent à la médecine, la conduite des soins est strictement de la responsabilité médicale. Il n’y a pas de prescription faite en dehors d’un docteur en médecine (ou en odontologie), ce qui souligne la responsabilité du corps médical dans les dérives”. C’est pourquoi le rapport prône une meilleure formation des médecins, de l’organisation des soins et des contrôles.
Depuis des années, les notions du rapport bénéfices/risques et de stratégie sont entrées dans la réflexion médicale. On a cherché à fonder les choix sur les faits (Evidence Based Medicine), et à s’appuyer sur des schémas (arbres de décision). Des méthodes d’analyse de la littérature (Cochrane) ont permis de jauger les niveaux de preuve. Des structures chargées de l’évaluation ont été créées en France à partir de 1988 (Andem, puis Anaes, et enfin HAS). Malgré cette évolution, le recueil des informations chiffrées concernant les activités médicales, leur comparaison avec celles des pays voisins montrent d’importantes divergences, note le rapport. Plus encore, les études réalisées en France identifient des contrastes de consommation médicale d’un département à l’autre. Les pouvoirs publics et notamment la Cour des comptes ont pointé ces disparités.
“Il revenait à l’Académie nationale de médecine qui, à de très nombreuses reprises, a adopté des recommandations sur les différents aspects de la question, de prendre une position globale sur la pertinence des stratégies médicales”, explique le Pr René Mornex. La stratégie médicale pertinente consiste à prescrire et à programmer chacun des actes dans un ordre approprié, adapté à chaque situation clinique, compte tenu des disponibilités des ressources de santé, dans un esprit d’efficience, qu’il s’agisse du diagnostic ou de la thérapeutique. “Elle est la base de la médecine sobre qui, dans une approche humaniste, soigne mieux au moindre coût”, précise le rapport.
Le rapport constate que depuis quelques années l’activité médicale est sensibilisée par le principe de précaution et le risque de judiciarisation. Le principe de précaution a de nombreux effets secondaires négatifs dans le cadre des pertinences des stratégies. Il est souvent mis en avant pour justifier la multiplication des actes dans le but de faire face aux recours juridiques. “Cette pratique systématique d’une large prescription d’actes pour “se couvrir” en cas de plainte de la part d’un malade est une attitude défensive délétère, illusoire et inefficace. Agir de cette façon ne repose sur aucune base sérieuse, les requêtes contentieuses restent stables depuis dix ans, et leur fréquence est infime par rapport au nombre d’actes réalisés.”
Réforme du second cycle des études médicales
Après ces constats, le rapport de l’Académie de médecine propose des pistes d’amélioration et des recommandations. Avec d’abord une réforme radicale du second cycle des études médicales : encadrement vigilant des stages cliniques avec responsabilisation et temps plein, prise en compte simultanée des acquis cliniques (contrôles oraux) et théoriques, renforcement des enseignements transversaux par un certificat de pharmaco-thérapeutique autorisant la prescription, modification des ECN dont la docimologie doit prendre en compte la pertinence des réponses dans chaque cas clinique (comptabilisation des erreurs par des points négatifs).
Concernant les bonnes pratiques cliniques, le rapport souhaite des recommandations synthétiques, courtes, facilement accessibles, privilégiant les techniques non invasives, opposables par les pouvoirs publics lorsque des données validées existent (âge cible), une position du médecin traitant spécifiquement argumentée, si besoin par télécommunication, dans les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), la mise sur le marché des techniques nouvelles prenant en compte l’efficience du nouveau dispositif, en proposant les substitutions possibles aux techniques antérieures.
Les académiciens abordent également l’organisation des soins, avec la création de réseaux de soins régionaux, notamment en imagerie, chirurgie et obstétrique, la mise en place, dans les hôpitaux publics (notamment CHU), d’organisations favorisant la pertinence et l’efficience, modèles pour les étudiants en formation, l’épuration régulière par la Cnam de la nomenclature des actes remboursables… L’Académie recommande enfin une rémunération des activités médicales privilégiant l’acte intellectuel versus l’acte technique, valorisant les primo-consultations, les consultations lourdes et l’expérience du praticien.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Evelyne Delicourt