Dans certaines maisons de naissance, le refus d’offre de soulagement médical de la douleur lorsqu’une femme vient à le réclamer pose une interrogation majeure. Le Dr Odile Buisson, gynécologue-obstétricienne (Yvelines), explique les raisons qui la poussent à contester ces structures dont le développement s’accompagne également de la liquidation de la gynécologie médicale. On assiste ainsi, selon elle, à une remise en question de la médecine pour les femmes.

 


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Faisant suite à une enquête auprès de 952 femmes (où 15 % d’entre elles estiment que leur projet de naissance ou leur choix pour l’accouchement n’a pas été respecté), la sénatrice Muguette Dini, 72 ans, a présenté le 7 février dernier un projet autorisant l’expérimentation de ces maisons de naissance. Pourquoi ?

Dr Odile Buisson : Il n’a pas échappé à la Cour des comptes (rapport 2011) que 80 % des femmes en France accouchent sous péridurale (enquête Dress, 2006) alors que, par exemple, elles ne sont que 10 % aux Pays-Bas. Mais la culture n’est pas la même, et il y a toujours eu une tradition d’accouchement à domicile dans ce pays. Pourtant, de nombreuses femmes hollandaises aimeraient bien avoir la possibilité de ne pas souffrir.

Ceci dit, comme il est toujours intéressant de prendre une partie des femmes pour influencer les autres, je pense que les maisons de naissance représentent une vitrine pour réapprendre aux Françaises l’accouchement traditionnel, sans péridurale. En effet, les débats concernant l’accouchement naturel mettent tous l’accent sur la nécessaire sécurisation de l’accouchement dans ces nouvelles structures alors que la douleur, pourtant élément central de l’accouchement, n’est jamais évoquée. Dans certaines maisons de naissance, le refus d’offre de soulagement médical lorsqu’une femme vient à le réclamer pose une interrogation majeure. Comme si les douleurs de l’accouchement n’existaient pas. Sur une échelle de 1 à 10, cette douleur est souvent cotée 12, mais pour les contempteurs de la médecine un “accouchement naturel” est avant tout un “accouchement avec douleur”. Et dans “l’accouchement avec douleur”, la mère souffre de contractions plus fréquemment insupportables que tolérables.

Certaines sages-femmes disent même que “l’on n’est pas mère si l’on n’a pas accouché dans le ressenti de la douleur”. Or, les péridurales sont aujourd’hui suffisamment bien dosées pour que la femme puisse déambuler ou sentir la descente de son enfant dans le bassin. Mais il y a aujourd’hui une sorte de “magnificat de l’utérus” qui revient en force. Je comprends bien que les mères doivent avoir le choix, surtout si les douleurs sont supportables et qu’elles accouchent vite et bien, mais je n’aime pas le prosélytisme ambiant, car on a le droit de refuser de souffrir.

 

L’écologie est-elle en train de servir d’argument à l’économie de santé ?

L’accouchement naturel chez les humains, ça n’existe pas. Une femme a toujours besoin d’une aide pour accoucher, à cause de la bipédie. Mais cette aide va-t-elle être orientée ou non ? J’ai visité récemment une maison de naissance. Les deux sages-femmes qui la dirigent font un travail magnifique et ne sont pas du tout dogmatiques. Bref, elles sont épatantes ! Pourtant, la péridurale y est proscrite, et les murs sont tapissées d’affiches vantant les fausses sciences : “les bienfaits des massages holistiques” ou prônant indirectement le retour aux années 50 (“laver vos couches”, “l’allaitement c’est mieux”).

Rappelons que les maisons de naissance sont subventionnées par de l’argent public, et c’est le contribuable qui paye. Il vaudrait mieux mettre cet argent dans les maternités publiques pour y développer des pôles physiologiques où les sages-femmes pourraient pratiquer l’accouchement selon leur art.

La coexistence d’un pôle médical et d’un pôle physiologique telle qu’elle est généralisée dans certains pays comme la Suède permet aux femmes de changer d’avis en fonction du déroulement de l’accouchement et de passer d’une structure à l’autre. Cette transversalité permet en outre des échanges constants entre médecins et sages-femmes et peut tout à fait satisfaire la demande des mamans qui veulent un “accouchement naturel”. De plus, vous imaginez bien que cet entre-soi féminin où l’on accouche de façon traditionnelle finira par éveiller l’intérêt des intégristes de tout poil. Les champs clos où il n’y a pas de comptes à rendre sont toujours propices aux influences rétrogrades, et la maternité publique nous protège justement de cela.

 

Les maisons de naissance répondent-elles à un besoin des couples ?

Les maisons de naissance répondent fort à propos au nouveau désir d’intimité des couples pour l’arrivée de l’enfant à naître en offrant une hôtellerie cosy absente des maternités publiques. De plus, à raison d’une sage-femme pour cinquante accouchements, l’accompagnement du travail de l’accouchement est permanent. À titre indicatif, dans les grosses maternités, le ratio (nombre de sages-femmes de garde sur nombre d’accouchements annuels) peut être parfois d’une sage-femme pour huit cents accouchements ou pire encore.

C’est finalement comme si on voulait détourner les femmes des maternités pour les faire accourir dans les maisons de naissance. Du coup, certaines femmes disent “oui, je vais avoir mal, mais j’aurai une sage-femme pour moi toute seule et une hôtellerie agréable, je n’aurais pas cela dans une maternité publique…”. C’est l’appartement-modèle. S’il y a de l’argent pour avoir une sage-femme pour cinquante accouchements dans les maisons de naissance, pourquoi n’y a-t-il pas d’argent pour le faire à l’hôpital ? Et pourquoi cette disparité de traitement ? Cette discrimination de moyens me fait penser qu’il s’agit bien d’une vitrine attractive destinée à montrer aux femmes qu’on peut accoucher en supportant la douleur. Une fois que l’on aura réappris aux femmes à accepter de souffrir en accouchant avec des massages ou un bain, il n’y aura aucun risque de revendication le jour où, par exemple, la péridurale sera déremboursée. Les administrateurs de la santé pourront même se payer le luxe de dire que cette technique n’apporte pas de bénéfices supplémentaires, et donc que la collectivité n’a pas à la rembourser.

 

D’autres mesures concernant la santé des femmes vont dans le sens de la régression, comme la disparition de la gynécologie médicale ?

Je n’aurais jamais pensé qu’ils rayent d’un simple coup de crayon la gynécologie médicale, alors que son développement nous a propulsés à un excellent niveau de soins dans ce domaine. Nous avons un faible taux de cancer du col, un des meilleurs taux de survie après cancer du sein et un nombre réduit d’hystérectomies (7 % en France contre 40 % aux États-Unis et 50 % en Australie). La Grande-Bretagne n’arrive pas à réduire son taux d’hystérectomies (20 %), car la gynécologie spécialisée de proximité n’existe pas, et il y a souvent des intervenants non médecins en première ligne. Pourtant, il existe de nombreux effets délétères d’une hystérectomie sur la qualité de vie, notamment sexuelle, de la femme du fait de la dénervation du petit bassin que l’intervention entraîne. Mais pour garder un utérus, il faut savoir manier l’hormonothérapie, et les gynécologues savent faire. La disparition programmée de ces spécialistes m’alarme. Les cabinets de gynécologie médicale disparaissent de 6 % par an et ceux des sages-femmes augmentent de 3 % par an. On assiste donc à un remplacement de la gynécologie médicale par les sages-femmes. Il y a une délégation de tâches à l’hôpital, mais sûrement pas en ville où l’on assiste à une politique de remplacement qui va aboutir à ce que les femmes soient obligées de se présenter à un premier guichet en cas de problème de santé et n’aient donc plus un accès rapide et direct aux spécialistes de gynécologie médicale.

 

Le Dr Odile Buisson, gynécologue-obstétricienne (Poissy), dénonce dans son ouvrage, Sale temps pour les femmes (1), le retour en force du « tout naturel » sur le thème de la maternité. Elle s’indigne du mouvement de régression encouragé par les administrateurs de la santé.Lors d’une tribune rédigée dans le Huffington Post (2), elle s’est fermement positionnée contre la légalisation des maisons de naissance en France où l’anesthésie locorégionale par péridurale est exclue d’office. Explications.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Philippe Massol

 

1. Sale temps pour les femmes, Dr Odile Buisson, éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2013.
2. http://www.huffingtonpost.fr/odile-buisson/accouchement-naturel_b_2876638.html ?view=screen