“J’envoie des candidatures spontanées depuis des semaines, je suis inscrite dans trois boîtes d’intérim et à Pôle Emploi et aucune mission ne m’a été proposée”, témoigne Marion Montovan, infirmière IDE au chômage installée dans le Nord depuis deux mois.

 


Alors que le secteur infirmier était jusqu’à présent réputé pour être l’un des rares rescapé à connaître le plein emploi, il semble que depuis quelques mois la profession soit touchée par un taux de chômage inédit. La Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers (FNESI), alertée par ce phénomène vient même de publier un Etat des lieux de la formation en soins infirmiers. Les conclusions de l’enquête attestent paradoxalement des difficultés croissantes des jeunes diplômés à décrocher un emploi alors même que la pénurie infirmière existe toujours.

“Il faut préciser que ce problème concerne principalement l’emploi hospitalier”, nuance Alex Ollivier, vice président en charge des Conditions de Vie Etudiante à la FNESI. L’emploi intérimaire, utilisé comme variable d’ajustement dans les établissements, est lui aussi touché par voie de conséquence, alors que l’emploi en Ehpad, en clinique et en libéral semble moins concerné.

 

150 millions d’euros d’économies

En cause, les restrictions et contraintes budgétaires des établissements hospitaliers. Ainsi l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a décidé un plan d’économies de 150 millions d’euros pour la seule année 2013. Si officiellement les suppressions d’emploi ne sont pas à l’ordre du jour, il semble pour le moins difficile dans ces conditions d’embaucher les nouveaux diplômés qui se pressent sur le marché du travail.

D’autant qu’ils sont particulièrement nombreux cette année. Une réforme des études initiée en 2009, conférant le grade de licence à la formation, soit trois ans, a eu pour conséquence l’arrivée de deux promotions d’infirmiers en 2011-2012. La promotion 2009-2012, issue de la réforme, est sortie diplômée en juillet, seulement quelques mois après l’arrivée sur le marché du travail de la promotion 2008-2011, d’avant réforme (soit trois ans et six mois), et diplômée en novembre.

“Mais le besoin en infirmiers est pourtant présent !”, fait-on remarquer à la FNESI. La période actuelle est en effet marquée par une double tendance qui devrait pourtant être favorable à l’emploi infirmier : le vieillissement de la population qui entraîne une hausse de demande de soins et la fin de carrière des infirmiers en poste des générations du baby-boom. Mais la situation est telle que les hôpitaux “privilégient le recrutement d’aides soignants à celui d’infirmiers”, comme le notait déjà un rapport du Centre d’analyse stratégie (CAS) en 2007. Par ailleurs, la charge de travail augmentant alors que les recrutements ne suivent pas, “les infirmiers sont obligés de travailler plus”, confie Alex Ollivier, pour qui cette surcharge de travail est aussi une explication au recul de l’offre d’emploi. “Les infirmiers ont accepté pendant des années de faire le travail de deux ou trois personnes. On les use jusqu’à la moelle, mais victimes de leur conscience professionnelle, ils continuent à courber l’échine parce qu’au bout, il y a un patient qui souffre”, fait aussi remarquer Marie Bellange, infirmière à Paris.

 

54% des étudiants infirmiers sont bénéficiaires d’aides sociales

Mais au-delà du recul de l’offre, il semble que le manque d’attractivité des offres existantes auprès des jeunes diplômés ait aussi sa part de responsabilité. “On observe de vraies différences selon les régions. La Bretagne ou l’Alsace n’emploient plus alors que des offres existent en Ile-de-France”, explique la Fédération d’étudiants. Mais si la région parisienne n’est pas à cours d’offres, plusieurs facteurs expliquent qu’elles ne soient pas pourvues. En premier lieu leur précarité. Il s’agit majoritairement d’emplois intérimaires et peu de CDD sont proposés. A cela viennent s’ajouter les difficultés propres à la vie en Ile-de-France : les difficultés à trouver un logement et le coût de la vie. “54% des étudiants infirmiers sont bénéficiaires d’aides sociales. Quand ils sortent de l’école, ils n’ont pas les conditions financières suffisantes pour se projeter à long terme à Paris”, commente Alex Ollivier.

Le numerus clausus à l’entrée de formation est pourtant censé être fixé selon les besoins de chaque région. “Mais on ne tient pas compte des mouvements des jeunes diplômés, qui ne cherchent pas toujours du travail dans la région où ils ont effectué leurs études. Il est urgent de gérer les quotas au niveau national”, nuance Eve Guillaume. “Lassée par la vie parisienne, j’ai commencé à chercher ailleurs. Je pensais qu’à part en Bretagne, je n’aurais pas de mal à trouver un job. Mais les hôpitaux n’embauchent pas !”, raconte Marie Bellange qui ajoute qu’elle est “tombée des nues” en prenant conscience de la situation.

Et si certains secteurs continuent de recruter, ils ne sont pas les plus prisés. Les Ehpad notamment sont toujours demandeurs, mais les services de gériatrie rebutent les jeunes diplômés qui ne se sentent pas toujours formés à ce type de travail. Les étudiants y passent pourtant au moins en stage une fois pendant leur cursus, mais ils en sortent rarement avec l’envie d’y faire carrière. “Les conditions de travail en Ehpad sont très difficiles. Pour recruter des jeunes, il faut aussi favoriser leur accueil et valoriser le travail en gériatrie”, résume la présidente de la FNESI. Même topo en pédiatrie, où des offres existent mais où la spécificité des soins freine les jeunes infirmiers.

Si l’inquiétude monte, difficile pour les infirmiers d’y voir vraiment clair. Aucune étude chiffrée n’a été menée pour le moment. “Il serait bon de mener des enquêtes sur l’état de l’emploi”, note la FNESI qui reste cependant optimiste compte tenu de l’évolution de la population. “Les perspectives d’avenir du métier sont plutôt positives, la nécessité du développement des soins aux personnes âgées ouvre des horizons plutôt favorables”, conclut la Fédération.

 

 

Pour les libérales, la régulation démographique, ça marche !

L’accord de régulation signé par les fédérations infirmières libérales en 2008 est un accord pionnier. Pour la première fois dans une profession libérale (hormis le cas des officines pharmaceutiques), les professionnels acceptaient de contracter avec l’assurance maladie le principe d’une entrave régulée à la liberté d’installation. Il faut dire que la situation démographique des infirmières était très préoccupante, la densité entre le Nord et le Sud pouvant varier de 1 à 9 (contre 1 à 2 pour les médecins généralistes). Dans les faits, les professionnelles du sud de la France en étaient réduites à faire des toilettes pour survivre quand leurs consœurs de Mayenne ou de l’Est s’épuisaient dans des journées sans fin. Et que des patients âgés souffraient de cette pénurie d’infirmières. La profession était majoritairement demandeuse d’une régulation, et l’opposition à cet accord (essentiellement portée par les infirmiers en formation), n’a pas résisté longtemps à l’épreuve des faits.

Trois ans après cette signature, qu’en est-il ? Objectivement, ça marche puisqu’entre 2008 et 2011, les nouvelles installations dans les zones très sous-dotées ont progressé de 33,5 %, alors qu’ elles ont baissé de 3 % dans les zones sur dotées. Par quels moyens ? L’accord prévoit qu’aucune installation ne soit possible dans toute zone sur-dotée avant le départ d’une infirmière en activité. A l’inverse, les installations sont financièrement promues dans les zones manquant de professionnelles libérales. Toute nouvelle installée reçoit une dotation à l’équipement de 3 000 euros par an pendant trois ans et bénéficie durant la même période de la prise en charge de ses cotisations sociales, soit 2 760 euros en moyenne annuelle. Les infirmières déjà installées dans ces zones bénéficient elles aussi de ces facilités, pour qu’elles aient envie de rester. Parallèlement à la signature de la convention, une augmentation progressive des honoraires a été actée.

C. L.B.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi