Château-Chinon, village paisible de la Nièvre. Lorsqu’en 2008, un dentiste néerlandais s’installe dans cette commune, qualifiée de désert médical, il ne tarde pas à voir gonfler sa clientèle en mal de soins dentaires. Les patients ne seront pas déçus. Mutilés, charcutés, surinfectés, près de 80 patients se sont regroupés en collectif pour demander réparation. L’Ordre des chirurgiens dentistes a également déposé plainte.

 

“Ce dentiste a déjà trois blâmes à son actif. Cela fait un moment que j’essaie de le coincer. On reçoit deux à trois plaintes par jour. Nous avons encore une vingtaines de plaintes à instruire en 2013. On commence à avoir de plus en plus de billes. C’est rageant de ne pas pouvoir l’arrêter”, confie le Dr Elisabeth Gaillard, présidente du Conseil de l’Ordre des chirurgiens dentistes (CDOCD) de la Nièvre.

 

Crampes constantes

Le Dr V.N., dentiste originaire des Pays-Bas, s’est installé à Château-Chinon, dans la Nièvre en 2008. Locataire d’un cabinet flambant neuf, il n’a pas tardé à voir arriver une patientèle en mal de soins dentaires. En tout, il a traité près de 2 000 patients. C’est le cas de Nicole Martin arrivée au cabinet en l’absence de son dentiste de famille. “Je suis venue pour la perte d’un plombage. Il n’y avait donc qu’à replombler la dent. Après m’avoir fait une anesthésie de cheval, qui a duré cinq heures pour une consultation d’une dizaine de minutes, il a nettoyé ma dent et à décider de dévitaliser la molaire saine d’à coté. Il ne m’avait bien entendu, pas demandé mon avis”, enrage la patiente pour qui les ennuis ne se sont pas arrêtés là. “Après chaque consultation, il redonnait plusieurs rendez-vous. Je finissais par avoir des doutes sur ma santé buccale”, témoigne-t-elle. Aujourd’hui Nicole Martin ne peut plus mastiquer “ni à gauche, ni à droite faute de pression entre les dents”. “Je vais devoir porter un dentier. J’ai des crampes constantes dans la mâchoire qui est désormais déviée”, soupire-t-elle.

Malheureusement, le cas de Nicole Martin n’est pas isolé. Et il est loin d’être le pire. Alors, devant une telle barbarie, la patiente a décidé de créer un collectif de patients pour demander des comptes devant la justice. “Le collectif dentaire est une association loi 1901, ce qui nous permet de nous porter partie civile”, explique Nicole Martin. Le collectif compte déjà près de 80 patients qui ont tous déposé plainte. “Nous tenons une permanence tous les samedis matin et nous voyons chaque semaine arriver de nouvelles victimes. Les patients n’osent pas venir, ils ont honte”, déplore la présidente de l’association.

Car les mésaventures de ces patients font toutes frémir. “L’un d’eux est allé se faire soigner une dent, il est ressorti du cabinet avec huit dents en moins. Un autre est venu pour un plombage et est reparti avec trois dents en moins. Un patient a fait un malaise cardiaque à cause de l’anesthésie et s’est retrouvé aux urgences. Il y a aussi le cas de cette patiente dont les gencives ont été recousues à la joue, celle dont la langue a été coupée puis recousue et infectée ou encore ces nombreux patients dont les dents ont été rebouchées alors qu’il restait des pansements ou des bouts d’outils cassés…”, liste Nicole Martin. Point commun entre tous ces patients malheureux, ils ont tous été victimes d’abcès et d’infections. Certains sont encore sous antibiotiques depuis le mois de juillet dernier. “C’est une véritable catastrophe sanitaire”, s’indigne Nicole Martin.

 

Exercice illégal de l’art dentaire

Mais le Dr V.N. était-il réellement dentiste ? Ils sont nombreux à se poser la question. Lorsque le praticien s’est inscrit au tableau en 2008, son casier judiciaire était vierge. Il s’avère en fait qu’il avait déjà deux condamnations néerlandaises à son actif, l’une pour mutilation et la seconde pour escroquerie… La femme du praticien exerçait au cabinet en tant que prothésiste dentaire, diplôme qu’elle n’aurait jamais eu selon une enquête poussée de la presse hollandaise. Elle aurait en revanche suivi deux semaines de formation en Thaïlande. “Il lui est arrivé de prendre des patients en urgence alors que son époux n’était pas là, c’est de l’exercice illégal de l’art dentaire”, dénonce Nicole Martin.

Les mutilations ne sont pas les seuls faits reprochés au Dr V.N. Il est également soupçonné d’escroquerie à l’assurance maladie. D’après le Conseil de l’Ordre, un médecin conseil est actuellement en train de mener une enquête. En effet, le Dr V.N. refuse désormais de rendre les dossiers médicaux à ses patients, prétextant le plantage de son système informatique en juin 2012. Une coïncidence douteuse selon la présidente de l’Ordre de la Nièvre. Il est en effet difficile de prouver que les dents de ses patients étaient saines avant d’être arrachées s’il n’y a pas de dossier médical.

Nicole Martin a réussi à récupérer le sien avant que le scandale n’éclate. “J’ai découvert qu’il m’avait facturé 19 soins en une séance. Il m’a également facturé des plombages sur des dents saines ou des couronnes que je n’ai jamais eues. Lorsque j’ai décidé d’arrêter de le payer, il a pris ma carte vitale et fait une demande de 1 400 euros à ma mutuelle”, s’exaspère la patiente avant d’ajouter que “lorsque je me suis énervée après l’avoir découvert, il a accusé ses employés”.

 

Désarroi financier

En plus des souffrances quotidiennes, certains patients se retrouvent en plein désarroi financier. “Quelques patients avaient pris des prêts pour se faire soigner par le Dr V.N. Ils n’ont toujours pas fini de les rembourser et ils doivent en reprendre un autre pour tout recommencer. Les frais de remise en bouche tournent en moyenne entre 8 000 et 12 000 euros”, se désole Nicole Martin.

Seule nouvelle positive, le Dr V.N. a fermé son cabinet depuis le mois de juillet dernier après une blessure au bras. “Mascarade” estime Nicole Martin. En effet d’après l’enquête des journalistes néerlandais, le Dr V.N. aurait souscrit à une assurance lui assurant de meilleures indemnisations quelques mois avant son accident. Le Dr Guillard reçoit régulièrement des attestations sur l’honneur de personnes ayant vu le dentiste fumer de la main droite ou encore conduire. Pourtant, lors des audiences de conciliation au Conseil de l’Ordre, le Dr V.N. se dit victime d’un complot. “Il se positionne en tant que victime”, indique la présidente du CDOCD agacée.

Le Dr. V.N a été condamné en 2012 à un blâme et à une interdiction d’exercer de huit jours avec sursis par le Conseil régional de l’Ordre de Dijon. Le Dr Guillard a décidé de faire appel de cette sanction qu’elle estime trop faible, au niveau national.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi