A 42 ans, le Dr Sandrine Bouvier est médecin urgentiste, spécialiste en soins palliatifs et en gériatrie. A l’âge de 15 ans, elle a vécu une expérience de mort imminente (EMI). Cela a eu une incidence forte dans sa pratique de la médecine. Aujourd’hui, elle ne craint plus sa mort ni celle de ses patients. Elle a récemment participé aux deuxièmes rencontres internationales sur les expériences de mort imminente qui se sont tenues à Marseille les 9 et 10 mars dernier.

 

Comment avez-vous vécu cette expérience ?

J’ai vécu mon EMI à l’âge de 15 ans. Mon expérience est particulière dans le sens où elle est intervenue avant et non pendant un traumatisme crânien. Alors que j’ai senti mon pied glisser d’un escalier, j’ai eu le sentiment d’un élargissement de conscience. J’ai alors vécu une sortie de corps. Je me suis retrouvée dans un tunnel avec une grande lumière. Le film de ma vie défilait mais je n’avais aucun moyen d’agir dessus. La lumière était très éblouissante mais elle ne me faisait pas mal aux yeux, elle était pleine d’amour et de compassion. J’avais le sentiment d’être accueillie. Autour de la lumière, je pouvais distinguer une silhouette humaine. C’est alors que j’ai demandé à rester mais une voix m’a répondu “Non, tu dois descendre, ce n’est pas ton heure”. Je ne voulais pas revenir, j’étais bien. La voix masculine m’a répété ce message à plusieurs reprises avant de me dire avec fermeté et douceur : “tu dois redescendre tu dois être médecin”. A ce moment là, j’ai glissé et fait un traumatisme crânien. Ce qui est curieux, c’est qu’à 15 ans je souhaitais déjà être médecin. C’était une volonté depuis l’âge de 4 ans.
Ce que j’ai vécu ne relève pas de la mémoire mais de l’expérience.

 

Avez-vous peur de la mort ?

Non. C’est d’ailleurs le cas de la plupart des gens qui ont vécu des EMI. La mort n’est pas une fin en soi. C’est un passage. Il y a autre chose après.

 

Etes-vous croyante ?

Non, je n’ai pas de pratique religieuse. La question est intéressante parce que dans les EMI, il y a eu des personnes qui ont relevé des croyances religieuses. Dans les descriptions à travers le monde, certains parlent de cet être de lumière comme Dieu. Je ne l’appelle pas Dieu. Pour moi c’est un être lumineux, de compassion et d’amour. La religion, je l’utilise auprès de mes patients croyants comme un outil. De mon côté, j’ai plutôt eu des mauvais souvenirs de catéchisme lorsque j’étais jeune. D’ailleurs quelques années après mon EMI, j’ai été voir des prêtres pour essayer de savoir ce que j’ai vécu et je n’ai pas trouvé de réponse.
Par contre, il faut savoir qu’au Vatican, il y a une cellule qui étudie les EMI.

 

Est-ce facile de parler de cette expérience ?

Non, j’ai mis 27 ans pour le faire. J’avais peur. Le corps médical n’est pas forcement ouvert. Je craignais d’être jugée. En fait je me rends compte que c’est très intéressant d’ouvrir le débat. Beaucoup de gens ont besoin de parler. Lors du colloque de Marseille, certain m’ont remercié d’avoir raconté mon expérience. Cela les aide ensuite à parler de la leur. Ils ont le sentiment que les témoignages de médecins sont plus crédibles.

 

Est-ce que cette EMI à eu une répercussion dans votre vie de médecin ?

Je ne peux pas le savoir puisque j’ai vécu l’EMI avant de devenir médecin. Lors de mes études de médecine, je n’ai jamais eu peur d’accompagner des patients jusqu’à la mort. Bien au contraire. J’ai fait des stages en autopsie. Avec ce que j’avais vécu, j’avais besoin d’approcher le corps, de le toucher. Cela m’a permis de me confronter à la réalité de la mort.
Je ne me suis jamais sentie impuissante face aux décès. Lorsque j’étais au Samu ou en réanimation et que je sentais qu’on ne pouvait plus agir, je n’avais pas ce côté de toute puissance médicale qui consiste à dire qu’il faut sauver à tout prix. Avec les équipes, on faisait ce que l’on pouvait dans les limites de la médecine et des moyens médicaux. Lorsque le patient mourrait, je n’avais pas de sentiment de frustration de ne pas avoir réussi. Je me disais plutôt que ça devait être comme ça, que la personne devait décéder ce jour là.
Les maladies chroniques ont été vraiment importantes pour moi car il s’agit d’un accompagnement. Le patient ne se résume pas à une maladie. C’est quelqu’un que l’on accompagne dans la maladie. J’estime que cette nuance est essentielle. Depuis que je fais de la gériatrie et des soins palliatifs, c’est ma pratique quotidienne. J’aborde la mort d’une autre manière avec mes patients et leurs proches.

 

Vous vous êtes orienté vers les urgences, la gériatrie et les soins palliatifs, des spécialités qui côtoient la mort. Est-ce à cause de votre expérience d’EMI ?

Dans tous les endroits où j’ai travaillé, même au Samu, la constante est que la mort fait partie de la médecine. Je pense que les étudiants en médecine devraient avoir des formations très tôt dans leur cursus sur le fait que les patients peuvent mourir et que le médecin n’est pas un dieu. Cela leur apprendrait l’humilité. De façon générale, beaucoup de praticiens veulent sauver à tout prix. Ce qui nous mène dans les débats de l’acharnement thérapeutique dont fait partie la loi Leonetti. Je pense qu’il y a vraiment à faire en matière de formation des étudiants et des médecins. Il faut qu’ils apprennent que lorsque l’on arrive plus à soigner quelqu’un, il ne faut pas fermer la porte. Il faut les accompagner jusqu’au bout. Pour moi c’est ça l’honnêteté médicale. Le médecin doit assumer. Je rappelle que la mort reste naturelle.

 

Racontez-vous votre expérience aux patients ?

Cela dépend des circonstances. Je peux parler des EMI de façon générale. Je ne parle pas de mon expérience, ou alors uniquement lorsqu’il y a une relation privilégiée avec un patient. Ce qui est intéressant, c’est de leur décrire le phénomène. Mais l’EMI n’est pas tout. Il y a beaucoup de moments de la vie, comme un choc émotionnel ou la perte d’un proche, qui font que notre conscience des choses change. Il n’est pas nécessaire de faire un arrêt cardiaque ou un coma pour percevoir cette dimension là. Moi je l’ai vécu et cela a changé ma façon d’anticiper la vie. En tant que médecin, cela m’a permis d’approcher de façon beaucoup plus sereine la fin de vie et les maladies chroniques.

 

Que répondez-vous à vos collègues dubitatifs ?

Je n’ai rien à vendre ni à prouver. Je pense que les gens dubitatifs devraient lire les travaux qui ont été faits. La science commence par la curiosité. Les sceptiques, il en faut, et cela fait avancer le débat. Que les gens y croient ou pas, cela ne me dérange pas parce que ce n’est pas une croyance. Je pourrais comparer cela à du vélo. Si quelqu’un ne sait pas en faire, ce serait absurde de dire que le vélo n’existe pas. Nous sommes environ 32 millions dans le monde à avoir expérimenté l’EMI, je pense que lorsque l’on est un scientifique, on n’a pas le droit de condamner autant de témoignages simplement parce que ça dérange ou ça n’intéresse pas.
Je dois dire que je n’ai pas vraiment de soignants dubitatifs autour de moi puisque les équipes connaissent mon travail. Elles apprécient et on collabore très bien. C’est inscrit dans mon mode de pratique. Je forme des équipes à approcher la fin de vie.
En ce qui concerne le commun des mortels qui dit que c’est nul et que c’est une hallucination, de mon point de vue ce n’est pas très scientifique. La médecine pour moi c’est un recueil de données de la même manière que l’on recueille des symptômes pour faire un diagnostic. Albert Einstein disait “Innover, c’est penser à côté”. Dans 10 à 15 ans, on verra que les EMI font partie du quotidien des gens.

 

Quelle est votre position par rapport à l’euthanasie ?

Je suis contre. J’ai vu pendant mes études des euthanasies actives, sur un enfant en particulier. J’ai fini par être convaincue que l’euthanasie est un raccourci très significatif de la société actuelle. Dès qu’on ne sert plus à rien, il faut être éliminé. Et comme il y a de plus en plus de personnes âgées et de maladies chroniques, un Alzheimer est long à mourir, cela coûte cher à la société. L’euthanasie est un prétexte pour aller dans ce sens. J’estime que la loi Leonetti est largement suffisante. J’ai vu, avec le rapport Sicard, que des décisions seront prises pour que les médecins soient mieux informés de cette loi. Il est vrai qu’elle n’est pas connue de la majorité des médecins.
Même si l’euthanasie est légalisée, je ne veux pas être désignée comme médecin pour tuer des patients de façon consciente. Je vois cela comme un meurtre. Ce n’est pas mon rôle. Je suis là pour accompagner. Il est vrai qu’il y a des maladies où la douleur est difficile à soulager, mais je pense qu’on peut faire une sédation. Il y a plein d’autres moyens.
J’ai eu beaucoup de demandes d’euthanasie dans ma pratique. Je réponds que je ne veux pas le faire et que je suis là pour les accompagner. Derrière une demande d’euthanasie, il y a souvent autre chose. Solitude, peur de la souffrance, il s’agit d’appels au secours. Lorsque les patients sont bien entourés et écoutés, il n’y a jamais de persistance dans la demande à mourir.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi