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Le cumul emploi-retraite plombé par les charges

Percevoir sa retraite et continuer à exercer. De plus en plus de médecins recourent à cette solution pour améliorer une allocation qui ne fait pas rêver. Et palier la pénurie médicale. Mais la médaille a aussi son revers : la lourdeur des charges. Les discussions entamées sous le précédent gouvernement pour rendre le mécanisme encore plus attractif sont au point mort.

 

 

“Je voulais à la fois travailler moins, continuer à exercer et augmenter le montant de ma retraite”, explique le docteur Jacques Laporte, généraliste à la retraite depuis trois ans qui a choisi le dispositif du cumul emploi-retraite. Mis en place pour inciter les médecins à poursuivre leur activité après l’âge de la retraite et ainsi pallier aux problèmes de démographie médicale, ce dispositif permet aux praticiens qui ont atteint l’âge légal et liquidé leur retraite de continuer à travailler en touchant leur pension.

 

Anomalie

Si, sur le principe, ce dispositif est apprécié des médecins, un point fait l’unanimité contre lui : “les médecins travaillent et perçoivent leurs retraites mais continuent de cotiser plein pot, et à perte ! Il y a là une vraie anomalie !”, dénonce Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF). La loi prévoit en effet qu’une retraite liquidée ne peut être recalculée. Les médecins qui choisissent de la percevoir renoncent donc à toute réévaluation de leurs droits. Mais dans le même temps, ils continuent de travailler et ont l’obligation de s’acquitter de la totalité de leurs charges. “Les cotisations sont un droit de péage pour travailler. Sur le plan éthique c’est assez discutable. C’est quand même désagréable de devoir payer juste pour travailler”, regrette Henri Romeu, pédiatre cumulard à Perpignan. Face à cette situation, les syndicats plaident pour un allègement des charges de retraités. “La situation est simple, ajoute Jean-Paul Hamon. Soit la cotisation des médecins est diminuée, soit ils épargnent des points pour que leur retraite soit réévaluée !”

A la Caisse autonome des médecins de France (Carmf) aussi, on voit où le bât blesse : “le cumul est un outil pour que les médecins continuent de travailler. L’allègement des cotisations permettrait de les encourager à choisir le cumul, mais c’est une carte que le ministère garde en réserve pour le moment…” De fait, les négociations sur le sujet semblent au point mort. “Il y a eu des discussions pour un allégement des cotisations retraites avec Xavier Bertrand, mais depuis le changement de gouvernement les négociations n’ont pas repris”, regrette Roger Rua, président du Syndicat des médecins libéraux (SML).

 

Spirale infernale

“Les deux premières années, je faisais entre 18 et 22 semaines de remplacement par an dans mon ancien cabinet en région parisienne, raconte Jacques Laporte. Mais cette année, je suis passé à huit semaines, plus un jour par semaine en tant que salarié à l’hôpital de Belle-Ile : un médecin à la retraite qui gagne moins de 11 500 euros par an est dispensé de cotisations Carmf.”

En cause dans cette baisse drastique de régime, les “cotisations faramineuses” et la “paperasse incessante”. “J’ai été obligé de freiner, je ne voulais pas retomber dans la spirale infernale”, confie le docteur Laporte. S’il apprécie sa nouvelle vie et notamment le salariat en zone de désert médical, Jacques Laporte lâche : “c’est quand même dommage d’en arriver là”.

 

Géographie bancale

D’autant plus dommage que si, malgré les contraintes, les médecins qui choisissent de cumuler pallient au manque de praticiens au niveau national, ils ne sont pas toujours installés dans les régions qui en ont le plus besoin. “On a quand même un petit problème d’accès aux soins en France. Ce dispositif participe à mettre plus de médecins sur le marché, c’est une bonne chose”, admet le docteur Claude Bronner, généraliste à Strasbourg. Mais d’autres soulignent que les régions de Paris et de Marseille, où les cumulards sont les plus nombreux, ne sont pas particulièrement marquées par le manque de médecins. “Le dispositif ne remplit pas vraiment ses objectifs d’évitement des déserts médicaux. La Bretagne et la région de Nantes sont des régions où il y a peu de médecins et où ils ne choisissent pas majoritairement le cumul”, reconnait la Carmf.

Jean-Paul Hamon a même une explication très rationnelle pour expliquer la recrudescence de cumulards dans ces régions : “ce sont les deux zones où la vie est la plus chère ! Les médecins choisissent le cumul pour maintenir leur niveau de vie”, explique-t-il. “Si on veut vraiment régler le problème des déserts médicaux, il faut accorder des avantages fiscaux aux zones déficitaires !”

 

Vraie demande

Pourtant, le cumul emploi-retraite connaît un succès croissant. “On note quand même que le dispositif rencontre un grand succès et ce malgré le problème des cotisations à perte. Les médecins le choisissent, il y a une vraie demande”, fait remarquer Roger Rua.

Au 1er janvier 2013, la Carmf comptabilisait 7 335 médecins libéraux exerçant en cumul emploi-retraite, soit une hausse de 23% par rapport à l’année dernière. “On se rend compte de toute façon que l’âge de départ à la retraite recule. Les médecins sont de plus en plus nombreux à prendre leur retraite après 65 ans. Beaucoup réclament des retraites progressives pour arrêter de travailler en douceur”, constate la Carmf. Sur le plan financier, les revenus des cumulards se situent plutôt au dessus de la moyenne des revenus des retraités. “On pensait que ceux qui allaient choisir le cumul étaient des médecins qui voulaient compléter une trop faible retraite. Mais 77% des personnes qui cumulent perçoivent plus que les 30 000 euros annuels d’allocation moyenne !”, indique-t-on à la Carmf pour justifier qu’il s’agit donc d’un choix plus que d’une nécessité.

C’est ce qu’explique aussi Henri Romeu. “Je suis cumulard depuis neuf ans. Je n’ai pas besoin de travailler pour vivre, mais je voulais rester à l’aise pour pouvoir aider mes filles en cas de besoin”, explique-t-il. D’autant que, selon lui, ce dispositif accompagne une évolution sociale profonde. “Près de 40% de la population aujourd’hui est divorcée et remariée. A un âge où il ne reste plus beaucoup de capital pour fonder une nouvelle famille, le cumul devient une nécessité pour beaucoup de confrères”, conclut le docteur Romeu.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier