Céline Raphael est interne en médecine. Elle revient pourtant de loin. Battue par son père de 2 à 14 ans, elle avait dévoilé son histoire sur Egora.fr en juillet dernier. Depuis, elle a été contactée par une maison d’édition pour témoigner. Elle vient donc de publier un livre intitulé La démesure, dans lequel elle revient sur ce douloureux parcours. Aujourd’hui, la jeune femme milite pour que les médecins soient mieux formés à signaler les maltraitances.

Egora.fr : Céline Raphael est un pseudo. Pourtant vous témoignez à visage découvert à la télévision.

Céline Raphael : Tout a fait, mais ce n’est pas gênant. Ceux qui me connaissent me reconnaîtront mais les autres ne feront pas le lien. D’autant que le livre va rester. C’est plus simple pour l’hôpital. Je veux séparer mon métier et mon combat pour la maltraitance. C’est aussi pour protéger mes parents, et surtout ma mère.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

Je n’ai pas du tout décidé de l’écrire, on me l’a proposé. J’ai participé en janvier 2012 à l’émission enquête de santé sur la maltraitance diffusée sur France 5. Suite à cela, un article a été publié dans Le Monde, puis j’ai écrit avec les Docteurs Anne Tursz [pédiatre] et Daniel Rousseau [pédopsychiatre] une lettre ouverte à François Hollande sur la maltraitance publiée par Libération. C’est à ce moment là que j’ai été contacté par la maison d’édition Max Milo pour écrire un témoignage. Comme nous avions commencé à recevoir le soutien du député André Vallini au sujet de notre lettre ouverte, je me suis dit que c’était peut être le bon moment de médiatiser la maltraitance. Je me suis servi de ce livre comme d’un support. Je l’ai écrit entre juin et octobre, de 22h à minuit, tous les soirs.

Est-ce qu’écrire ce livre vous a aidé ?

Pas du tout. La thérapie je l’avais faite avant ! En revanche, la médiatisation de ce livre est telle que cela permet de faire passer quelques messages C’était vraiment le but et j’en suis très contente. Je lis en ce moment beaucoup d’article dans les journaux sur la maltraitance. Mon objectif est atteint.

Pensez-vous qu’un jour, vous arriverez à tourner la page ?

C’est justement parce que je suis passée à autre chose que j’ai été capable d’écrire ce livre de manière détachée. Par rapport à mon histoire, j’ai tourné la page, j’ai une vie stable, un métier super, un conjoint… Mais je ne veux pas vivre égoïstement sans essayer de faire bouger les choses pour ceux qui sont derrière. Je me sens investie d’un devoir parce que j’ai réussi à m’en sortir.

Comment s’en sortir ? Quels conseils donner à ceux qui sont dans le même cas que vous ?

Moi j’ai eu la chance d’être sauvée par l’infirmière de mon lycée. Elle a cassé le cercle vicieux. Puis le temps de mon placement, j’ai pu prendre un peu de recul sur la situation. J’ai été suivie en thérapie. Mais je pense que le fait d’avoir réalisé mon rêve qui était de faire médecine m’a permis de commencer une nouvelle vie.

Savez-vous si votre père a lu le livre ?

Je sais qu’il ne l’a pas lu et qu’il ne le lira pas. Nous faisons même en sorte qu’il ne tombe pas sur les interviews télévisées. De toute façon ça ne changerait rien puisqu’il ne comprendrait pas. Je lui ai dit que j’avais écrit un livre et il était très mécontent. Pour lui, le complot continue. Je ne pense pas qu’une prise de conscience soit possible dans sa structure psychique. Cela relève de la pathologie psychiatrique. C’est de la même manière impossible pour lui de reconnaître qu’il a été battu par son propre père.

De son côté, ma mère n’a pas pu lire le livre parce que ça lui fait trop mal. C’est trop de souffrance pour elle. Elle a trop de culpabilité.

En juillet dernier, vous avez confié à Egora.fr que vous étiez en train de mener une action pour former des internes à déceler les maltraitances. Où en êtes-vous ?

Ma thèse s’intitule Comment améliorer la formation des internes au repérage et à la prise en charge de la maltraitance ? J’ai bien avancé. Là je suis en train d’analyser les réponses aux questionnaires que j’ai envoyé aux internes. En plus de cela, j’ai envoyé dans ma fac des protocoles avec des conduites à tenir, des numéros de téléphone… Ils ont été communiqués aux internes. On est aussi en train de voir avec mon tuteur si on peut mettre en place un séminaire dédié à la formation.

Pour le reste j’attends vraiment de finir ma thèse. Elle sera un support pour aller voir les doyens et leur dire qu’il y a des lacunes. A terme, je pense qu’il faut mettre en place des séminaires obligatoires pour les externes et les internes qui seront pluriprofessionnels (médecins légistes, pédiatres, juristes…). Ce qu’il manque, c’est vraiment de la formation. Les médecins légistes pourront apprendre à détecter les lésions suspectes. Après il faut que cela suive au niveau gouvernemental.

Par ailleurs, comme nous avons reçu le soutien du sénateur André Vallini, nous sommes en train de monter un colloque qui aura lieu le 14 juin au Sénat. Nous y parlerons de la formation des internes et des professionnels de santé de l’enfance. Nous attendons beaucoup de ce colloque qui doit se tenir en présence des ministres de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de la Santé. J’espère qu’après ce colloque, une décision sera prise de façon officielle pour mettre en place ces séminaires.

La petite Tiphaine a récemment été retrouvée morte sous les coups de ses parents, avez-vous l’impression que l’Etat en fait assez ?

Non c’est évident. Les politiques ne s’intéressent pas aux enfants puisqu’ils ne votent pas. Il n’y a aucune statistique sur la maltraitance, aucun chiffre depuis 2006. Dans mon livre, je dis que deux enfants meurent tous les jours, que la maltraitance concerne 10% des enfants en France. Les gens ne le savent pas. Avoir des statistiques nationales est une volonté politique. Nous avons tous les ans les chiffres des accidentés de la route. A l’issu de chaque bilan, des politiques de prévention sont mises en place. Le fait de n’avoir aucun chiffre sur la maltraitance signifie que le problème n’existe pas ou reste très marginal et qu’aucune politique de prévention ne va être appliquée. Il est clair que le gouvernement n’a pas pris la mesure des choses. C’est pour cela que je me bats. Je voudrais vraiment que le Président François Hollande déclare la lutte contre la maltraitance grande cause nationale.

Les médecins n’ont-ils pas un rôle à jouer dans les déclarations de maltraitance ? Vous disiez en juillet dernier que certains ont peur des représailles.

En réalisant ma thèse, je me suis vraiment rendue compte que c’est un problème de formation. Le signalement fait peur parce que nous ne sommes pas assez bien formés à nos droits et nos devoirs. Beaucoup pensent qu’en cas de signalement, ils risquent des poursuites judiciaires. C’est faux, un signalement bien fait est inattaquable. 

C’est vrai qu’un généraliste isolé dans son cabinet peut craindre des représailles. Il faut alors mettre en place des co-signalements, mettre en place un numéro de téléphone que le médecin pourrait joindre pour prévenir d’une situation. Il faudrait faire en sorte que le signalement ne repose pas que sur lui.
 

En Juillet dernier, Egora.fr avait fait le portrait de Céline Raphaël, publié une nouvelle fois ci-dessous :

Sa voix est douce et rieuse, Céline Raphaël a pourtant un lourd passé derrière elle. Entre 2 et 14 ans, elle a subi les violences de son père. Aujourd’hui interne en médecine, elle déplore qu’il n’y ait aucune formation dans le cursus à la détection des maltraitances. D’après la jeune femme de 28 ans, “les médecins doivent prendre leurs responsabilités. Ceux qui ne signalent pas les suspicions de violences sur les enfants devraient être condamnés”.

“Je ne crois pas que la violence que j’ai subie enfant soit liée à ma volonté d‘être médecin. J’ai le souvenir d’avoir toujours voulu faire ce métier. C’est mon côté altruiste. J’ai toujours aimé aller vers les gens. Aujourd’hui, je suis en deuxième année d’internat et je me dirige vers les soins palliatifs. Si la maltraitance que j’ai vécue m’avait influencé, j’imagine que j’aurais opté pour la pédiatrie.

Les violences ont débuté à la naissance de ma sœur. Elle est née prématurée et hémiplégique, donc ma mère s’est beaucoup occupée d’elle. Moi, j’avais deux ans et demi à cette époque et mon père m’a mise au piano. Les professeurs lui disaient que j’avais un don, alors il s’est senti investi d’une mission : que j’atteigne la perfection. Il a développé une obsession maladive autour de cet instrument. A 3 ans, je jouais une heure de piano par jour. En fonction des fautes que je faisais, j’avais droit à un nombre de coups de ceintures prédéfinis. S’il estimait que j’avais mal travaillé, il m’emmenait chez le coiffeur et me faisait raser la tête, ou alors il m’enfermait dans la cave, ou me privait de nourriture…Il inventait toujours ses punitions autour du piano. La première violence a été un choc, puis je me suis rendue compte que j’allais être seule. J’étais dans une quête perpétuelle de survie. Le vendredi soir quand je rentrais de l’école je cachais dans ma chaussette une barrette et 50 francs. Au cas où il fallait que je m’enfuie, la barrette m’aurait servi à ouvrir les portes et les 50 francs à tenir. Je vivais pendant toutes ces années dans la terreur.

J’ai toujours été la première de la classe à l’école. J’aurais pu y passer mes nuits. C’était ma planche de salut. En primaire tout allait bien, mais ça a été très difficile au collège. Mon père était le directeur de l’usine du village et tous les élèves et les professeurs avaient de la famille qui y travaillait. Mes camarades m’avaient donc pris en grippe. J’étais censée être la bourgeoise mais j’avais les cheveux rasés et je portais le même jogging pendant trois semaines. En guise de punition, il avait en effet jeté toutes mes affaires et ne m’avait laissé que ce vieux jogging vert.

Ma chance a été notre déménagement lorsque j’étais en seconde. Nous sommes partis de Corrèze pour aller vivre en région parisienne. Nous n’étions plus dans un village, il n’y avait donc plus de caste. Mon père n’était plus LE directeur de l’usine. A cette époque, j’étais très mal. Je dois dire que j’ai pensé au suicide. Je me disais que pour me sauver, il fallait que je perde du poids : je pensais qu’étant maigre, mon père hésiterait à me frapper. Cela n’a pas été le cas. Je suis pourtant descendue à 38 kilos. C’est de cette façon que l’infirmière du lycée m’a repérée. Petit à petit, elle a su gagner ma confiance. Puis un jour, j’ai fini par tout lui dire, tout lui raconter, dans les détails. Cela m’a fait énormément de bien. Je ne me sentais plus seule. J’étais plus forte. Face à mon père, je me rebellais et les coups étaient d’autant plus violents. Nous sommes passés d’une maltraitance silencieuse et routinière à une violence avec des cris, des coups de poings ou de pieds. A chaque fois j’allais voir l’infirmière et elle faisait des constats. Au bout de trois mois, elle a fait mon signalement. Je me sentais prête.

Ma vie ballotée a alors commencé. Je suis passée de l’hôpital à une famille d’accueil, à un service d’accueil d’urgence. Loin de ma mère et de ma sœur, je me suis sentie très seule. Je devais me débrouiller par moi-même. Puis j’ai été placé dans un foyer pour mineurs en semi-liberté, où étaient hébergées des délinquantes. Il n’y avait plus de places dans les foyers normaux… C’est l’école qui m’a permis de tenir dans ces conditions difficiles. Je me levais à 4h30 pour pouvoir continuer à aller dans mon lycée. Le soir, je revenais à 21h30. Mon objectif était de réussir à faire des études de médecine. Après le bac, j’ai demandé à revenir chez moi. Mon but était de récupérer ma sœur, puis de repartir. J’y suis restée un an. J’ai passé ma P1, puis j’ai décroché deux bourses qui nous ont permis d’avoir un appartement dans Paris pour un loyer très modique. 

Peur des représailles

Aujourd’hui, ma sœur et moi sommes en médecine. Je réalise désormais que dans notre cursus, nous n’avons aucune formation pour déceler la maltraitance. Nous n’avons aucun cours sur les droits et devoirs des médecins. Je sais que certains pensent qu’ils iront en prison s’ils font un mauvais signalement, donc ils n’en font pas. Ils croient que c’est facultatif. Tout le monde est très au point sur le secret professionnel, mais personne n’évoque jamais les cas de levée du secret médical (voir encadré). Lorsque j’étais enfant, j’ai vu des médecins, mais aucun n’a fait de signalement. C’est compliqué pour les médecins généralistes qui soignent une famille depuis plusieurs années. Ils ont peur des représailles.

Lorsque j’étais interne aux urgences, j’ai été confrontée à deux cas de maltraitance. Je me souviens d’un petit garçon battu par son beau père. Le médecin avait alors dit : “ce n’est pas mon problème, il faut voir ça avec l’assistante sociale”. J’ai quand même tenu à faire un signalement. J’ai commencé à 22h. Je n’ai pu le terminer qu’à 3h du matin. C’est d’une complexité spectaculaire. Je comprends que ce soit compliqué pour les hospitaliers qui voient passer 200 patients par jour. Les médecins et les autorités judiciaires ne se connaissent pas. Ils devraient déjà se réunir pour apprendre à se connaître et à faire des signalements.

Prendre ses responsabilités

Quand je repense à l’affaire de la petite Marina, morte sous les coups de ses parents, je ne comprends pas. Les services sociaux avaient été alertés. C’est bien ça le pire. C’est normal que les parents aient été condamnés, mais il faudrait aussi poursuivre les services sociaux et les médecins qui ont vu l’enfant sans rien faire. Il s’est passé la même chose dans l’affaire du petit Enzo, battu à mort par son beau-père. Il avait été vu par des médecins. Quand on condamnera les praticiens pour non-assistance à personne en danger, les choses commenceront peut-être à bouger. Lorsqu’on est médecin, on doit prendre ses responsabilités. Si on ne s’en sent pas capable, il vaut mieux changer de métier.

Médecins et pouvoirs publics doivent réaliser que plus on signale tôt un enfant violenté, moins les séquelles sont graves. A 28 ans, je suis en ALD, car je garde des traces de mon anorexie. Je coûte cher à la Sécu car j’ai des problèmes de dents, je n’absorbe plus le potassium, donc je dois faire des prises de sang toutes les semaines et je consulte un psychiatre. Il en est de même pour ma sœur, qui est aussi en ALD parce qu’elle est dépressive.

Bien qu’aujourd’hui je sois heureuse en couple, je ne veux pas d’enfants. J’aurais trop peur de mal faire. Je pense que je serais trop stressée. Pourtant je sais que je ne reproduirai pas les violences dont j’ai été victime. J’aimerais plutôt adopter un enfant déjà grand. Il y a tellement d’enfants malheureux sur terre. Il ne s’agit pas là d’un désir de maternité. Ce serait une manière de lui donner tout l’amour qu’il n’a jamais eu.”

Source :
http ://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi