L’agression récente d’une jeune femme médecin généraliste dans son cabinet aux Mureaux dans les Yvelines va susciter un mouvement de grève des soignants exaspérés par l’insécurité, le 1er février prochain. Choquée, la jeune consœur réfléchit à partir de la banlieue où elle exerce. Elle explique pourquoi.


“J’étais seule lorsque j’ai fermé mon cabinet, la semaine dernière. Brusquement, trois personnes qui s’étaient laissé enfermer dans les toilettes sont sorties. J’ai été braquée avec une arme, on m’a demandé la recette du jour et ma carte bleue. L’un d’eux m’a retenue en otage, un autre est sorti retirer de l’argent avec la carte et le troisième fouillait le cabinet. Je ne les connaissais pas, ce n’était pas des gens de ma patientelle en tout cas. Les agresseurs m’ont pris la recette du jour, 100 euros environ – nous avons beaucoup de patients en CMU et tiers payant. Ils ont aussi vidé ma carte bleue. Ils cherchaient de l’argent liquide, ils n’ont rien trouvé. Ils n’ont rien cassé dans le cabinet.


Préjudice moral

Durant l’agression, j’essayais de rester calme, j’étais un peu effrayée, je me demandais ce qu’il allait m’arriver. Mais ils n’ont pas été menaçants, il n’y a pas eu de violences physiques. Le préjudice que je ressens est moral. J’étais dans mes locaux, je me sentais à l’abri. J’ai été attaquée comme si j’avais été chez moi. Voilà trois ans que j’exerce dans ce cabinet, d’abord en tant que remplaçante, ensuite en tant que collaboratrice libérale depuis un an.

C’est l’intention qui me choque : ils se sont laissé enfermer, ce qui prouve que l’acte était prémédité. Le cabinet se trouve en étage, dans une résidence. L’agression s’est passée un jour où j’étais seule, ce qui ne se produit jamais d’habitude. Nous sommes trois médecins et deux remplaçants. Or, il n’y avait pas de secrétaire ce jour-là et ma collègue était partie plus tôt, car la salle d’attente était presque vide.

Les agresseurs m’avaient imposé de rester une demi-heure sans bouger après leur départ. Je n’ai pas attendu tout ce temps-là et j’ai appelé la police, qui a réagi extrêmement rapidement. Pour vous dire : j’étais encore au téléphone avec le brigadier qu’une patrouille se garait déjà en bas de chez moi. La police judiciaire a été saisie et je pense cela tient à mon statut de médecin. Je dois reconnaître que me suis sentie prise en compte, soutenue par les autorités. Ils ont été très rapide, je ne sais pas si cela sera efficace.


Cibles

Cette agression remet en cause mes conditions d’exercice et donc mon intention de m’installer ici. J’ai encore une trentaine d’années de médecine générale devant moi, et je me demande comment la situation va évoluer si ça continue comme cela. Je ne veux plus exercer dans les mêmes conditions. Mes projets sont remis en cause. Je ne cesse de me dire que cela peut se reproduire. Il faut que les choses changent, il ne faut plus que nous soyons des cibles.

J’aime beaucoup mon métier, m’installer dans une banlieue sensible, c’est un choix. J’aime ces patients qui m’apportent beaucoup, j’aime ce que je fais, mais j’ai l’impression de ne plus pouvoir exercer sereinement. Ce sentiment est partagé par beaucoup de mes collègues, mon agression les a fait fortement réagir, ils se sont sentis touchés. Ici, plus personne ne se considère à l’abri. Je pense que ce n’est pas moi qu’on visait, mais une fonction, au sein d’une banlieue. Du coup, les langues se délient.


Faire avancer les choses

Beaucoup de mes confrères, aux Mureaux et ailleurs dans les Yvelines, vivent dans l’insécurité. Ils subissent de plus en plus la violence verbale et même physique malheureusement, des vols. On s’est dit que l’occasion était peut être venue de réfléchir à nos conditions d’exercice dans ces banlieues où plus personne n’est à l’abri. Il faut peut être penser au regroupement.

Mes collègues ont organisé une journée d’action le 1er février prochain dans laquelle je n’ai pas voulu trop m’impliquer. Je ne veux pas me mettre en avant, je veux surtout tourner la page, continuer à avancer en exerçant le métier que j’aime du mieux possible. Mais si mon expérience peut servir aux autres, si elle contribue à faire que cela ne se reproduise pas, tant mieux. L’exercice libéral rend la communication avec les confrères difficile. Mon agression a permis de communiquer sur un sujet très sensible alors qu’on n’a pas forcément envie d’en parler, car ce n’est pas glorieux et c’est à chaque fois une remise en question. Je n’ai pas voulu m’arrêter car je me suis dit que la reprise serait encore plus dure. J’ai choisi de continuer jusqu’à… enfin, de réfléchir.

J’ai eu la ministre de la santé Marisol Touraine au téléphone. Elle m’a assuré de toute son implication dans ce problème d’insécurité. J’espère qu’elle pourra faire avancer les choses.”

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne