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Ces malades qui forment les soignants

L’Université d’Aix-Marseille vient de se lancer. Sur l’exemple de la faculté Pierre et Marie Curie, pionnière dans ce domaine, elle est en train de créer son “université des patients”. Il s’agit d’une formation en éducation thérapeutique mêlant malades chroniques et soignants, les uns pouvant apporter aux autres et vice-versa.


“Ce master en éducation thérapeutique a été une révélation pour moi, tant sur le plan professionnel que personnel”. Le Dr Marianne Lafitte, cardiologue au CHU de Bordeaux a, le temps d’un master, troqué sa blouse blanche contre le cartable d’une étudiante. Entre 2010 et 2012, elle a démultiplié son emploi du temps entre les bancs de la fac et les couloirs de l’hôpital. “Durant mes études, j’avais déjà eu une petite formation en éducation thérapeutique, mais il me manquait encore quelque chose pour être plus proche des besoins des patients”, explique la spécialiste. C’est alors qu’elle découvre le master proposé par l’Université parisienne Pierre et Marie Curie. “Cette université des patients semblait être la solution idéale, bien qu’en y entrant je ne savais pas trop à quoi m’attendre”, confie Marianne Lafitte.


Expérience

L’Université des patients est un concept crée en France par Catherine Tourette-Turgis, docteur et chercheur en sciences de l’éducation à la faculté Pierre et Marie Curie. “J’avais déjà accompagné et formé des patients notamment atteints du sida. Ce sont les malades qui m’ont en quelque sorte dicté ce projet. Ils avaient un désir fort de savoir et de transmettre leur expérience”, analyse la chercheuse. D’autant que le concept existait déjà dans certains pays anglo-saxons. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), dite loi Bachelot de 2009, a permis d’accélérer les choses. En effet, l’article 22 de la loi HPST a fait entrer l’éducation thérapeutique dans le code de la santé publique. “Cela a été une opportunité pour faire émerger des projets innovants”, souligne Catherine Tourette-Turgis.


Depuis 2010, l’université des patients propose donc plusieurs formations, du DU au doctorat en passant par le master. “Nous avons 70% de soignants et 30% de malades”, relate Catherine Tourette-Turgis. Les patients sont rigoureusement sélectionnés sur plusieurs critères, notamment universitaires. “Ce projet est à destination des malades chroniques. Ils doivent avoir un vrai projet pédagogique. Avant chaque sélection, je m’assure que le patient ne sera pas mis en situation d’échec. Quand je sens qu’ils ne correspondent pas aux critères, je leur explique que je ne suis pas en mesure de répondre à leur demande”, indique-t-elle.


Atout

Cela n’a pas été le cas d’Elizabeth Nello, patiente atteinte d’un lupus, actuellement en thèse à la suite d’un master en éducation thérapeutique. “Je suis malade chronique depuis plus d’un quart de siècle. Malgré ma maladie, j’ai suivi des études universitaires et j’ai obtenu un DEA en toxicologie. Alors que j’allais m’inscrire en thèse, j’ai du être placée sous dialyse, puis j’ai été transplantée avec un rein de mon père. Ensuite, il a fallu tout reconstruire”, dévoile la jeune femme âgée de 38 ans. 10 ans après son entrée en dialyse, elle a retrouvé le chemin universitaire grâce au master d’éducation thérapeutique. “Etant donné que j’étais un pur fruit de l’université, j’ai eu besoin de réapprendre pour me reconstruire”, explique-t-elle avant de poursuivre : “lorsque j’ai envoyé mon CV, j ai intégré mon parcours de malade chronique à mon parcours universitaire. Je me suis servie de cette facette de ma vie jusqu’alors inutilisable”.

Et la mayonnaise a pris. “Mon vécu de malade m’avait apporté de la matière brute. Le master m’a fait prendre conscience de ce savoir et de mon expérience. On m’a appris à me comporter comme une étudiante en éducation thérapeutique qui possédait la connaissance de la maladie, de l’intérieur comme une valeur ajoutée”, explique Elisabeth Nello avant d’ajouter que “pour la première fois, ma maladie a été transformée en atout, pour moi et pour les autres. C’est toute la force de cette université des patients”.

Un avis partagé par la Dr Lafitte. “La présence de patients a été déterminante. On voulait tous savoir comment mieux faire. Le fait de les avoir avec nous et non face à nous a été très constructif. Nous avons tous appris les uns des autres”, estime la cardiologue. De retour dans son service, la praticienne a “l’impression de soigner mieux, d’être plus proche des attentes des patients”. “Certaines choses qu’on ne voyait pas avant son désormais devenues visibles”, constate-t-elle.


Médecine des gens

Une expérience très positive tant pour les soignants que pour les patients. “Dans tous les autres moment de ma vie, ma maladie est un handicap. Cette formation m’a permis d’exister socialement, ce qui n’est pas le cas des malades qui ne travaillent pas. Avant j’étais juste un numéro de sécu pour la société. En gros, je ne faisais que coûter”, note Elisabeth Nello. Aujourd’hui inscrite en thèse, elle projette de transmettre son savoir au sein de la communauté scientifique et pourquoi pas enseigner aux médecins… “Les médecins sont des experts de la médecine tandis que les malades sont des experts de la maladie. Il faut travailler avec les soignants, pour que l’éducation thérapeutique apporte une amélioration de la qualité de vie des malades”, estime-t-elle.

C’est également ce que pense le Dr Lafitte qui aimerait que “l’éducation thérapeutique soit obligatoire pour les soignants”. “Cela permettrait de passer de la médecine du corps à la médecine des gens”, considère-t-elle. La cardiologue espère le développement d’autres universités des patients dans plusieurs villes de France. Son vœu va bientôt se réaliser puisque l’Université d’Aix Marseille (la plus grande de France) est en train d’en ouvrir une cette année.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne