Le Dr Sauveur Boukris est médecin généraliste et maître de stage. Il sortira demain son dernier livre intitulé La fabrique de malades, ces maladies qu’on nous invente. Surmédicalisation, surdiagnostic… Le Dr Boukris se demande si l’excès de médecine ne nuit pas à la santé. D’après lui, les médecins doivent réfléchir et prendre du recul sur les recommandations qui standardisent la médecine.

 

A qui destinez-vous votre livre ?

Je dirais d’abord au grand public, pour les éclairer sur les pratiques médicales. Pour qu’ils sachent comment les médecins prescrivent des examens et des médicaments. C’est vraiment un éclairage et une prise de conscience sur le monde médico-industriel. En deuxième intention, je m’adresse aux professionnels de santé et en particulier aux médecins. Je suis maître de stage à Bichat et à Lariboisière (AP-HP), j’ai donc des étudiants de troisième cycle qui viennent faire des stages à mon cabinet. Bien souvent, j’ai constaté qu’ils appliquent des dogmes. Ils ont plus de réflexes que de réflexions. Ils appliquent les recommandations un peu à l’aveugle et sans discernement.

 

Vous dites dans votre livre que les étudiants n’ont pas de sens critique, estimez-vous qu’ils sont bien formés ?

Nous médecins avons tous subi nos études de médecine. Je trouve que les critères de sélection sont d’avantage basés sur la capacité de travail et de mémorisation que sur la capacité de synthèse et de réflexion. En général, les plus grands bucheurs, ceux qui ont la meilleure mémoire, sont ceux qui réussissent. Les études de médecine sont vraiment un cursus où on apprend par cœur sans se poser de questions. Durant nos études, on ne nous a jamais fait développer un sens critique, comme on ne nous a jamais fait réfléchir à certaines questions. On nous demande d’appliquer des dogmes, des recettes. Ensuite, une fois que nous sommes installés, nous devons digérer et synthétiser toutes nos connaissances pour en faire le meilleur usage.

Ce livre est le fruit d’années de synthèse et de réflexion sur ma pratique et sur celles des médecins en général. C’est une sorte d’auto-analyse. A la fin de mon livre, je dis qu’il faut développer le sens critique, qu’il y ait des débats entre médecins sur leurs pratiques. Lorsqu’on lance une campagne de sensibilisation sur un sujet public, il faut qu’il y ait débat. Trop souvent en médecine, ce n’est pas le cas. La plupart des médecins se comportent de façon conformiste, selon des habitudes, selon des applications de recommandations sans véritablement réfléchir.

Mon livre va, je l’espère, permettre aux médecins de se poser des questions, de s’interroger sur tous les examens systématiques, le dépistage, ces comportement un peu stéréotypés et formatés.

 

Vous pensez donc que les médecins, et particulièrement les jeunes qui sortent de longues années de formation, sont en quelque sorte responsables de cette surconsommation de soins et de cette surmédicalisation des patients ?

Ils ne sont pas responsables, ils subissent. Cette surconsommation, cette surprescription, ces recommandations qui sont basées sur des objectifs à atteindre ou sur des facteurs de risques sont le résultat du travail d’experts qui ont produits des études statistiques et épidémiologiques. Comme les étudiants n’ont pas assez d’expérience, de recul ou de vécu cliniques, ils se disent qu’il faut appliquer les recommandations.

Lorsqu’on est médecin, on s’adresse à des hommes et des femmes qui ont une psychologie, un mode de vie, une histoire et on ne peut pas appliquer à l’aveugle des recommandations de façon arbitraire, quelque soit le malade. On ne traite pas de la même façon un patient de 50 ans ou de 75 ans, un patient qui a de multiples pathologies et un autre qui n’en a pas. Il faut partir du patient et essayer, autant que faire se peut, d’appliquer des recommandations, qui ne sont à mon avis que des outils et non des obligations.

 

Vous dites justement dans votre livre que “fonder la médecine sur des statistiques sans tenir compte des patients est une hérésie”. Que préconisez-vous ?

Il faudrait déjà faire en sorte que la priorité de la médecine soit le patient. Nous sommes au service du patient et nous travaillons pour lui. C’est la base ! Nous ne travaillons ni pour l’industrie pharmaceutique, ni pour la sécurité sociale, ni pour l’administration. Nous n’avons de comptes à rendre qu’aux patients. Ils nous font confiance, ils sont notre priorité numéro un. Deuxième chose, il faut essayer d’avoir un esprit un peu plus nuancé. Chaque malade est unique et il faut essayer de coller le plus possible à son mode de vie, son âge, sa culture…

Lorsque je faisais mes études, il y a une trentaine d’années, on nous disait que la limite du cholestérol était de deux plus notre âge, donc de 2,50 pour un patient de 50 ans. On nous disait qu’un patient était hypertendu au delà de 16,9. Mais aujourd’hui, il faut atteindre un objectif. Le cholestérol doit être inférieur à deux et l’HTA débute à 14,9. Tout cela sans tenir compte du patient, de son âge, de son poids ou de son mode de vie. Parce que l’on veut atteindre ces objectifs, on n’entraîne forcement une polythérapie. Il y a inflation de thérapeutique dans les maladies métaboliques. On voit des gens de 50 ans, qui ont 2 grammes 40 de cholestérol, sans facteurs de risques associés, sans antécédents mais qui sont sous statines. On ne peut pas réduire les malades à des données chiffrées. Mon livre va permettre de se poser des questions sur cette notion d’objectifs thérapeutiques qui poussent à faire des traitements et des contrôles et sur la notion de facteurs de risques. On joue sur les peurs. Peur des maladies cardiovasculaires, du cancer, des fractures dans le cas de l’ostéoporose. Ces peurs engendrent des consultations, des traitements pour un risque qui existe mais qui est à mon avis sur évalué et pas forcément certain. Ces deux notions d’objectifs et de risques ont complètement bouleversé la médecine et toutes les recommandations, basées sur des statistiques, travaillent la dessus.

 

Justement, il a beaucoup de campagnes de prévention. Ne pensez-vous pas que les pouvoirs publics ont leur part de responsabilités dans cette frénésie du dépistage ?

Non, dans ce domaine, tout le monde a une part de responsabilité. Je pense qu’il y a l’industrie pharmaceutique qui veut absolument vendre ses médicaments, le plus vite possible et le plus longtemps possible. Il y a aussi les experts et les leaders d’opinion qui essaient de développer leur discipline et la rendre incontournable. Il y a également les pouvoirs publics qui se disent que c’est politiquement correct de jouer sur ces campagnes de sensibilisation par peur d’être taxés de laxistes. Les médecins, eux, ont tendance, par facilité et parce qu’ils n’ont pas beaucoup de temps, à prescrire des examens en ce disant que c’est plus simple que de réfléchir.

Je pense qu’on n’a jamais pu évaluer l’efficacité et la pertinence de ces dépistages. Je me pose des questions la dessus.

 

Dans le livre, vous vous demandez justement si “en médecine, le mieux n’est pas l’ennemi du bien” ?

Après 30 ans de pratique, je me demande si je n’en fait pas trop. Est-ce qu’on n’est pas en train de faire des examens à l’aveugle sans se poser des questions sur leur pertinence. En faire trop n’a pas de sens économiquement. On ne peut plus se permettre aujourd’hui de dépenser inutilement les deniers de la sécu. D’autant que cela inquiète les malades à tort. Est-ce qu’on est la pour rendre les gens malades ou pour soigner et tranquilliser les patients ?

Après trois décennies de médecine, je me suis rendu compte que nous médecins, sommes bon pour faire des diagnostiques. Là où nous sommes mauvais, c’est dans le pronostic. Celui que l’on condamne va être toujours là des mois plus tard et vice-versa. Il faut rester modeste et humble. Si on arrive déjà à faire un bon diagnostic et à assurer une bonne observance thérapeutique, on fait déjà du bon boulot.

 

En terme de sur consommation de soins, avez-vous l’impression qu’il y a une différence entre l’hôpital est la médecine de ville ?

Je ne pense pas, bien que c’est vrai qu’à l’hôpital, on a tendance à faire des bilans. Les universitaires et les hospitaliers se doivent d’avoir un dossier un peu plus fourni. Je dis toujours, sous forme de boutade, que les hospitaliers traitent des maladies alors que nous médecins généralistes, nous traitons des malades ce qui n’est pas pareil. Le problème c’est que beaucoup de MG, qui ont été formé à la culture hospitalière qui pousse à la consommation des examens, ont tendance à surdiagnostiquer. Si ces médecins n’ont pas le recul nécessaire et ne réfléchissent pas à savoir pourquoi ils font les choses, ils vont pousser à la consommation. Il y a aussi certains généralistes qui me disent suivre les recommandations par peur du procès. La judiciarisation de la médecine fait que les médecins s’ouvrent des parapluies en multipliant les examens.

Je trouve que les nouvelles conventions basées sur le paiement à la performance ne vont pas dans le bon sens. Dans le P4P, il faut répondre à des critères et à des objectifs. Je dis attention : nous ne sommes pas technocrates de la santé. Nous devons faire une médecine humaine, individualisée. Je suis contre les traitements de masse.

 

Que pensez-vous des génériques ?

Je ne donne des génériques qu’aux gens jeunes, pour des pathologies bénignes et de courtes durées. Je considère que quand un patient a une maladie chronique et qu’il prend des médicaments à vie, il est bon que je sache le médicament qu’il prend et que lui se souvienne du nom de son médicament. Je suis contre le tout générique systématique.

 

Que pensez-vous de la politique de maitrise des dépenses mise en place par la Convention médicale ?

Je pense que les bilans systématiques poussent à la consommation. Je préconise une décroissance médicale. Je pense qu’on prescrit trop d’examens, de statines, de psychotropes. Si on réfléchit un peu à nos pratiques, on verra qu’on peut faire mieux avec moins.

 

Vous allez dans le sens du livre polémique des Pr Debré et Even sur les médicaments inutiles

Non. Ils ont fait un bouquin choc. Je connais Philippe Even, il a préfacé un de mes livres. Je lui ai dit qu’il avait été très excessif et pas dans la nuance. Il dit que les statines ne servent à rien et qu’il ne faut pas en donner, c’est faux. Je suis beaucoup plus nuancé que lui. La notion d’utilité et d’inutilité d’un médicament est très subjective. Les médecins doivent réfléchir. Il faut des débats, des discussions sur ce qui est bon ou non.

 

Il y a justement un débat en ce moment sur les pilules de troisième et quatrième génération

Non, le débat est mal posé. On s’est même demandé s’il fallait les réserver aux généralistes ou aux spécialistes. Le problème n’est pas là. Je préfère un bon généraliste qu’un mauvais spécialiste. Cette distinction, pour moi n’a pas de sens. On est en train de soulever un problème une fois qu’il existe. La pilule de troisième génération, on n’en parle maintenant parce qu’on nous a présenté les choses comme si c’était une innovation. C’est de la médecine marketing. Lorsqu’on lit des revues, on se rend compte que les contre indications sont connues depuis des années ! Les débat, il faut les faire en amont, pas lorsque c’est trop tard. C’est dommage que la médecine soit trop dogmatique. Si tel professeur à dit ça, c’est parole d’Evangile donc on applique et on ne discute plus. C’est pour cela que j’ai écrit ce livre. S’il permet de faire réfléchir les gens, tant mieux.

 


La fabrique de malades, ces maladies qu’on nous invente. Dr Sauveur Boukris, édition du Cherche Midi, 17 euros

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi