L’expérimentation d’une garde de minuit à 6 heures sur sept grands secteurs de la région Nord-Pas-de-Calais s’est mise en place depuis le 8 janvier.  Elle concerne des territoires à large périmètre, situés pour la plupart à plus de 30 minutes de soins urgents et dans lesquels les personnes âgées, les malades en affection de longue durée et les parents isolés de jeunes enfants sont particulièrement nombreux.  SOS médecins sera grand effecteur sur trois des territoires choisis, car l’ARS redoute la désaffection des médecins de famille.  Explications du Dr Patrick Goldstein, chef du pôle de l’urgence au CHRU de Lille et chef de service du SAMU régional de Lille.

 

Egora.fr : avez-vous été consulté par l’Agence régionale de santé (ARS), et approuvez-vous ce projet ?

Patrick Goldstein : Oui totalement ! C’est le retour d’une idée partagée par l’ensemble des acteurs de santé, notamment des représentants de la médecine de premier recours et des urgentistes, il y a quelques années, bien avant que l’ARS ne soit mise en place. Pour faire des économies de ressources humaines disponibles, nous avions imaginé le regroupement de certains secteurs de garde à partir d’une certaine période de la nuit.

Et puis cette idée n’a pas été reprise et s’est éteinte dans les dix dernières années, sans doute pour des raisons économiques. Là-dessus, survient la restructuration de la permanence des soins ambulatoire (PDS) et un peu comme partout en France, la décision de ne plus avoir de médecin effecteur à partir de minuit. Nous avons eu alors une discussion ouverte entre le monde de la PDS ambulatoire, les représentants de l’ARS et ceux du secteur hospitalier. Nous avons manifesté une certaine inquiétude pour certains patients et notamment deux populations sensibles : les personnes âgées et les tout petits enfants. Faire passer nos grands seniors, qui ont 39,5 de fièvre et un peu de mal à respirer, par un service des urgences à 3 heures du matin, c’est un véritable désastre médical et humain, car on les déstabilise complètement et on ampute clairement leur capital-vie.

Tout doit être fait pour ne pas les déplacer aux urgences, soit en les maintenant à domicile ou dans leur Ehpad, soit en leur proposant des admissions directes en court séjour gériatrique, filière que nous mettons en place avec nos collègues gériatres mais qui est bien évidemment totalement impossible à mettre en place à 3 heures du matin. Quant aux petits enfants, nous étions confrontés à des situations sociales complexes, des mamans seules avec plusieurs enfants à qui on propose les urgences comme seule solution à une bronchiolite. S’il faut accepter la modification de la présence médicale à partir de minuit, et s’il est illusoire de maintenir une PDS à l’ancienne, il faut pour autant préserver ces patients. Le principe des grands effecteurs a donc ressurgi comme un phœnix. Il a été étendu ensuite à tout ce qui concerne l’hospitalisation à domicile des patients en fin de vie. L’idée est excellente, maintenant il faut voir comment elle va se mettre en œuvre.

 

Comprenez-vous la réaction négative de SOS Médecins, alors qu’il est pourtant désigné grand effecteur sur trois des territoires choisis (métropole lilloise, Roubaix-Tourcoing et Dunkerquois) ?

Je n’ai pas compris. Je pense que cela relève d’un malentendu et qu’il y a probablement derrière cette levée de boucliers une histoire de gros sous qui m’échappe complètement. A partir du moment où l’association SOS Médecins est grand effecteur, elle touche l’astreinte (450 euros pour la période de 0h à 8h) et se plie aux mêmes règles de déclenchement que les médecins généralistes volontaires qui acceptent de devenir grands effecteurs, en passant par la régulation libérale.

 

Qu’attendez-vous de cette expérimentation, notamment pour améliorer l’accès aux soins ?

L’expérimentation ne se fait que sur certains territoires. Il ne serait pas possible qu’à un moment il y ait une inégalité de traitement dans la région. J’attends de connaître parfaitement les critères de l’évaluation. Et si ce dispositif permet de diminuer les hospitalisations inutiles des personnes âgées et des petits enfants et de maintenir dans un confort correct les personnes en fin de vie qui souhaitent rester à domicile, je ne comprendrais pas que l’ensemble des habitants de la région ne puisse pas en bénéficier. On va alors se heurter à une autre difficulté : celle du financement. La réalité cette semaine, c’est une permanence de soins qui s’arrête à minuit, des nuits blanches pour les urgentistes et les régulateurs, des dizaines de patients de plus de 85 ans qui ont été transférés la  nuit en ambulance privée de leurs maisons ou de leurs Ehpad vers des services d’urgence parce qu’ils ont la grippe ou des petites décompensations respiratoires. Ce matin, il n’y a déjà plus de place dans les services d’urgence et zéro place de réanimation disponible dans la région. Cette réalité nous impose de trouver le moyen d’éviter l’hospitalisation à ces personnes âgées particulièrement sensibles.

 

Y a-t-il suffisamment de médecins volontaires pour devenir grands effecteurs ?

Là où il y a SOS-Médecins, on sait que cela va fonctionner. Mais ailleurs, je ne sais pas s’il y aura des volontaires. On avait même envisagé des pistes de partenariat avec la faculté de médecine. On pourrait parfaitement imaginer que les grands effecteurs soient des internes de médecine générale en fin de cursus avec autorisation de remplacement et qu’ils soient en lien avec le centre 15 s’il y a une difficulté. L’un des autres  intérêts du dispositif proposé dans l’arrêté, c’est que ces grands effecteurs lorsqu’ils sont à plus de 30 minutes d’un service d’urgence, peuvent également avoir le statut de médecin correspondant du SAMU. Dans ce cadre-là, ils bénéficieront d’un équipement spécifique et d’une formation spécifique que nous serons chargés de leur assurer. Mais aujourd’hui, je ne suis pas sûr que le dispositif soit opérationnel… 

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Gaëlle Desgrées du Loû