"L’autre jour, j’ai opéré pendant un patient VIH. Nos deux vies étaient potentiellement en danger, pendant plusieurs heures. Les administratifs qui nous demandent des comptes sur tout se doutent-ils de ce que veut ça veut dire, le stress, en bloc opératoire ?" Réflexion captée au décours d’une des longues nuits de négociations, à la Caisse nationale d’assurance maladie, autour de la régulation des dépassements d’honoraires. De fait, on sait de plus en plus de choses sur le burn-out des médecins généralistes, les recherches spécifiques s’étant multipliées depuis que le sujet a émergé, il y a une vingtaine d’années.

 

Mais on sait moins de chose sur la souffrance professionnelle des praticiens de bloc opératoire. Une étude présentée hier à l’occasion des 12èmes rencontres de la Fédération hospitalière privée (FHP), à Lyon, a révélé des chiffres inédits et inquiétants. Près d’un tiers des 1 204 chirurgiens, chirurgiens orthopédistes, obstétriciens et anesthésistes interrogés par le cabinet ASSPRO (association de prévention du risque opératoire) scientifique, ont évalué entre 8 et 10  leur niveau de stress (sur une échelle de dix). Ces praticiens exerçaient en établissement privés ou publics, et leur temps de travail moyen hebdomadaire était supérieur à 60 heures par semaine, pour 38% d’entre eux. 40% des médecins et chirurgiens qui effectuaient plus de 80 heures de travail hebdomadaire atteignaient ce niveau de stress, quasi optimal.

 

Sentiment d’injustice

Pour les disciplines à risques, il est clair qu’en libéral, les menaces de poursuite pénales, assorties de l’alourdissement constant du prix des assurances, pèsent de tout leur poids dans cette accumulation de stress. Même si 90% des poursuites intentées se soldent par un non lieu, elles sont parfois médiatisées et particulièrement difficiles à gérer par les praticiens et le personnel soignant, qui ressent un profond sentiment d’injustice.

D’autres praticiens citent la lourdeur des tâches administratives, la pression financière et le souci de rentabilité qui induit une diminution du temps passé auprès du patient. Ces épouvantails contribuent à éloigner les jeunes de ces disciplines, qui peinent toutes à renouveler leurs effectifs. A ces soucis s’ajoutent désormais "la régulation des honoraires libres, la crainte d’une perte d’environ 20 à 30% de chiffre d’affaires, la surveillance de l’assurance maladie. Cela fait beaucoup", explique un chirurgien urologue, qui estime que l’accord conventionnel qui vient d’être conclu, signe la mort de la chirurgie libérale française.

"Très haut niveau d’expertise, très haut niveau de stress, très forts risques de judiciarisation durant la carrière, très bas niveau des actes en secteur 1, c’est la fin de l’obstétrique libérale", commente pour sa part le Dr. Jean Marty, le co-président et obstétricien du BLOC.

 

Passion du métier

Comment tiennent-ils le coup, ces praticiens à risque ? Par la passion du métier (81,6% des réponses), grâce au plaisir de retrouver leur équipe (70,2%). Ce qui prime : la mission quotidienne de soigner leurs patients (64,8%). Pour ceux-là, le niveau de satisfaction vis-à-vis du personnel du bloc opératoire est très élevé, ainsi que leurs relations avec le personnel médical et paramédical.

En revanche, ils sont près d’un quart à faire état de leur pessimisme quant à l’avenir de leur métier. S’agissant de la fatigue, 45,7% signalent son omniprésence après une série de consultations et un quart des praticiens de bloc ayant répondu à l’enquête reconnaissent redouter la charge de travail quotidienne. D’ailleurs, une fois la journée de travail terminée, ils sont un sur quatre à dire leur épuisement, avouer ressentir des troubles du sommeil ou revivre des moments difficiles de la journée, souffrir de céphalées, de douleurs du rachis après le travail. Un tableau évocateur…

En France, le taux de suicide des chirurgiens est de 6,3%, soit le double de la population générale (3,3%). Des études américaines font état d’un nombre impressionnant de mise en invalidité pour troubles psychiques parmi ces professions à risque.  

 

Contagieux

Pour le cabinet ASSPRO, il est urgent d’agir, car le burn-out est contagieux. "Un seul membre de l’équipe peut à lui seul contaminer l’ensemble de l’équipe, c’est pourquoi il est urgent de s’attarder sur le travail d’équipe, qui joue un rôle primordial dans le bien être des praticiens et la réduction du niveau de stress", explique-t-on chez ASSPRO. Chaque année, 1,5 millions d’interventions chirurgicales sont réalisées dans l’hexagone ; 60 à 95 000 événements indésirables graves (IEG) surviendraient dans la période péri-opératoire. "Un niveau de stress tendant à s’aggraver, cela peut représenter le signal d’alerte d’un risque potentiel d’augmentation des accidents", relève le cabinet conseil.

On y rappelle le bienfait d’un travail collaboratif, susceptible de limiter les IEG : check-list élaborée par la Haute autorité de santé, visant à partager les informations au sein de l’équipe et effectuer des vérifications croisées à chaque étape de l’intervention chirurgicale. S’y ajoutent le partage avec ses pairs pour lutter contre le sentiment de solitude face aux problèmes rencontrés, la réadaptation du niveau de travail, une gestion différente du temps et enfin, des techniques corporelles de gestion du stress.

Chirurgien de la main lui-même victime d’un burn-out voici quelques années, Vincent Travers, le secrétaire général de l’association, espère que cette étude permettra de "dépister les soignants en situation de dépression grave qui, sensibilisés, pourront bénéficier d’un travail thérapeutique personnel".

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne
(Avec Pourquoi-docteur.com)