Et s’il était possible de détourner le numerus clausus en France ? L’Université portugaise Fernando Pessoa, qui a ouvert ses portes à La Garde, dans la commune de Toulon, vient d’ouvrir la boîte de Pandore. Elle propose des formations en pharmacie, odontologie, orthophonie, sans avoir à passer de concours d’entrée.  A l’issue de leur formation, les étudiants repartiront avec un diplôme portugais, valable dans toute l’Union Européenne.

 


Ils ont trouvé la faille et ne s’en cachent pas. Les fondateurs de l’Université portugaise Fernando Pessoa (UFP), basée à Toulon, ont trouvé le moyen de détourner le numerus clausus sur le sol français. La faculté a ouvert ses portes le 12 novembre dernier. Elle propose des formations en sciences humaines et sociales, mais surtout en sciences de la santé, pour un tarif de 9 500 euros par an. Ainsi, de futurs dentistes, pharmaciens ou orthophonistes peuvent se former dans l’école et repartir avec un diplôme portugais. De cette manière, pas besoin de passer de concours d’entrée !

 

Entreprise délocalisée

"Nous n’avons pas de numerus clausus, étant donné que nous délivrons un diplôme portugais. A charge ensuite aux étudiants de le faire reconnaître dans le pays de l’Union Européenne de leur choix", souligne Jacques Lachamp, pharmacien retraité et responsable du cursus pharmacie à l’UFP. "Nous sommes une entreprise délocalisée, nous n’avons pas de tutelle du ministère de l’enseignement supérieur français", ajoute-t-il.

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche admet être au courant de l’ouverture de l’Université, mais personne ne serait en mesure de répondre à nos questions. "Si personne ne peut répondre, c’est que nous n’avons pas plus d’informations", s’excuse la chargée de presse. Même silence gêné du côté du rectorat de Nice. "J’ai entendu parler de cette université dans la presse locale", indique un responsable de communication.

"Nous dépendons du ministère de l’enseignement supérieur portugais. Nous n’avons aucun contact avec le ministère français", confirme Bruno Ravaz, avocat de formation, ancien président de l’Université du Sud Toulon Var et actuel vice-président de l’Université Fernando Pessoa. Ce dernier indique toutefois avoir envoyé une "déclaration en recommandé au rectorat, au préfet et au procureur de la République" pour les avertir de l’ouverture de l’école. "Nous n’avons pas d’autres obligations, l’enseignement supérieur est libre", note-t-il.

 

Formation à deux vitesses

Du côté des professionnels de santé, c’est l’incompréhension totale. La confédération nationale des chirurgiens-dentistes(CNSD) demande "la fermeture immédiate de l’antenne française de l’UFP". "À l’Université Fernando Pessoa, la sélection des étudiants se fait sur dossier et les frais de scolarité s’élèvent à 9 500 euros. Ce recrutement est totalement à l’opposé du système d’enseignement public français des formations de santé, où l’accessibilité se fait sur concours et où les frais d’inscription en chirurgie-dentaire oscillent entre 180 et 500 euros. Il est inacceptable que certains étudiants bénéficient de passe-droits leur permettant de contourner un système de sélection drastique mais ouvert à tous au seul motif qu’ils ont une puissance financière suffisante", justifie le syndicat, qui demande au gouvernement de réagir.

Même inquiétude du côté des étudiants en pharmacie. Reda Amrani-Joutey, président de l’Anepf (Association nationale des étudiants en pharmacie de France) "s’insurge contre cette école". "Avec des frais d’inscription de 9 500 euros par an, la sélection va se faire par l’argent ce qui va engendrer une formation à deux vitesses", s’inquiète-t-il. Il redoute que les étudiants fortunés "ne se fatiguent même plus à passer le concours".

Michel Chassang, président de la CSMF et du CNPS (Centre national des professions libérale de santé) est lui aussi incrédule face à l’ouverture de cette université portugaise. "J’ai du mal à imaginer que tout cela soit possible" admet-il. Il regrette que "certains utilisent la Communauté Européenne pour détourner les lois françaises et notamment le numerus clausus", ce qu’il qualifie "d’extrêmement dangereux". Pour le généraliste, "il s’agit là d’un défi lancé au gouvernement".

 

Parent pauvre

Devant ces nombreuses accusations, l’équipe dirigeante de l’UFP se défend de détourner le numerus clausus à des fins lucratives. "On nous reproche de contourner le numerus clausus, mais ça ne surprend personne que l’on fasse partir nos enfants en Roumanie ou en Belgique pour se former" s’étonne Jacques Lachamp. Conscient "d’ouvrir la boîte de Pandore", le professeur de pharmacie juge le numerus clausus et le concours d’entrée "inadaptés". L’école, qui a décidé de plafonner l’effectif de ses promotions à 50 étudiants, a opté pour une commission de recrutement composée d’enseignants français et de personnels de l’université de tutelle basée à Porto.

"Nous voulons être un pôle d’excellence. Nous allons proposer à nos étudiants de nouvelles filières, notamment dans l’environnement ou encore la qualité, professions où il y avait jadis des pharmaciens", souligne-t-il. Cet ancien pharmacien d’officine regrette que sa profession soit devenue "le parent pauvre du système". "Nous avons des étudiants de deuxième année de pharmacie qui se sont inscrits chez nous en dentaire", relève-t-il.

Pour le Dr Chassang, au delà du problème lié à cette université, "il faut réfléchir au système du numerus clausus". Le président du CNPS relève que d’après les chiffres du CNOM, la moitié des nouveaux inscrits au tableau sont des diplômés extra-français. Il note également qu’environ "900 jeunes contournent le numerus clausus chaque année pour aller se former en Roumanie ou en Bulgarie".

 

Recours

Pour surfer sur cette tendance des recalés du concours, l’Université Pessoa a décidé d’étendre la possibilité d’inscription jusqu’au 15 janvier. "On sait que les étudiants attendent des résultats du concours à la mi-janvier", indique Jacques Lachamp, "certains seront donc peut être intéressés par notre formule". D’après Bruno Ravaz, une trentaine d’étudiants sont déjà inscrits. L’université a déjà reçu près de 190 demandes. "Nous serons très sélectifs au mois de janvier. Seuls les meilleurs passeront", précise le vice-président. Quant aux 9 500 euros par an, Jacques Lachamp souligne que ce tarif a été fixé selon les critères de l’enseignement supérieur privé en Europe. "Ce n’est pas démesuré. Et il y aura un système de bourse possible", dévoile-t-il. Pour le moment, le mode des financements desdites bourses reste flou.

Face à un succès qui semble assuré, l’équipe de l’UFP mise d’ores et déjà sur l’avenir. Si les promotions de pharmacie ou d’odontologie ne devraient pas être alourdies, un cursus de kinésithérapie ou d’audio-prothésistes devrait voir le jour l’année prochaine. A plus long terme, Bruno Ravaz envisage même un département de médecine. "Nous aimerions ouvrir médecine bientôt, mais c’est beaucoup plus contraignant, notamment au niveau des stages. D’ici 10 ans, ce projet pourrait aboutir", estime-t-il.

Reste à voir la réaction des autorités françaises, qui promettent de communiquer d’ici peu. Roland L’Herron, ancien président de la CNSD et représentant  du bureau européen des dentistes, a appris de la part de son homologue italien que l’Université Pessoa avait cherché à s’implanter en Italie. "Il y a eu une opposition formelle de l’Etat et il n’ont pas pu ouvrir. L’Université devrait faire un recours contre l’Etat italien devant la Cour Européenne de justice" explique le dentiste. Selon lui, le seul recours possible pour la France est "de dire non". Au moins pour gagner du temps. Bruno Ravaz, de son côté, n’est pas inquiet. Il estime le seul événement qui pourrait mettre son école en danger serait "que la France ou le Portugal sorte de l’Europe"

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi