Il fallait un liant pour que toutes les poches de conflit éparses cristallisent entre elles. C’est fait, et ce liant s’appelle Mutualité. Pour les médecins en guerre contre le gouvernement, cet organisme à l’appétit féroce et aux amitiés de gauche est presque perçu comme le nouveau Satan.

 

Qu’il s’agisse de l’Avenant N° 8 à la convention régulant le secteur 2, du ras-le bol du harcèlement administratif des caisses exprimé sur les réseaux sociaux, de la prochaine baisse des lettres clefs en radiologie, de l’absence de dialogue de Marisol Touraine ou des mauvaises conditions de travail à l’hôpital, voire du coût des études de kiné… Ce qui fait consensus et donne du corps à la contestation, c’est le refus des réseaux de santé de la Mutualité.

D’ailleurs, la CSMF et le SML, tous deux signataires de l’Avenant N° 8 avec MG France, viennent de faire savoir par communiqué qu’ils “repartaient au combat” pour empêcher cette hydre protéiforme de gauche, de rentrer presque par effraction dans le système de santé. Sans doute une planche de salut pour les deux syndicats, particulièrement bousculés en interne par cette signature. N’empêche, on se frotte les yeux, car on croit rêver.

 

Leviers

Car voilà que la Mutualité est accusée de vouloir, avec l’accord du gouvernement et en “récompense des services rendus”, comme aiment à le répéter les membres du BLOC, transformer radicalement notre système de santé. Par quels leviers ? Des réseaux de santé à conventionnement sélectif…  Certes, lors de la négociation de l’Avenant 8, la Mutualité s’était engagée dans le cadre de l’UNOCAM (structure regroupant les organismes complémentaires santé), à solvabiliser dans un premier temps, les dépassements en secteur 2 à condition qu’ils soient modérés. Mais elle a rapidement changé de stratégie pour porter son effort sur le secteur 1, dans le cadre du paiement à la performance des médecins généralistes. Elle a même menacé de ne plus prendre en charge du tout les dépassements en secteur 2, hors du contrat d’accès aux soins. Une menace qui plane toujours, et qui fait surtout réfléchir sur la stratégie fluctuante de l’UNOCAM, qui s’est déjà dédit à deux reprises au moins, lors de la négociation sur le défunt secteur optionnel. “Partenaire fiable, les mutuelles ?”, s’interroge perfidement le SML… Partenaire du gouvernement en tout cas.

La proposition de loi PS modifiant le code de la Mutualité, présentée par Bruno Leroux et examinée le 28 novembre prochain, vise notamment à permettre aux mutuelles de moduler les taux de remboursements de leurs adhérents, selon qu’ils consultent ou non un praticien conventionné par le réseau de soins. Cette possibilité est déjà offerte aux assurances privées, qui dépendent du Code des assurances, interdite jusqu’à présent aux mutuelles, qui dépendent du code de la Mutualité alors même qu’elles disposent de nombreux réseaux en optique, dentisterie et même hospitalisation privée. La tentative de forcer ce verrou s’était soldée, lors du vote de la loi Hôpital, santé, patients et territoires, et ensuite dans le cadre de la loi Fourcade, en aout 2011, par une censure du Conseil constitutionnel … Il fallait donc changer le code de la Mutualité. Voilà qui va être fait.

 

Catimini

Objectif de ce texte, selon les propres termes de la Mutualité : mieux réduire les montants restant à la charge des assurés, notamment en optique et en dentaire, où les renoncements aux soins sont nombreux. Or, première erreur de communication – où stratégie de dissimulation qui revient en boomerang à la figure du PS – cette proposition de loi Leroux N° 296  a été déposée en “catimini, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ce qui constitue une entorse à la démocratie” sifflait  le Dr Martial Olivier-Koehret, ancien président de MG France, intervenant mardi dernier aux Assises des soins coordonnés, qu’il a créé.

Selon son analyse, l’introduction de ces réseaux à conventionnement individuel explose les fondements mêmes de notre système de sécurité sociale, issu du Conseil national de la résistance en 1945, basé sur le principe de cotisations obligatoires proportionnelles aux revenus et des prestations identiques pour tous sur tout le territoire. Et d’ajouter : “Confier le champ ambulatoire de la santé au conventionnement individuel par une proposition de loi, qui plus est adoptée en catimini, à des groupes financiers aux coûts de gestion opaques et disproportionnés qui ne paient pas d’impôts et qui se livrent à une guerre commerciale de centaines de millions d’euros pour trouver des clients est une hérésie”. Fermez-le ban. Transmis à son successeur à MG France, qui ne semble pas penser tout à fait la même chose…

Et voilà le cœur du problème, celui qui emporte l’adhésion de tous les frondeurs : l’opacité et le montant des coûts de gestion des organismes de protection complémentaire. “Selon les études de la Drees (Direction de la recherche, des études et des statistiques) ou de l’IGAS, les frais de gestion des organismes complémentaires oscillent entre 24,4% pour les assurances privées et 28% pour les mutuelles”, affirme le Dr. Lionel Barrand, vice président du Syndicat des jeunes biologistes médicaux(SJBM). Des frais énormes, donc (ils avoisinent 4% pour l’assurance maladie), justifiés par les très importants frais de prospection commerciale – autrement dit la publicité – engagés par les organismes très concurrentiels entre eux. Et, alourdis par la quasi impossibilité de faire des économies d’échelle dans une nébuleuse comprenant près de 850 structures alors qu’enfin, les rémunérations des dirigeants sont  probablement confortables, quoique protégés par la confidentialité des comptes. Car, autre élément qui a mis le feu aux poudres, Marisol Touraine a différé d’un an l’obligation qui avait été faite à la Mutualité par Xavier Bertrand, le précédent ministre de la Santé, de publier ses fameux comptes

 

Bénéfices

Comment ne pas s’étonner, dès lors, que le BLOC ait décidé, avec l’aide de la Fédération de l’hospitalisation privée, d’éditer un classement des mutuelles, basé sur les principaux actes et prestations offertes, leur coût de remboursement et surtout, le montant de leurs frais de gestion ? “On exige de nous, la transparence dans nos pratiques, on veut la même chose pour les mutuelles. Elles coutent très cher aux patients, elles ne remboursent presque rien et le gouvernement leur fait des ponts d’or”, explique le Dr. CUQ, le président du BLOC. “On est dans l’irrationalité la plus totale”, n’a pu s’empêcher de lâcher Etienne Caniard, le président de la Mutualité française, interrogé sur le Nouvelobs.com. Une interview intervenant fort opportunément après celle du Dr Schapiro, de l’Union française pour une médecine libre (UFML), qui lui avait valu à ce dernier, une attaque en diffamation d’Etienne Caniard.

Point par point, Etienne Caniard y démonte les accusations portées contre la structure qu’il préside. Non, il n’est pas assis sur un tas d’or, puisque les mutuelles sont des organismes à but non lucratif, qui ne doivent pas faire de bénéfices, contrairement aux assurances privées. Les excédents sont reversés aux allocataires, prétend-il. Oui, les réseaux permettent de “faciliter l’accès aux soins en pesant sur les prix”. A l’entendre, “ce débat est instrumentalisé par un certain nombre de professionnels de santé, notamment par les opticiens qui, depuis dix ans, ont multiplié par deux leurs points de vente (…) Nous souhaitons mettre fin à cette situation de rente. Que ça dérange ceux qui en profitent, rien de plus naturel!”. Etienne Caniard estime que la mise en place de réseaux de santé à remboursement différencié selon les praticiens accrédités ou non, peut être comparée à la politique du générique mise en place par le précédent gouvernement. Et poursuivie depuis.

 

Arc-boutés

Quand le gouvernement veut privilégier les médicaments génériques et met en place un système qui prive les assurés sociaux du bénéfice du tiers payant s’ils refusent un générique, personne ne lui reproche de freiner l’accès aux soins. Pourtant, le gouvernement crée bien une incitation en favorisant la consommation du médicament le moins cher. Nous faisons exactement la même chose : les mutuelles améliorent le remboursement pour leurs adhérents qui vont vers les opticiens, par exemple, qui ont accepté de signer un accord en diminuant leurs prix. Si nos adhérents préfèrent aller vers un autre opticien, et bien ils maintiennent leur remboursement au niveau antérieur”.

Ces dénégations ont bien peu de chances de convaincre… “Ce que cherchent  les mutuelles, c’est la mise en place de HMO à l’américaine, estime Lionel Barrand. Elles demandent à pouvoir sélectionner le risque, comme peuvent le faire les complémentaires régies par le Code des assurances. Et si elles obtiennent ce droit, c’est la fin de notre système basé sur la solidarité puisque les gestionnaires auront un intérêt inverse à celui du patient”. A l’entendre, le débat est loin d’être clos, des discussions se poursuivraient même avec le ministère de la Santé sur ce point.

Recevant une délégation d’internes et chefs de cliniques dans le cadre des négociations sur les conditions de travail, le chef de cabinet de Marisol Touraine leur a promis une rencontre avec le rapporteur de la proposition de loi sur les réseaux de santé mutualistes, Bruno Leroux. Pour rappel, lors du congrès de la Mutualité à Nice, le chef de l’Etat avait apporté son soutien à cette proposition de loi sur les réseaux des soins conventionnés des mutuelles. 

Au parlementaire maintenant,de convaincre les internes et chefs de cliniques très arc-boutés contre les conséquences de cette disposition, que cette réforme de gauche n’a rien d’un cheval de Troie introduit dans notre système de santé. Une disposition qui pourrait à terme, sans le dire, priver les praticiens de la possibilité de pratiquer des dépassements d’honoraires, pratique bien difficile à justifier dans un environnement de réseaux de santé aux praticiens accrédités et aux remboursements bonifiés. 

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne