L’avenant N° 8 à la convention médicale comporte un article qui fait l’effet d’une bombe auprès des internes et chefs de clinique : l’annonce d’un prochain zonage, par les agences régionales de santé, des lieux où l’on note de “réelles difficultés d’accès à certains soins spécialisés à tarif opposables”. Une cartographie des secteurs à honoraires libres, perçue comme un prélude à une future contrainte à l’installation.

 

Depuis le début du mouvement des internes et chefs de clinique enfle une rumeur : le gouvernement, sans le dire vraiment, voudrait mettre un terme à la liberté d’installation. Cette rumeur persistante est parvenue aux oreilles de Marisol Touraine qui ne perd pas une occasion, par médias interposés, de marteler la main sur le cœur qu’elle n’a aucune intention de limiter cette liberté, la coercition représentant à ses yeux, “une mesure contre productive”.

 

Bonnes âmes

Mais une rumeur de part jamais de rien, même si quelques bonnes âmes se chargent de souffler sur les braises. Il est tout à fait vrai que le parti socialiste s’est longuement interrogé sur la pertinence d’une forme d’entrave à la liberté d’installations pour améliorer l’accès aux soins dans certaines zones. Il est également certain que François Hollande a viré sa cuti à ce sujet, pour délaisser, en campagne électorale, la contrainte contre l’incitation, mesures ad hoc à l’appui. Mais, car il y a toujours un mais, la négociation de l’avenant N° 8 à la convention réglementant l’usage du secteur à honoraires libres est venue lancer une sacré pierre dans ce jardin d’Eden.

Dans son article 5, ledit avenant évoque “d’importantes variations géographiques sur l’offre de soins en tarifs opposables pour les soins spécialisés” qui mettent en évidence de “réelles difficultés d’accès à certains soins spécialisés à tarifs opposables”.

Or les gestionnaires ne disposent pas aujourd’hui d’un zonage pour les soins spécialisés, puisque les études effectuées par les agences régionales de santé ne portent que sur la densité de médecins généralistes. Les partenaires de la convention ont donc décidé de faire procéder à de telles analyses de l’accès aux soins spécialisés “en intégrant l’accessibilité à tarif opposable”. Un zonage de l’implantation des spécialistes en secteur 2 est donc programmé, tant pour les soins de proximité que pour les plateaux techniques lourds. Pour quel usage ?

 

Abrogation

D’une part, viser un renforcement de l’accès aux soins pour les spécialités de premier recours au sens du parcours de soins (médecins généralistes, pédiatres, gynécologues médicaux, psychiatres et ophtalmologues), dans le cadre des prochaines négociations sur les soins de proximité, mises en place une fois le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2013 voté. Il est trop tôt pour en savoir plus. Et d’autre part, pour les autres spécialités, examiner des mesures “à l’issue d’une étude approfondie de l’offre à tarif opposable tenant compte de l’activité hospitalière”. Voilà où le bât blesse, et ce qui met les internes de spécialités et autres chefs de cliniques vent debout.

Nous y voyons le début de mesures de réglementation de l’installation en secteur à honoraires libres”, explique le Dr Julien Cabaton, 1er président de l’Inscca. ”Les dispositions prises par l’ARS l’étant pour quatre ans, nous sommes très inquiets sur la prochaine étape”. Avec l’Isnih, structure des internes de spécialités, l’Inscca demande l’abrogation de cet article. Car il y a un précédent : la convention des infirmières libérales, qui s’articule sur une cartographie des installations et interdit le conventionnement aux professionnelles qui voudraient s’installer zones sur-dotées en infirmières. Il leur faut attendre un départ à la retraite ou un déménagement pour qu’une place s’y libère. A l’inverse, d’intéressantes conditions sont proposées aux infirmières qui s’installent en zones sous-dotées. On sait que cette convention est vue comme une matrice, puisqu’elle a plus ou moins servi de modèle à d’autres professions de santé, y compris les dentistes, qui souffrent eux d’un déficit démographique. D’ici à ce qu’elle inspire les planificateurs du secteur 2… La crainte est donc tout à fait justifiée.

 

Discrimination

Deuxième sujet d’inquiétude pour les internes et jeunes médecins : les modalités de calcul des dépassements autorisés dans le cadre du contrat d’accès aux soins (CAS) lors de la première installation. Pour les médecins déjà installés, une péréquation sera effectuée en fonction du taux moyen des deux précédentes années et ne pourra excéder 100% du tarif opposable.

Pour les jeunes, le calcul se fera en fonction de la spécialité et du taux de dépassement régional des praticiens éligibles au CAS, incluant les grandes villes à fort taux de dépassement. Cette modalité de calcul est perçue comme une discrimination, puisque le taux ne pourra pas dépasser 100 % du tarif opposable, alors que les jeunes médecins sont encore écrasés par les charges. “Ils veulent, grâce à nous, faire baisser le taux moyen de dépassement dans les grandes villes”, affirme Julien Cabaton. L’Inscca et l’Isnih demandent qu’au moins, la moyenne soit établie pour les jeunes, sur une échelle départementale.

Enfin, le troisième sujet d’inquiétude est partagé par les jeunes et les médecins installés réfractaire à l’avenant N° 8 : il concerne l’appétit de la mutualité qui veut tisser sa toile dans le système de santé au travers de réseaux de soins mutualistes (Voir la vidéo).

 

 

La crainte : que dans la  proposition de loi d’origine parlementaire modifiant le code de la mutualité, qui a déjà été déposé afin d’améliorer le remboursement des adhérents aux réseaux de soins des mutuelles, ces dernières puissent avoir aussi la possibilité de ne plus rembourser les patients hors du parcours de soins mutualiste. Ou de ne plus prendre en charge que les patients des praticiens conventionnés individuellement à ces réseaux. Un conventionnement soumis à un cahier des charges drastique, notamment sur le plan tarifaire, puisque le but d’un réseau de soins est de faire baisser les prix.

 

Défiance

Déjà, l’UNOCAM, organisme qui regroupe les mutuelles et assurances privées santé, a pris l’engagement, dans le cadre de l’avenant N° 8, “d’inciter les organismes complémentaires, lorsque les garanties ou les contrats le prévoient, à prendre en charge de façon privilégiée les dépassements d’honoraires des médecins adhérents au contrat d’accès aux soins pendant la durée de celui-ci”. Il est donc facile d’anticiper que le terme “privilégié” se transforme en un jour en “exclusif”…

Lorsqu’ils ont été reçus par le directeur de cabinet de la ministre de la Santé, lundi soir, les internes et chefs de cliniques ont obtenu l’assurance, par écrit, qu’un amendement gouvernemental déposé à cette proposition de loi officialisant les réseaux de soins mutualistes, de professionnels de santé et d’établissements de santé, garantirait “pleinement” la liberté de choix pour les patients.

Mais le cabinet de Marisol Touraine étant resté inflexible sur le secteur 2 et ayant repoussé à divers groupe de travail et mission d’études, les solutions à apporter aux mauvaises conditions de travail à l’hôpital ou à la rénovation du cadre des négociations conventionnelles, l’état d’esprit des jeunes n’est plus aujourd’hui à la confiance. Mais à la défiance.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne