Le Dr Mickaël Riahi est un jeune généraliste de 33 ans. Ancien président du syndicat national des jeunes médecins généralistes (de 2006 à 2007), il est installé à Paris depuis 5 ans. Enseignant à la faculté de médecine de Paris 7 depuis trois ans, il a réalisé que les jeunes refusent de s’installer en MG “pour de mauvaise raisons”. Il vient donc d’écrire un livre, qu’il a auto-édité, intitulé Installez vous qu’ils disaient, guide de survie en médecine libérale pour jeune médecin. Ecrit sous la forme d’une lettre à un ami, cet ouvrage voit résolument la médecine générale en rose. Egora.fr en publie quelques extraits, suivis de trois questions au Dr Riahi.

 

"Cher Ami,

J’ai appris avec joie que tu as le projet de t’installer. Belle initiative ! Tu as entièrement raison, installe-toi ! Evidemment ! Il faut être stupide pour retarder ad vitam eternam son installation. Parce que tout est fait par nous décourager, surtout quand on écoute parler les confrères. Ouvre un journal de médecine générale : tu as envie ou de te pendre, ou de t’inscrire à Master Chef (pour un nouveau départ).

Et pourtant…

Médecin, ça reste le plus beau métier du monde. Et le médecin, le vrai, celui tel qu’on se l’imagine depuis tout petit, ça reste le généraliste, besogneux, humain, gentil, rassurant, au départ de toute situation clinique.

Alors, oui, j’ai eu envie de dire l’inverse de tout ce que ce petit monde nous répète haut et fort : t’écrire pour te crier mon amour de ce métier, mon plaisir d’exercer – seul mais non esseulé, et te donner deux ou trois trucs pour savoir affronter les difficultés qui t’attendent.

Quand on est généraliste, on fait un métier très intéressant.

Quand on est généraliste, on gagne bien sa vie.

Quand on est généraliste, on est libre.

Quand on est généraliste, on a la reconnaissance et l’estime des patients.

Quand on est généraliste, on peut concilier travail et vie de famille.

Quand on est généraliste, on a une activité très diverse.

Quand on est généraliste, on rit, on pleure, avec les gens.

Quand on est généraliste, on aime beaucoup de gens, et les autres, on les supporte.

Quand on est généraliste, même sans Rollex, on n’a pas tout à fait raté sa vie (…)

Ne culpabilise pas de t’installer là où tu as grandi, là où tu pourras élever tes enfants et où ton conjoint pourra trouver un travail. Les problèmes d’aménagement du territoire ne sont pas les tiens. On veut nous imposer d’aller régler à nous tous seuls les problèmes de désertification des campagnes. S’il y en a que ça motive, pourquoi pas ? Mais tout le pays a besoin de médecin, donc tu seras utile où que tu ailles.

 

Le meilleur moyen de se sentir surchargé est de ne pas aimer l’endroit où tu exerces. N’écoute pas ceux qui te disent : installe toi ici, il y a plein de boulot, ou là, il n’y a plus de médecin. (…)

Il faut que tu aimes le quartier où tu passeras la plus grande partie de tes journées. Que tu t’y sentes bien, en sécurité. Car tu vas en devenir un des personnages, c’est un des effets collatéraux (pas forcément désagréable). L’idéal est d’habiter pas trop loin du lieu d’exercice, mais pas dans le même quartier, pour ne pas être dérangé en permanence, et aussi pour changer d’air le week end. Mais ne va pas t’imposer un trajet d’une heure tous les jours ! Tu finiras déjà tard le soir, alors dès que tu as fait sortir le dernier patient, hâte toi vers ton foyer… Ne te pense pas comme le sauveur du système de soins, grand, beau et musclé. On s’épuise vite quand on est le seul médecin à la ronde. (…)

 

Le métier de médecin généraliste a une particularité : il n’y a ni pose ni temps mort en consultation. C’est donc extrêmement épuisant. Raison de plus, soit dit en passant, pour commencer jeune, quand on est plus en forme…(…) A chacun de trouver son rythme. Mais il y a quelques règles générales.

Il faut avoir du temps pour déjeuner ; si tu veux être épuisé en quelques mois, mange au lance-pierre tous les midis ! Certes, tu seras plein de compassion pour les colopathes car tu en seras devenu un, mais bon, y a d’autres moyens d’être un bon médecin…(…)

 

Résumons nous : bosse à un rythme raisonnable, pour ta santé et ta condition. Ne culpabilise pas si tu ne peux pas faire les 80 heures par semaine de ton collègue de 50 ans qui a des poches de kangourou sous les yeux, et qui, j’en suis désolé pour lui, mourra d’un infarctus juste au moment où il avait assez de points CARMF pour prendre sa retraite.

Paie un comptable, ne sois pas grippe-sou.

Informatise-toi.

Tiens ton carnet de recettes au fur et à mesure des consultations, ou sers toi du logiciel de comptabilité.

Lis le courrier pendant la journée, scanne le de suite, et sors au plus vite de ton cabinet quant tu as fini. (…)

 

Accepte le système tel qu’il est et exerce ton métier sans rentrer dans ces préoccupations. La reconnaissance, tu l’auras de tes patients, pas de l’état ! Je t’ai déjà parlé de mon idée d’un système de santé plus équilibré, avec un secteur 2 à honoraires libres contrôlés pour tous. C’est mon idée, mon petit rêve, il me fait du bien, je pourrais t’en parler des heures. Mais la réalité étant autre, je ne vais pas m’arrêter de vivre. Là est le sens de mon propos : on peut se battre, revendiquer, espérer, mais cela ne doit pas nous empêcher de faire notre métier, et d’y prendre du plaisir, en utilisant au mieux le système. Ca me déplaît parfois de voir autant de patients par jour, mais je n’ai pas le choix. Je sais parfois me dire que je dois faire des consultations ultra rapides, bâclées, pourries – n’ayons pas peur des mots-, car c’est le seul moyen qui me permet de vivre correctement tout en prenant du temps pour les autres consultations, les 15 à 16 par jour qui mobilisent vraiment mes compétences. Utilise le système au mieux, tu le vivras bien mieux. (…)

 

Peut être qu’un jour les politiques comprendront qu’il est plus rentable et efficace de payermieux les généralistes, pour qu’ils voient moins de patients, prescrivent moins et aient dutemps pour la prévention. En attendant rien ne sert de ruminer: le système est comme ca,faisons au mieux!

En résumé, travaille en bonne entente avec spécialistes et para medicaux, mais en sachant te faire respecter. Sois le centre du parcours de soin, donne du sens à ce qui sinon serait une formalité administrative. Gère, progresse, utilise toutes les richesses de notre système de soin.

Assumer avec plaisir ta fonction sera un precieux remède anti-burn out. En un mot,sois le chef d’orchestre de la santé de tes patients. (…)

 

Comme tu l’auras compris, la médecine est un art difficile. Passionnant mais éprouvant.

Mentalement surtout. Pour être prêt à affronter ce métier, l’habit le plus utile est celui de la sagesse. Tout un programme… Tu verras tellement d’horreurs, d’histoires atroces, de souffrance, que tu seras tenté par le fatalisme, qui te conduira au mieux vers le cynisme, au pire vers le désespoir. N’oublie pas que le métier de médecin généraliste est un des plus dangereux en termes de santé mentale. Le taux de suicide est un des plus forts. Mais chez nous, il n’y a pas … [ pagebreak ]

de coupable tout désigné comme  dans l’industrie automobile ou les télécoms. On ne peut pas imputer le mal être des généralistes à l’impitoyable capitalisme ou aux patrons. D’ailleurs, qui s’en soucie, à part nous-mêmes?

 

Le meilleur remède me semble donc une bonne philosophie de vie. Un regard bienveillant, humaniste. Croire en quelque chose, ce que tu voudras, mais l’essentiel est de croire.

Je préfère rester éloigné de toutes les querelles, syndicales, politiques. Tu auras un avis, bien sûr, mais nul besoin de le brandir comme étendard et de "mourir" pour lui. Tu y laisserais tellement de forces, bien plus utiles pour ta vie personnelle. Tu n’as qu’à mettre tes états d’âme sur facebook ou twitter, c’est plus rigolo et moins impliquant…

 

Te consacrer à ta vie, personnelle j’entends, est un élément déterminant pour la façon dont tu seras médecin. Je ne crois pas qu’on puisse être un bon médecin en étant malheureux.

N’oublie pas que le bonheur reste le principal but à atteindre. Tu me diras que c’est vrai pour n’importe qui, quel que soit le métier, et tu auras raison. Mais la particularité du nôtre est de se plonger dans la vie des autres, et donc dans leur intimité, d’être confronté à des maladies, des drames et des difficultés sociales. Si tu n’es pas heureux dans la vie, ta mission sera impossible. Pour affronter efficacement le malheur des autres, il n’y a pas d’autre choix que de s’efforcer d’être heureux.

 

Médecin, c’est un métier, qui requiert des qualités et des compétences. Ce n’est ni un don de soi ni une thérapie. Les médecins qui conçoivent leur métier ainsi s’exposent à une trop forte implication émotionnelle, et se trompent sur le but de leur mission. Pour viser l’excellence dans ton job, tu devras le considérer comme un job justement. Et donner de l’importance à tout ce qu’il y a autour.

Construire ta vie, te consacrer à ta famille, aux amis, avoir des activités ludiques, faire du sport, prendre souvent des vacances. Pourquoi les conseils que tu donneras aux patients épuisés par leur routine ne s’appliqueraient pas a toi? Ainsi tu t’éloigneras du burn-out. Tu verras la vie telle qu’elle est, ni naïvement, ni cyniquement. Cette sagesse du troisième millénaire ne cherche peut-être pas à atteindre des sommets philosophiques, mais elle permet de toucher du doigt le bonheur. Et c’est déjà beaucoup.

 

En conclusion, installe-toi! Installe-toi, installe-toi, installe-toi! Mille fois!

Cesse d’écouter ces oiseaux de mauvaise augure qui tirent à boulet rouge sur la médecine de ville.

Oui, c’est dur, oui c’est prenant, et oui le pouvoir ne nous aide pas. Et alors? Tu en connais beaucoup des métiers simples, intéressants, bien payés et bien traités par les politiques?

Disons les choses simplement. Tu gagneras très bien ta vie si tu t’installes, et mieux qu’en tant que salarié. Tu n’auras de compte à rendre qu’à tes patients, si tu ne pars pas dans une stratégie d’affrontement avec la sécu. Pas de chef de service caractériel, pas de cadre infirmière démente (c’est un pléonasme)… Quel pied, il faut le dire, quand même!

Et tu feras la médecine que tu aimes, avec la qualité que tu exigeras de toi-même. Tu auras un métier passionnant, tu vivras des moments qui feront de toi un privilégié dans la connaissance de l’âme humaine.

Tu seras à la pointe de la technologie, tu n’auras pas à attendre l’autorisation de telle administratif pour moderniser ta pratique.

Tu auras des vacances, les horaires qui te conviennent.

Tu seras heureux.

Et si comme moi tu es un peu utopiste, tu militeras aussi pour le système dont tu rêves, mais sans trop te faire d’illusions.

Crois moi, installe-toi, et le plus tôt, car plus jeune tu te lanceras, plus de forces tu mettras dans la bataille, et plus grande sera ta réussite.

Installe-toi où tu veux, comme tu veux, mais installe-toi.

Le burn-out est facile à éviter si tu t’attaches à tous ces conseils simples.

La médecine libérale est belle, et l’exercer rend heureux, si on s’y applique.

Allez, prend ton courage à deux mains, installe-toi, et tiens-moi au courant"

 

Trois questions au Dr Mickaël Riahi.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

La démarche est née du fait que je trouvais que l’on constate beaucoup de morosité dans l’expérience des jeunes généralistes, que la situation du système de santé est mauvaise, que personne ne veut s’installer… Et je trouve que les raisons invoquées ne tiennent pas debout. L’exercice libéral, même seul, comporte quand même beaucoup de points positifs. C’est ce que j’ai voulu mettre en avant dans ce livre.

Qu’est-ce qui rebute les jeunes à s’installer ?

Il y a pas mal de choses. Ce que l’on entend le plus souvent, c’est que l’exercice libéral demande trop de contraintes, que les jeunes ne veulent plus supporter la charge de travail, qu’ils voudraient travailler tous en groupe… Dans le livre, je parle des maisons de santé, qui sont je pense une fausse bonne idée. Lorsque l’on voit quelle volonté il faut pour créer une maison de santé… Résultat plus personne ne s’installe. Je trouve qu’en s’organisant, en créant un petit cabinet, seul ou bien à deux ou trois, on peut tout à fait arriver à avoir un emploi du temps qui est correct, à faire un métier intéressant et à gagner correctement sa vie. En tant qu’ancien président de syndicat, j’ai aussi pu constater qu’à force d’être tout le temps dans la revendication, on en arrive à avoir une vision complètement négative de notre métier. Moi-même j’ai eu cette expérience. Pendant les quelques mois où j’étais à la tête de ce syndicat, je n’avais plus envie de m’installer. J’allais renoncer à mon projet. Certes il y a beaucoup de choses que l’on pourrait améliorer, mais en attendant, il faut essayer de s’adapter et ne pas oublier que l’on fait un métier qui peut encore beaucoup nous apporter.

Comment motiver les jeunes ?

Lorsque l’on s’installe en libéral, on est complètement libre du temps que l’on peut accorder à son métier. C’est faux de dire que l’on va travailler 80 heures par semaine. On peut tout à fait s’organiser pour avoir du temps libre. La deuxième chose, c’est qu’il n’y a que en s’installant que l’on va vraiment profiter de la profession de généraliste avec le suivi des patients qui rend notre métier passionnant. La dernière chose, c’est qu’on peut avoir un salaire tout à fait correct, ce qui n’est pas du tout le discours que l’on entend.

* Illustration de Florie Pirot, étudiante en D4 à Paris 7 et ancienne externe du Dr Riahi.

* Pour acheter le livre du Docteur Mickaël Riahi  : http://www.lulu.com/shop/mickaël-riahi/installez-vous-quils-disaient/paperback/product-20483824.html

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi