Un chirurgien allemand est mis en cause pour avoir manipulé les données de ses patients en attente d’un greffon. La révélation de ces irrégularités, cet été, a mis le système allemand de don et de greffe d’organes en débat, alors même qu’une nouvelle loi entre en vigueur pour lutter contre la pénurie.

 

Fin mai, les députés allemands du Bundestag adoptaient, dans un consensus général de tous les partis, une nouvelle loi pour améliorer le don et la greffe d’organes dans le pays. Mais deux mois plus tard, des révélations d’irrégularités graves dans deux centres de transplantation ont ébranlé la confiance dans le système.

En juillet, l’hôpital universitaire de Göttingen, en Basse-Saxe, soupçonnait l’un de ses chirurgiens d’avoir falsifié les résultats d’analyse de vingt-trois de ses patients malades du foie, ces deux dernières années, pour les placer en position prioritaire sur le papier, en cas de greffon disponible. Début août, l’hôpital de Ratisbonne, en Bavière, établissait les mêmes fautes qui auraient été commises par le même praticien entre 2004 et 2006. Ces cas, confiés au parquet, apparaissent isolés. La chambre nationale des médecins (Bundesärztekammer) n’a en effet relevé que trente et une violations des règles d’attribution des organes entre 2000 et 2011.

 

Dons à la traîne

Mais d’autres données inquiètent dans le pays : l’augmentation du nombre d’allocation de greffons en procédure accélérée, lorsqu’un organe issu d’un donneur âgé ou malade est attribué par un hôpital directement à l’un de ses patients, si l’établissement ne trouve pas preneur dans le circuit habituel. Cette procédure concerne aujourd’hui un quart des greffes de cœur (contre 8 % en 2002), 43 % des greffes de pancréas et 30 % des greffes de poumons. Ces chiffres peuvent s’expliquer par le vieillissement de la population allemande et l’augmentation de l’âge des donneurs. Reste qu’après la révélation des manipulations de données dans deux hôpitaux l’information risque de détériorer encore un peu plus la confiance des donneurs potentiels dans un système qui fonctionne sur le principe du consentement explicite (du donneur, de son vivant, ou des proches après le décès).

Or l’Allemagne souffre déjà plus que ses voisins d’un manque de greffons. Le pays compte 15,8 prélèvements d’organes pour 1 million d’habitants, loin derrière la Belgique (20,5), l’Autriche (23,3), la France (23,8) et l’Espagne (32 prélèvements pour 1 million d’habitants)*. Un peu plus de 4 900 transplantations (dont celles issues de dons du vivant) ont été réalisées en Allemagne en 2011, dans un pays de près de 82 millions d’habitants. La France, avec 65 millions d’habitants, en a effectué autant.

Pour lutter contre cette pénurie, la loi adoptée au printemps prévoit d’interroger régulièrement tous les assurés sur leur volonté ou leur refus de donner, toutefois sans obligation de se décider. Ce sont les différentes caisses d’assurance maladie qui doivent envoyer les demandes. Mais l’AOK, principale caisse publique allemande, avec 24 millions d’assurés, a déjà annoncé suspendre provisoirement la mesure à la suite de ce qui s’appelle déjà le “scandale du don d’organes” outre-Rhin.

 

Des compétences éclatées

État, médecins, hôpitaux, assurances maladie, tous les acteurs du système s’accordent sur l’urgence d’agir vite pour prévenir tout nouveau dysfonctionnement. Une réunion au ministère de la Santé a dessiné des pistes le 27 août : vérification immédiate des opérations effectuées dans les hôpitaux agréés pour les greffes, contrôles surprises, création d’un guichet de signalement des manquements, demande aux hôpitaux de supprimer toute prime aux médecins pour la réalisation d’une greffe.

“Le système allemand est beaucoup plus compliqué qu’ailleurs, constate Günter Kirste, directeur médical de la fondation allemande pour le don d’organe DSO (Deutsche Stiftung für Organspende), d’utilité publique. Le don, l’allocation et la greffe des organes sont strictement séparés en Allemagne, pour éviter les conflits d’intérêts. Mais les cas de Göttingen et Ratisbonne montrent que les abus restent possibles.”Contrairement à la France (avec l’Agence de la biomédecine) ou à l’Espagne, l’Allemagne ne dispose d’aucune institution de santé centralisée qui conduirait tout le processus. La fondation DSO de Günter Kirste coordonne le don, le prélèvement et le transport. La répartition des greffons revient à la fondation internationale Eurotransplant, dans laquelle coopèrent sept pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Autriche, Slovénie, Croatie, Hongrie). La greffe est de la responsabilité de quarante-huit hôpitaux allemands agréés, qui dépendent des Etats-régions, l’Allemagne étant un pays fédéral.

Le circuit est sûrement mieux coordonné en Espagne, en Belgique et en France,fait remarquer Eckardt Nagel, chirurgien, ancien directeur du centre de transplantation d’Augsbourg et membre du comité national d’éthique. En Allemagne, nous avons toujours misé, dans l’organisation du système de santé, sur l’auto-administration des différentes structures, c’est-à-dire sur une collaboration des organisations de médecins, des groupements d’hôpitaux et des caisses d’assurance maladie. Ce système fonctionne très bien dans de nombreux domaines. Dans celui de la transplantation, il peut sembler moins approprié. Personnellement, je pense qu’une administration nationale centralisée est à considérer avec prudence dans un pays aussi peuplé que l’Allemagne.” Le ministère de la Santé n’envisage d’ailleurs pas de simplification du système à court terme.

 

Mise en concurrence des hôpitaux

L’Allemagne compte aujourd’hui quarante-huit hôpitaux habilités à greffer tous ou seulement certains organes. Certains transplantent beaucoup, d’autres peu. Pour les greffes du pancréas (171 cas en 2011), chaque centre agréé en a transplanté en moyenne sept. La moyenne est de seize opérations par centre pour les greffes de cœur.

“Nous savons que la chance de réussite d’une greffe est influencée par le nombre d’opérations réalisées,souligne Andreas Pascher, médecin-chef au centre de transplantation de l’hôpital de la Charité, à Berlin. Quand un hôpital ne réalise que cinq à dix greffes par an dans un domaine particulier, cœur, pancréas ou poumon, cela se passe naturellement moins bien. Nous avons besoin de nombreuses ressources pour une transplantation : de médecins expérimentés en anesthésie, en chirurgie, en hépatologie, en néphrologie, d’une très bonne station de soins intensifs, en somme, d’une très bonne infrastructure qui doit être payée quoi qu’il en soit.”

Or le financement des greffes se fait en Allemagne par l’intermédiaire d’un forfait (par opération) payé à l’hôpital par la caisse d’assurance maladie du greffé (l’assurance maladie du patient paie aussi un forfait, de 8 500 euros environ, à la fondation pour le don d’organes DSO). “Moins un centre transplante, moins il est rentable. Donc, comme le nombre de greffes est limité par le volume des dons, les centres se trouvent en concurrence quantitative les uns avec les autres.” Pour Andreas Pascher, cette situation peut inciter à des agissements illicites. “Le système ne peut devenir plus sain qu’en réduisant et en régulant le nombre de centres, conclut le médecin. Il faudrait aussi instaurer d’autres incitations, qualitatives, fondées par exemple sur la survie à long terme des patients greffés.” Mais ces décisions seraient de la responsabilité des États-régions, qui rechignent à renoncer à leurs compétences, en matière médicale comme ailleurs.

En attendant une évolution sur le sujet, la nouvelle loi prévoit déjà l’envoi de chargés de transplantation dans les 1 200 hôpitaux allemands dotés d’un service de soins intensifs. Cette initiative doit aider à ce que les hôpitaux signalent tous les cas où un don d’organes serait possible. C’est le point décisif pour arriver à une hausse des dons”,insiste Günther Kirste. Un nouveau dispositif qui, cette fois, devrait survivre au “scandale ”.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Rachel Knaebel, correspondante Egora en Allemagne

 


* Chiffres 2010. Source : Agence de la biomédecine.