Philippe Piat est maître de stage pour le 3eme cycle de médecine générale. Jean-Noel Praud et Caroline Pung sont internes en médecine générale à la faculté de Montpellier-Nîmes. Ensemble, ils ont écrit ce véritable plaidoyer en faveur de la médecine générale. Constats mais aussi solution pour rendre ses lettre de noblesse à cette spécialité en mal de vocations.
A l’heure où les internes de spécialités médico-chirugicales sont dans la rue ou en grève pour exiger avec leurs aînés le maintien du droit à dépassements d’honoraires, sans se soucier de l’accès aux soins des citoyens, personne ne prête attention à l’autre moitié de ces internes, les futurs médecins généralistes. En effet, la profession n’attire plus, car elle est dévalorisée par les enseignants hospitalo-universitaires qui privilégient la formation des internes de leur spécialité. Ils sont encore nombreux à considérer que la médecine générale devrait rester ce qu’elle était auparavant, c’est à dire la sortie du tronc commun à l’issue de l’externat. Le prestige de la médecine générale a aussi décliné sous l’influence quotidienne des médias écrits et audiovisuels qui mettent systématiquement en exergue le spectaculaire, avec les services d’urgence et la médecine très spécialisée. Même le think tank Terra Nova, proche du PS, dans son rapport sur le système de soins appelle à en finir avec la référence au médecin de famille, alors que c’est sous le gouvernement de Lionel Jospin qu’avait été institué le principe du médecin référent.
Il n’y a donc rien de surprenant à ce que les étudiants fuient cette filière de médecine générale bien qu’elle soit érigée en spécialité depuis 2004, avec le même concours d’internat et la même durée d’études (9 à 10 ans). Entre 2004 et 2008, sur 12 600 postes d’interne en médecine générale mis au choix de l’Examen Classant National, 3 800 sont restés vacants. Les étudiants ont préféré redoubler que choisir cette spécialité. En 2011, sur 3 930 postes d’internes en médecine générale pour 7 592 postes mis au choix, il restait encore 3 101 postes vacants au moment où tous les postes des autres spécialités médicales et chirurgicales étaient déjà choisis (1). La conséquence de cette désaffection est une diminution prévisible du nombre de médecins généralistes de près de 40% d’ici 2025 à raison d’un solde négatif de 2 000 par an.
Médecin (sous) traitant
Heureusement ils sont un certain nombre à avoir la vocation, mais cela ne les aveugle pas au point de ne pas savoir que leurs aînés sont maltraités depuis plus de 30 ans. Fermeture de l’accès au secteur à honoraires libres en 1991, suppression de l’option médecin référent avec son principe de forfait par patient en 1997, ce qui a mis de nombreux praticiens en grande difficulté. D’autant que l’instauration du médecin (sous)traitant en 2005 n’a eu pour effet que d’augmenter les honoraires des médecins correspondants sous couvert d’un parcours de soins où les médecins de famille n’ont rien gagné en dehors de toute la paperasserie administrative qui leur est maintenant réservée. Voila quelques raisons du retard à l’installation des jeunes générations. Ils savent aussi que leurs revenus moyens seront nettement plus faibles que ceux des autres spécialistes libéraux mais également comparativement plus faibles que ceux de leurs confrères généralistes salariés (sur la base du salaire moyen horaire) (2), au prix de semaines de 57 à 60 heures et de l’absence de perspective de carrière. La moitié des médecins généralistes libéraux présentent des symptômes d’épuisement professionnel et ils se situent en deuxième position en termes de suicide après les policiers (3).
Dans ces conditions, on comprend mieux la désaffection des jeunes médecins pour la médecine générale de terrain (d’autant que 65 % des généralistes formés sont des femmes , qui ont souvent une vision moins exclusive de leur projet professionnel) .Non seulement cette spécialité est perçue par beaucoup d’étudiants comme un repoussoir mais de plus, un seul internes de MG sur 10 s’installe actuellement en libéral (l’âge moyen d’installation est 37 ans) , les autres font des remplacements ou travaillent comme salariés, ce qui leur permet de garder un ancrage en ville avec un confort de vie et des revenus suffisants . Le ratio salaire horaire /temps libre reste le souci principal des jeunes générations.
Prise de conscience
En France, la prise de conscience de l’intérêt de la médecine générale va grandissante chez les hospitalo-universitaires, à tel point que deux professeurs de médecine viennent de proposer de transformer l’Hôtel-Dieu de Paris en centre de santé au terme d’un plaidoyer enflammé pour la médecine générale. Faisant le panégyrique de la médecine de proximité “qui comprend le souci de l’autre, le service rendu, le dialogue singulier et le professionnel référent identifié ”. S’affligeant de son déclin, ils lui proposent le gîte et le couvert même si “dans l’Hôtel-Dieu, ce qui coûte cher c’est l’hôtel, Dieu n’a pas de prix !” Pas sûr que la solution soit économe mais on ne peut nier que cela soit un beau projet et que l’Hôtel Dieu poursuivrait là une tradition d’hospitalité au sens de soins de premier recours tout en gardant une stature hospitalo-universitaire qui permettrait de faire de l’enseignement et des études de Santé Publique comme les anglo-saxons savent le faire, eux qui ont compris depuis longtemps l’intérêt d’un système de soins de premier recours organisé, chargé de la coordination et de la continuité des soins sous l’égide d’hospitalo-universitaires spécifiques (Institute of Health and Wellbeing,General Practice and Primary Care).
Il va de soi que toutes les maisons de santé ne pourront être logées dans les centres hospitalo-universitaires ! Il en faudra sur tout le territoire (même si l’exercice libéral individuel gardera toute sa place) et en particulier dans les régions rurales et dans les banlieues. Comme on l’a vu, c’est dans les zones défavorisées sur le plan socio-économique que les polypathologies commencent plus tôt, sont plus nombreuses et s’accompagnent plus souvent de troubles psychiatriques.
Les Maisons et Pôles de Santé Pluridisciplaires (MSP et PSP) favoriseront une prise en charge médico-sociale de qualité des patients dans le cadre d’un projet de santé publique. Elles apporteront des éléments de solution à la crise de la médecine générale en permettant un exercice en groupe avec d’autres médecins et des paramédicaux , et en offrant des lieux de stage pour les étudiants et les internes . Ces stages leurs permettront d’apprécier la vie et l’exercice médical dans ces territoires et ainsi les inciteront à s’y installer. (4) Ces Maisons de Santé Pluridisciplinaires Universitaires seront le lieu privilégié de la recherche en santé publique d’autant que pourraient y être associés les centres de Protection Maternelle Infantile et les Centres de Planification Familiale.
Crise des vocations
Malheureusement, la mise en œuvre de ces MSPU risque d’être longue et complexe, pour de nombreuses raisons (rapport Hubert ) dont la première est le manque de fiabilité de l’Etat dans la pérennité des financements de structure, comme le vivent les Maisons Médicales de Garde actuellement .
Même si ces projets aboutissent, il n’est pas sûr que cette nouvelle façon d’exercer la médecine générale, malgré les horaires plus normaux, les meilleures conditions de travail, les nouveaux modes de rémunération et ce rôle de coordination des différents paramédicaux permette d’endiguer la crise des vocations. Des vocations, il en existera toujours , mais soyons réalistes : après un concours difficile et des études très longues et de haut niveau , il faudra en passer par une revalorisation conséquente de la médecine générale pour changer le regard de tous sur cette profession indispensable , passionnante mais difficile car demandant des compétences multiples et de plus en plus poussées , pour que la majorité des étudiants l’apprécient autant que d’autres spécialités.
Ce n’est qu’à ce prix que le pays aura une médecine de premiers recours de bonne qualité, bien répartie géographiquement et capable d’assurer son rôle de santé publique : prévention, dépistage, éducation thérapeutique, suivi et coordination des soins des patients, ainsi que la permanence des soins ambulatoires, en préservant l’accès aux soins pour tous sans dépassement d’honoraires.
Non, la disparition annoncée du médecin de famille n’est pas une chance pour les patients, car la qualité et la pérennité de la relation entre médecin et patient forment la trame sur laquelle peut se tisser une prise en charge médico-sociale efficiente, mais c’est peut-être l’occasion d’attirer l’attention sur les conditions nécessaires à une refondation de la médecine générale.
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Philippe Piat, Jean-Noel Praud et Caroline Pung
(1) source DRESS Novembre 2011
(2) UNASA Statistiques professions libérales PARIS 2008 et DRESS Dec 2011
(3) étude du groupe Pasteur Mutualité : entre 30 et 60 ans , 14% des décés sont des suicides contre 6% dans la population générale.
(4) Médecin de campagne : l’avenir ? La revue du praticien juin 2012 Guy Vignon , Jean-Pol Fritsch