Plusieurs centaines de praticiens en colère se sont rendus hier à Paris, à l’appel du BLOC, mobilisés contre l’accord en suspens à l’assurance maladie, sur la régulation des honoraires libres. Les représentants du groupe Facebook : "Les médecins ne sont pas des pigeons" étaient venus aussi en nombre, avec le tee shirt de circonstance. Dans l’assemblée bondée du Grand Rex, un cinéma parisien, on a noté la présence active de représentants de la FMF, des internes de l’Isnih, des chefs de cliniques de l’Isncca et de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).

Pour Egora.fr, Philippe CUQ, le président du BLOC, parle de "hold-up" de la négociation par les généralistes, de dérobade des mutuelles sur la prise en charge des compléments d’honoraires. Il part en guerre contre le gouvernement et fixe un rendez-vous au 12 novembre, point d’arrivée de la mobilisation qui de devrait qu’amplifier d’ici-là si l’accord était signé lundi en l’état ou si Marisol Touraine,  à défaut,  déposait au parlement un texte de loi, muselant le secteur 2.

 

– Vous venez d’organiser le rassemblement à Paris de plusieurs centaines de chirurgiens, professionnels à plateau technique lourds et médecins du secteur 2,  qui protestent contre l’orientation des négociations en cours à la CNAM sur la limitation des honoraires en secteur 2. Ces négociations n’ont pas abouti jeudi dernier, quelle est votre analyse de la situation ?

– Dr. Philippe CUQ : Cette négociation découle de la campagne présidentielle conduite sur la volonté d’encadrer le secteur 2 et de sanctionner de façon efficace les abus et les excès des dépassements. Voilà plus de douze semaines que les rencontres ont commencé, depuis le 25 juillet exactement, et nous nous trouvons aujourd’hui face à une véritable escroquerie. Quand on analyse le contenu de la négociation, ce qu’on constate, c’est qu’il y a eu hold up !

 

– C’est à dire ?

– Ce que l’on voit, c’est que les généralistes vont bénéficier d’une revalorisation d’environ 330 millions d’euros. Très bien pour eux : je suis intimement persuadé que la rémunération du médecin généraliste est insuffisante et qu’elle pénalise l’accès aux soins. Mais pour des raisons politiques, de pouvoir, pour des raisons de stratégie syndicale, le but initial de la négociation a été abandonné et s’est brusquement transformé en une revalorisation du tarif opposable pour les généralistes, forfaits et consultations.

Deuxième point. S’agissant du contrôle des dépassements excessifs, on nous propose un texte incompréhensible, qui au final, laisse la décision à l’assurance maladie. Mais nous sommes en démocratie, et on ne peut concevoir que  les mêmes personnes  fixent les tarifs, contrôlent et sanctionnent. On n’est pas dans un régime totalitaire ! Nous nous battrons jusqu’au bout pour que le contrôle ne soit pas aux mains des caisses d’assurance maladie. De plus, les critères pris en compte pour calculer les dépassements autorisés ne sont pas vraiment définis, et ce flou va permettre de couvrir les excès : il suffira qu’un professeur signe cinq publications écrites par les internes et chefs de cliniques pour que celui-ci bénéficie des plus gros dépassements. Vis-à-vis de la médecine libérale, c’est deux poids deux mesures, c’est une escroquerie politique intolérable de la part d’un gouvernement socialiste.

 

– Quand au contrat d’accès aux soins ?

– Nous sommes très favorables à la mise en place d’un contrat d’accès aux soins attractif, mais il est inconcevable de vouloir encadrer le secteur 2 si l’on n’a pas préalablement défini ce qu’était un abus et un excès. A l’origine, le contrat devait comporter trois éléments, qui ne sont plus respectés aujourd’hui. Le premier, c’est la revalorisation du tarif opposable par l’assurance maladie. Or, on propose  aux chirurgiens et obstétriciens, 8 % d’augmentation en 2016, c’est à dire à peine l’inflation. ! Compte tenu du retard tarifaire que nous subissons, c’est se foutre de la g… des gens. Ceci nous place très loin de l’enveloppe accordée en une seule fois aux généralistes. Ensuite, jusqu’à jeudi dernier, la participation de l’UNOCAM (mutuelles et assurances privées. Ndlr), au remboursement des compléments d’honoraires maîtrisés dans le contrat d’accès aux soins était acquise. Mais brusquement, jeudi, tout a changé. Dans le projet d’accord qui nous a été soumis l’UNOCAM n’intervenait plus sur ce point. Enfin, je souligne un troisième point : l’injustice. La campagne de François Hollande a été dictée par la lutte contre l’injustice. La moindre des choses, dans ce cadre-là, eut été de rendre aux chefs de cliniques coincés en secteur 1 depuis 1990, la possibilité d’accéder au contrat d’accès aux soins comme leurs confrères du secteur 2.

 

– Combien sont-ils ?

– Moins de 500 en chirurgie, quelques dizaines en anesthésie et 400 environ en obstétriques. Le sort qui leur a été fait est une injustice majeure qui ne peut qu’entraîner des effets pervers, dont la perte de confiance fait partie. Le gouvernement socialiste aurait pu redresser cette injustice créée par la droite. Je pense que l’application de cet avenant conventionnel va aggraver l’accès aux soins.

 

– Vous rendez-vous demain lundi 22 octobre à l’ultime séance de négociation ?

– Nous sommes tous en activité, et lundi j’ai sur mon planning quatre interventions et une dizaine de consultation. J’irai avec un peu de retard, mais il semblerait que l’escalade continue de la part des syndicats non concernés par le problème des honoraires libres. Là aussi se situe l’escroquerie politique, car il n’y a pas de problème d’accès aux soins pour les généralistes. Il n’y a que 15 % des généralistes en secteur 2, et lorsqu’ils le sont, c’est essentiellement à Paris dans des quartiers huppés. On voit bien aujourd’hui le diktat des uns et des autres pour essayer de ramasser le maximum d’argent. L’assurance maladie obligatoire va mettre une somme dérisoire sur la chirurgie. Et presque 180 millions sur la médecine générale ! L’assurance maladie complémentaire mettra zéro sur la chirurgie mais 150 millions d’euros pour les généralistes ! Le plus insensé c’est que MG France qui avait demandé 500 millions d’euros menace maintenant de ne pas signer ! Ce qui revient à dire que les positions se cristallisent et deviennent des positions politiques. Je suis tout à fait conscient que la médecine générale de premier recours est menacée par une désertification de carrières et que le problème tarifaire est fondamental. Il faut revaloriser les actes des généralistes. Mais ce n’était pas le thème de la négociation, c’est une erreur politique majeure de Marisol Touraine. Elle renvoie l’ascenseur… Alors on veut bien être gentils, mais il y a des limites. La réunion du Grand Rex, a sonné la mobilisation des forces vives. Nous appelons à la résistance et au combat. Nous nous préparons à entrer en conflit avec le gouvernement puisqu’il s’agit d’une commande politique. Si rien n’a changé lundi, nous nous sentirons en résistance. J’annoncerai la semaine prochaine des mesures de combat et des mesures immédiates qui malheureusement n’amélioreront pas l’accès aux soins.

 

– Dans ce combat, les jeunes sont là pour vous servir d’armée…

– Nous respectons beaucoup les jeunes. A leur place, je m’inquiéterais car lorsqu’on analyse l’évolution des tarifs en chirurgie, comment peut-on penser une seule seconde s’installer en secteur 1 ? On ne peut pas exercer dans de bonnes conditions, utiliser des techniques qui permettent de bien traiter les patients. La technique endovasculaire pour le traitement des varices, je peux l’utiliser grâce à mon secteur 2 puisque ni le matériel ni l’acte n’est remboursé par l’assurance maladie. Dans ma clinique, le robot chirurgical utilisé par les urologues existe grâce au secteur 2, car le matériel du robot n’est pas remboursé par l’assurance maladie. Si vous plafonnez le secteur 2 à 100 ou 150 %, ce sera terminé, il n’y aura plus de robots. Vous allez voir la déstabilisation terrifiante qui va survenir. Mais la ministre ne veut rien voir, elle ne veut pas savoir cela. Elle est aveuglée par le problème politique des dépassements d’honoraires. Mais nous, on s’en fout de l’argent au fond : on veut soigner les gens correctement avec une rémunération correcte eu égard à la longueur de nos études, aux risques et à la pénibilité du métier. Michel Chassant dit qu’un médecin généraliste est moins payé qu’un chauffeur de taxe en attente, c’est vrai ! Et en chirurgie sans complément d’honoraires, c’est monstrueux ! Une heure de travail en bloc pour 80 euros, c’est scandaleux ! Les gens ne savent pas tout çà, on véhicule l’idée que les docteurs ne pensent qu’à s’engraisser sur le dos de la sécurité sociale. J’ai personnellement 57 % de charges professionnelles !

 

– Si la négociation n’aboutit pas lundi soir, Marisol Touraine affiche sa détermination à déposer un amendement dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss), pour réguler autoritairement les dépassements d’honoraires. Votre sentiment ?

– J’ai été reçu par un membre de la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale.  Nous nous sommes longuement expliqués. Pour moi, cette commande est politique, il appartient donc au gouvernement de prendre ses responsabilités ; il ne peut pas demander aux partenaires conventionnels de faire le sale boulot à sa place. Il doit assumer, y compris s’il s’agit d’une erreur politique. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités. Vous rendez-vous compte qu’aujourd’hui, la ministre en est réduite depuis vendredi à téléphoner personnellement aux présidents de syndicats pour les faire signer ? Vous croyez que c’est respecter la négociation conventionnelle, que c’est respecter l’indépendance des partenaires sociaux et la démocratie sociale ? Marisol Touraine doit assumer, préparer son texte de loi et le présenter dans le cadre du Plfss. Les Français jugeront.

 

– Vous voulez faire chuter le gouvernement ?

 Pas du tout. Mais je dis simplement que sur ces points-là, il se trompe. J’ai combattu, Philippe Douste-Blazy et après lui, Xavier Bertrand, toujours pour défendre notre exercice et la qualité des soins de nos patients. Le gouvernement est aujourd’hui aveuglé par de l’idéologie de bas étage. Quand on a un peu de courage politique, il faut assumer ses choix. Or, la ministre se trompe par méconnaissance du dossier. 

 

Source :
http://www.egora.fr/
Propos recueillis par Catherine Le BorgneArticle mis à jour dimanche 21 octobre à 11 heures

Article mis à jour dimanche 21 octobre à 11 heures