Après une nuit de négociations dures, les syndicats et la CNAM ont pondu un projet d’avenant limitant les dépassements d’honoraires à 150%, créant le contrat d’accès aux soins, aux dépassements limités à 100%.  MG France, qui croyait emporter la mise avec une grosse enveloppe pour les généralistes de secteur 1, a lâché l’éponge au petit matin après que Marisol Touraine a confirmé que le syndicat devait revoir sérieusement ses ambitions à la baisse. CSMF, FMF, SML et Le BLOC ont quitté la CNAM sans conclure. Voire même furieux. La négociation se poursuit, a déclaré la ministre sur France 2. Déroulé d’une nuit très agitée.

 

Le comité d’accueil était impressionnant : des cars de CRS en enfilade et face à eux, 600 internes en blouses blanches, devant la porte vitrée de la Caisse nationale d’assurance maladie. Les pouvoirs publics craignaient sans doute des débordements pour cette dernière séance de négociation autour de la limitation des honoraires. Il faut dire que l’enjeu était de taille : il s’agissait de trouver lundi soir un remède à un problème qui empoisonne le climat depuis près de 32 ans… Et les jeunes générations sont sur les dents.

 

Diktat

Avant même l’entrée dans la salle de négociation, les visages étaient tendus. L’échec de la dernière réunion de jeudi était dans toutes les têtes et Michel Chassang, le président de la CSMF, a vertement critiqué devant la presse la méthode du gouvernement, qualifiée de diktat. En cas de non accord entre les syndicats médicaux, les organismes de protection complémentaire et l’assurance maladie, le gouvernement recourra “rapidement” à la loi, a confirmé le Président de la République au congrès de la Mutualité française. Le BLOC, qui dit "toujours préférer la loi à un mauvais accord", semble lui dire “chiche ?”, en préparant son grand mouvement de grève pour le 12 novembre.

Or, “Il y a encore énormément de chemin à faire pour que nous puissions signer a confirmé Michel Chassang. Ne nous demandez pas de choisir entre la peste et le cholera” a-t-il lâché à la presse avant d’entrer dans la salle des négociations. Le directeur de la Cnam, Frédéric Van Roekeghem, a confirmé qu’il ne ferait aucune déclaration liminaire, contrairement à la semaine dernière où les médias ont été informés avant les négociateurs de son intention de limiter à 150% le taux maximum de dépassement en secteur 2.

Deux heures après être entrée dans la grande salle du conseil, jusqu’à 22 heures environ,  les négociateurs sont restés enfermés, sans un signe vers l’extérieur. “Les choses se passent ni mieux ni moins bien que la semaine dernière” a juste lâché Claude Leicher, le président de MG France, arrivé tardivement à la Cnam.

 

Contrat de dupes

Première pause : 23h45.  Les positions syndicales se sont nettement tendues avec en ligne de mire l’UNOCAM (protection complémentaire), accusée de se dérober à ses promesses de solvabiliser les dépassements maîtrisés du contrat d’accès aux soins. “L’Unocam n’est pas au rendez-vous, accuse Christian Jeambrun, le président du SML. S’il doit y avoir échec, le responsable sera l’UNOCAM, qui refuse de s’investir. Les médecins n’ont aucun intérêt à signer un tel accord. La négociation est très mal partie si les mutuelles restent sur cette position”. Michel Chassang partage cette analyse : “L’incertitude est totale sur la position de l’UNOCAM qui n’est pas en capacité de faire respecter un accord, chaque mutuelle, chaque assurance est indépendante. Pour les médecins, c’est un contrat de dupes !” ”C’est une perte de temps, les mutuelles ne sont pas fichues de s’engager sur une somme ridicule 50 millions par an sur trois ans, alors qu’elles remboursent 800 millions de dépassement… La FMF ne signera pas pour en encadrement du secteur 2 sans revalorisation substantielle du secteur 1”, a surenchéri Jean-Paul Hamon, le président du syndicat. MG France est encore plus radical, en affirmant que les revalorisations promises ne sont pas grand chose et qu’il n’y a rien sur le secteur 1. Le syndicat affirme qu’il n’apposera sa signature qu’à un accord comportant une revalorisation substantielle du forfait médecin traitant.

On s’en doute, l’UNOCAM n’a pas la même version des choses. Cinquante millions d’euros de plus par an (c’est à dire 50 en 2013, 100 en 2014 et 150 en 2015), sur la médecine générale, majoritairement dans le cadre du financement du volet médical de synthèse lié au paiement sur objectif de santé publique, c’est “tout de même pas mal pour des gens qui ne s’engagent pas” remarque le porte-parole de l’organisme vers 1 heure du matin. Il fait également noter que les 800 millions d’euros de remboursements annuels demeurent, même si l’UNOCAM souhaite conseiller aux mutuelles et assurances privées de les diriger “prioritairement” vers les remboursements des dépassements de praticiens en secteur 2 ayant souscrit au contrat d’accès aux soins.

 

Enchères

A 1h30, la CNAM met un nouveau texte sur la table. Et celui-ci fait de grandes concessions en direction des syndicats médicaux. D’une part, vis à vis de MG France, qui faisait monter les enchères. Le syndicat gagne, conformément aux engagements du Président de la République, la promesse de l’ouverture prochaine de négociations conventionnelles sur l’élargissement de la rémunération par forfaits, ce que doit rendre possible le prochain projet de financement de la sécurité sociale. Des forfaits versés aux médecins traitants, modulés selon leurs zones géographiques, plus élevés pour qui s’engage dans les zones désertifiées ou exerce dans un cadre collectif. MG France veut maintenant l’inscription d’un échéancier dans le texte.

Ensuite, les consultations à valeur ajoutée : sortie d’hospitalisation, insuffisant cardiaque qui devraient entrer en vigueur en octobre 2013 (2 C) ou la consultation longue pour patient âgé de plus de 85 ans et ensuite 80 ans (forfait de 5 euros versé directement au praticien), seront réservées aux médecins traitants. Enfin, comme le demandait MG France, le taux de 150% de dépassements, au delà duquel celui-ci devient excessif, est réintroduit dans le texte (il avait disparu de la précédente version). Il engage également les praticiens à atteindre le taux de 100% d’ici la fin de la convention (Cette dernière mention disparaîtra au finish). Mais l’inscription de ce taux est insupportable pour le SML, le BLOC et la FMF. Pour eux, pour la CSMF et pour le BLOC, en revanche, l’assurance maladie accepte d’anticiper de 6 mois les tranches de revalorisation de nomenclature, qui interviendraient pour les chirurgiens, obstétriciens et quelques spécialités cliniques au 1er juillet 2013, 2014 et 2015.

Ensuite, parmi les engagements nouveaux qui vont peser sur les praticiens en secteur 2 ou ceux qui souscrivent au contrat d’accès aux soins, la définition de la population auprès de qui le praticien doit exercer en secteur 1 strict est modifiée.

On compte désormais les patients vus en urgence, les titulaires de la CMUc, à l’AME, mais la grosse population“ éligible” à l’aide à la complémentaire santé (4,7 millions de personnes), devient la plus petite population“ titulaire”, soit 876 000 personnes seulement. Cette revendication était un point fort pour le SML, la CSMF et le BLOC. Mais le projet d’avenant spécifie que le  praticien s’engage à effectuer en 2013, plus d’actes en secteur 1 qu’en 2012. 

 

Promettre et ne pas tenir

5h15 : tout le monde attend la dernière version amendée du texte. Les choses auront-elles encore bougées, sachant que la ministre de la santé doit intervenir sur France 2 à 7h50, pour répondre aux questions des journalistes sur le sujet ? Dans les couloirs de la CNAM, Jean-François Rey, le président des spécialistes de la CSMF, accusait l’UNOCAM de refaire le même coup que pour le secteur optionnel : promettre et ne pas tenir le moment venu. Les mutuelles attendraient, laisse-t-il entendre, des engagements de la part du gouvernement d’une toute autre nature pour se positionner clairement, concernant les taxes acquittées depuis deux ans. Ou encore la mise en place de filières mutualistes avec l‘assurance obligatoire.

Après une ultime réunion des présidents de syndicats, vers 6h30 du matin, avec le directeur général de la CNAM, le résultat des courses était le suivant :

  • Maintien de l’inscription du taux de 150% au delà duquel le dépassement devient excessif. Ce taux sera fixé par la CNAM après consultation de la commission paritaire nationale,
  • Le taux d’actes en secteur 1 doit être maintenu au minimum pendant la durée du contrat,
  • Les titulaires de la CMU, de la CME, les actes d’urgence et les actes effectués auprès des patients ayant demandé à bénéficier d’une aide à la couverture santé ACS) doivent bénéficier du secteur 1, pour les médecins du secteur 2 ou les secteurs 2 sous contrat. Pour ces derniers, qui s’engagent à ne pas dépasser plus de 100% (et même moins, selon une moyenne des deux dernières années), l’assurance maladie prendra à sa charge la fraction de protection sociale afférente aux actes en secteur 1 effectués.
  • Le praticien qui entre dans le contrat doit y rester au minimum trois ans,
  • Le contrat deviendra effectif lorsque 50% des médecins éligibles l’auront choisi, soit vers juillet 2013,
  • Les généralistes demandent 5 euros sur le forfait médecin traitant, qui remplacerait le volet médical de synthèse lié au P4P. Ce qui représente une revalorisation de 240 millions d’euros pour ce poste. Plus 250 millions d’euros promis par la CNAM, et simplement évoqués par l’UNOCAM, mais sans engagements formels de la part des complémentaires.

 

Furieux

Il est 7h15. MG France, qui laissait entendre qu’il se dirigeait vers une signature après consultation de ses instances et arbitrage final de la ministre, apprend de cette dernière qu’elle n’accepte le principe du forfait médecin traitant que pour les plus de 60 ans. Le syndicat, furieux, quitte la Cnam. Tout comme le SML, le BLOC et la FMF, furieux de la nature même de l’accord. Quant à la CSMF, manifestement partagée entre ses généralistes et ses spécialistes, elle va consulter sa base. A 7h50, Marisol Touraine reconnaissait que la négociation était difficile et qu’à ce titre, il fallait qu’elle se poursuive avant d’en arriver au dépôt d’un texte de loi au Parlement. A suivre.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne