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Les médecins dégoûtés par la saleté des femmes au XIXème siècle

Chers lecteurs, cet été Egora.fr a publié une série d’articles historiques. Retrouvons cette rubrique chaque vendredi.

 

Les médecins du XIXe siècle déplorent que non seulement beaucoup de femmes tardent à consulter, mais qu’un grand nombre d’entre elles, excepté les mains et le visage, ne se lavent jamais. Comment dans ces conditions répugnantes procéder aux indispensables touchers pelviens qui à l’époque se pratiquaient sans gants… ?

 

au XIXe siècle, nombreux sont les médecins à déplorer, pour leurs conséquences médicales, le silence des femmes, le retard qu’elles mettent à les consulter, les résistances qu’elles apportent à se laisser examiner, que ce soit, et ce sont là les explications qu’ils leur donnent, par ignorance, peur de souffrir ou d’être questionnées sur leur sexualité, indocilité,mauvaise volonté, caprice, stoïcisme, indifférence à l’égard de leurs maladies, dissimulation ou encore pudeur.

Mais ils se gardent bien de parler de leurs propres difficultés à examiner, que nous ne connaissons le plus souvent que par ce qu’en disent leurs confrères, rares étant ceux qui les reconnaissent, qu’elles tiennent à leur ignorance, leur manque d’égards, de respect, leur inhabileté manuelle, leur crainte de la syphilis, leur propre pudeur, leur sexe ou leur répugnance. C’est à cette dernière que nous nous intéresserons ici plus particulièrement.

 

Vulve rouge, tuméfiée, suintante

Bien sûr, le médecin n’est pas insensible à tout ce qui est sale, hideux, repoussant, à la malpropreté ou saleté des corps qu’il examine, à leurs infirmités, leurs difformités, aux maladies de la peau. Certains ne cachent pas leurs dégoûts, leurs répugnances. D’autres ne font que signaler ce qui est dégoûtant, comme si cela était entendu, partagé par tous, sans s’impliquer personnellement. Ainsi en va-t-il du dégoût qu’inspire la saleté ou la malpropreté de certaines femmes.

Cette malpropreté était certaine.  Elle est souvent relevée par les médecins jusqu’à la fin du XIXe siècle, en particulier par ceux qui exercent à l’hôpital. Les femmes négligeraient, selon eux, les soins de propreté par caractère ou par devoir, comme certains ordres religieux, par incurie, excès de travail ou défaut d’habitudes hygiéniques, ou bien encore en raison d’un embonpoint excessif.

"Il y a des femmes qui, dans ces conditions d’embonpoint excessif, ne font pas assez souvent, ou à de rares intervalles, et même jamais (nous en avons vu de nombreux exemples) les ablutions vulvaires et de toute la zone génitale", assure Eugène Guibout, médecin de l’hôpital Saint-Louis. Selon Alphonse Guérin, chirurgien de l’hôpital de Lourcine, cette malpropreté est souvent poussée "à un point incroyable. Nous voyons entrer à l’hôpital (dans un hôpital de Paris !) des femmes qui ne se lavent pas même après leurs règles […]. La malpropreté des parties génitales de la femme est encore plus repoussante (il veut dire ici : plus repoussante que celle des hommes). Plus d’une fois il m’est arrivé de recevoir des malades qui avaient la vulve rouge, tuméfiée, suintante […]".

 

Aucun tableau de fantaisie

Elle est souvent avancée comme une des causes, sinon la cause principale, voire unique, des maladies des organes génitaux externes de la femme. C’est par exemple une des principales causes de la "vulvite simple" ou de l’"herpès vulvaire". Son association à un écoulement par la vulve donne lieu à des descriptions médicales saisissantes du sexe malade de la femme : chez celles qui négligent les soins de propreté, surtout quand existe un catarrhe utérin, "toute la zone génitale n’est plus qu’une sorte de marécage infect et impénétrable, dont les émanations nauséeuses se répandent à travers les vêtements, et entretiennent, tout autour de la malade, comme une atmosphère impure, dont les exhalaisons fétides se sentent à distance" ; quand se manifeste un "herpès vulvaire", les femmes "exhalent, même à distance, une odeur nauséeuse, justement comparée à l’odeur du poisson de mer qui a perdu sa fraîcheur. Cette odeur se dégage de la vulve, véritable foyer d’infection, réceptacle impur où stagnent, retenus par la chevelure qu’ils agglutinent, des liquides en putréfaction de natures et de provenance diverses : c’est le sang des règles, c’est le catarrhe vaginal, c’est la sueur, c’est l’humeur sébacée ; tout cet abominable et infect mélange croupit entre les grandes et les petites lèvres, emprisonné sous les mailles épaisses et durcies d’une chevelure inculte et agglutinée ".

Eugène Guibout, à qui nous devons ces descriptions, se croit obligé d’ajouter qu’il ne fait là "aucun tableau de fantaisie", comme si le lecteur allait mettre en doute leur réalité, comme pour s’en défendre : "nous racontons avec l’entière sincérité qui appartient à la science, ce que nous avons maintes fois observé", plaide-t-il. Nous remarquerons l’utilisation répétée de l’adjectif "impur", traditionnellement associé au sexe de la femme.

La femme est alors un "objet de dégoût" pour les autres, pour son mari en particulier, comme Eugène Guibout se plaît à le souligner, mais aussi à elle-même, pour elle-même : "Si les femmes sont à elles-mêmes et pour elles-mêmes un objet de dégoût, ne le sont-elles pas bien plus encore pour leur mari ? Combien le catarrhe utérin n’apporte-t-il pas de froideurau foyer domestique ! Et combien d’hommes, par son fait, ne voient plus dans leurs femmes que des objets d’éloignement et de répugnance, au lieu d’y trouver les plus aimables attraits !" Le dégoût est surtout lié à l’écoulement de sécrétions par la vulve.

 

Croûte de la langue

Cette malpropreté et les lésions vulvaires qui l’accompagnent ou en résultent peuvent rendre impraticable tout examen des organes génitaux de la femme : chez certaines femmes trop négligentes, les matières sécrétées par l’appareil sexuel, "concrétées à la vulve, et réunissant entre eux les poils de cette partie", constituent "une sorte de feutrage" qui s’oppose non seulement à l’introduction du spéculum ou du doigt, mais même à celle de la sonde pour le cathétérisme de la vessie, explique Auguste Dubaquié. Par ailleurs, dans ces cas, "l’exploration n’est pas facile à cause de la douleur qui porte les malades à se défendre quand on les examine", précise Alphonse Guérin.

Une autre conséquence de cette association est qu’elle peut induire en erreur le médecin, les sécrétions vulvaires, se mêlant à la saleté, pouvant faire croire à une maladie de nature spéciale. Mais une toilette intime avant l’examen pourraient de même l’induire en erreur en faisant disparaître momentanément certains symptômes.

Mais, ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, est qu’elle peut déterminer le médecin à ne pas procéder à certains examens. Bien sûr, ils sont plusieurs à affirmer que rien ne doit détourner le médecin de l’examen rigoureux de son patient, pas même ce qui est dégoûtant, dont Jean Dépayrot se complaît, avec force détails, à dresser la liste : "Quelque dégoûtant que soit cet examen, il doit être fait avec exactitude. Rien ne doit échapper à l’oeil vigilant du médecin. Cette crasse que laisse sur la peau la transpiration dépravée qui ne peut plus s’échapper en gaz, cette poudre en laquelle se convertit l’humeur des glandes de Meibomius et qui couvre les cils, la pellicule que forme sur la cornée l’humeur de la conjonctive, les larmes dont on ne peut rapporter l’écoulement aux passions tristes, les lentores des dents et des lèvres, la croûte de la langue, la salive, les crachats, la sueur, les urines, les excrétions alvines, les évacuations contre nature, comme les hémorragies, les matières du vomissement : tout doit être visité et étudié avec soin". 

 

Se salir les doigts

Certains rappellent qu’il est du devoir du médecin de résister "à toutes les répugnances de la sensibilité",  d’autres assurent qu’ils ont surmonté leur dégoûts, comme pour s’en défendre ou pour s’en persuader. "La science doit surmonter toutes les répugnances pour arriver à la découverte de la vérité et parvenir à constater l’étatmorbide de la connaissance duquel peut dépendre la vie dumalade […]. Tout sentiment de dégoût doit disparaître quand il s’agit de sauver un malade ; le médecin, le chirurgien, sont les hommes de la science ; pour eux, l’intérêt de l’humanité, le salut des malades doit l’emporter sur toute autre considération", affirme Pierre Maigne.

Cependant, nous savons, le plus souvent par leurs confrères, rares étant ceux qui le reconnaissent eux mêmes, que certains ne procédaient pas, par dégoût, au toucher vaginal ou au toucher rectal, qui, nous le rappelons, se pratiquaient alors sans gant, ou à une auscultation immédiate. " […] comme parmi les femmes qui réclament nos soins dans les hôpitaux il y en a quelques-unes qui ne connaissent d’autres soins de propreté que ceux qui consistent àse laver la figure et lesmains, je comprends bien que le spéculum soit plus de votre goût que le toucher vaginal. C’est pour cette raison sans doute que la plupart des médecins ne savent pas toucher. Cette accusation ne paraîtra pas injuste à ceux qui, faisant un retour sur eux-mêmes, se demanderont si, dans tous les cas où ils ont été consultés par des femmes pour une affection de l’abdomen, ils ont bien exploré avec le doigt toutes les parties susceptibles de donner lieu à des symptômes qui sont généralement attribués aux lésions du col de l’utérus", nous apprend Alphonse Guérin, dans cette adresse à ses confrères.

Pour Auguste Tripier aussi, cette préférence accordée au spéculum s’expliquerait par la répugnance des médecins à "se salir les doigts".  La négligence du toucher rectal dans l’examen clinique de la femme trouve ici une de ses explications . Ceux qui dénoncent cette négligence des touchers pelviens, ne manquent pas de rappeler leur importance, et qu’en aucun cas, l’emploi du spéculum ne saurait remplacer un toucher vaginal. Il en va de même pour l’auscultation immédiate dont un des inconvénients est "le dégoût qu’inspire la malpropreté de quelques femmes". Avec le stéthoscope, par contre, "on est assez bien isolé de la malade pour que sa malpropreté ou ses maladies ne provoquent pas une répulsion gênante".  Mais, dans ce cas, voilà qui porte peu à conséquence. L’examen clinique de la femme peut être ainsi négligé du fait de la répugnance du médecin à le pratiquer.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : M.D, d’après La RevueduPraticien.fr. Pour lire le dossier complet, cliquez sur ce lien, Sylvie Arnaud.