Chers lecteurs, cet été Egora.fr a publié une série d’articles historiques. Retrouvons cette rubrique chaque vendredi.

 
 

Guy de Maupassant est mort à 43 ans d’une paralysie générale, liée à une syphilis contractée 16 ans plus tôt. Sa correspondance et plusieurs témoignages permettent de suivre l’évolution de sa maladie qui fut une terrible descente aux enfers.

 

Maupassant, maître incontesté de la nouvelle littéraire, était célèbre pour son appétit sexuel qu’il exprime, ainsi, dans le poème libertin Désirs: "Je voudrais que pour moi nulle ne restât sage; Choisir l’une aujourd’hui, prendre l’autre demain, Car j’aimerais cueillir l’amour sur mon passage, Comme on cueille des fruits en étendant la main…"

Maupassant se vantait de pouvoir accomplir jusqu’à vingt étreintes en une seule nuit, n’hésitant pas à faire constater ses performances devant un huissier!  À 27 ans, il contracte la syphilis à la suite d’une relation avec une de ses compagnes de canotage. Il le relate dans une lettre écrite le 2 mars 1877 à son ami Pinchon: "Tu ne devineras jamais la merveilleuse découverte que mon médecin vient de faire en moi… La vérole… J’ai la vérole, enfin la vraie, pas la misérable chaude-pisse, pas l’ecclésiastique christalline… non, la grande vérole, celle dont est mort François-1er. Et j’en suis fier, malheur…, j’ai la vérole, par conséquent je n’ai plus peur de l’attraper".

 

Un oeil qui dit Zola à l’autre

Le 11 mars 1877, il reçoit un traitement à base d’arsenic et d’iodure de potassium. Mais ce dernier lui donne des troubles digestifs et il doit l’arrêter. Ladreit de la Charrière, médecin au ministère de la Marine, l’envoie faire une cure d’eaux sulfatées. Il semble avoir pris également d’autres D médicaments antisyphilitiques alors en vogue tels que le célèbre sirop de Gibert, des pilules de Ricord et la liqueur de Van Swieten.

En 1877, Maupassant se plaint à Tourgueniev de perdre ses cheveux par poignées, ce qui laisse supposer une possible syphilis secondaire. À partir de cette période, il se plaint aussi, à de multiples reprises, de migraines tenaces qui lui broient la tête et qui l’empêchent de lire plus d’une heure de suite.

Guy de Maupassant a commencé à évoquer ses troubles oculaires en 1880. Il explique son handicap à Flaubert dans les termes suivants ‘je n’y vois presque plus de l’oeil droit… enfin, c’est à peine si je peux écrire en fermant cet oeil’. Au mois de mars 1880, il précise "j’ai une paralysie de l’accommodation de l’oeil droit et Abadi considère cette affection comme à peu près inguérissable ‘. Le Dr Abadie qu’il a consulté a préconisé l’administration de cyanure de mercure, puis l’a adressé au Pr Rendu. L’année suivante, le 7 août 1881, Maupassant écrit à son ami Pinchon "T’épate pas si ce n’est pas mon écriture. J’ai un oeil qui dit Zola à l’autre".

La vie de Maupassant, handicapé par ses troubles visuels, est devenue un véritable calvaire. Il le décrit en 1890  : "Cette impossibilité de me servir de mes yeux… fait de moi un martyr… Je souffre atrocement… certains chiens qui hurlent expriment très bien mon état… Je ne peux pas écrire, je n’y vois plus. C’est le désastre de ma vie". 

À partir de l’automne 1889, les premiers troubles liés à la paralysie générale apparaissent. Les 2 années qui suivent le début de cette redoutable complication de la syphilis (automne 1889- janvier 1892), voient l’activité de Maupassant diminuer de façon notable. Il éprouve le besoin d’une perpétuelle fuite en avant qui le contraint à changer perpétuellement de domicile. Il erre de Paris à Cannes, des Pyrénées à l’Algérie, et d’une station thermale à une autre.

 

Excentricités

Mais surtout, Maupassant est devenu sujet à bien des excentricités. Un jour, on le retrouve sur le boulevard Haussmann gesticulant et invectivant des passants imaginaires. Un autre jour, il explique au poète Dorchain que le lac Divonne déborde en plein été, qu’avec sa canne il s’est défendu de 3 souteneurs par devant et de 3 chiens enragés par derrière… Une autre fois, il se plaint d’être imprégné de sel, responsable selon lui d’intolérables douleurs gastriques et cérébrales.

Au cours de cette période, Maupassant a des troubles de l’écriture qui sont tout à fait typiques de la paralysie générale. L’écriture ondule à l’effort, des syllabes ou des mots sautent dans le corps des phrases, mais surtout son style littéraire devient enfantin et répétitif comme l’atteste cette lettre écrite à sa mère: "Je fais faire pour mon bateau une tente très épaisse courant le pont que m’assurera dedans un asile petit, mais frais, quel que soit soleil dans les ports. En mer si nous marchons par des jours très chauds je resterai dans l’intérieur comme dans un petit salon bleu. Où je pourrais sommeiller comme chez moi. Dans les petits ports qui me plairaient, je passerais huit jours en me promenant surtout dans les ports d’Espagne…".

Maupassant se plaint à longueur de journée de terribles névralgies crâniennes et oculaires, d’une diminution de sa vision et de multiples hallucinations autoscopiques et auditives. Il vit dans la hantise de sombrer dans la folie.

Parallèlement, l’aspect physique de Maupassant se transforme. Un visage de vieillard contraste avec un corps toujours vigoureux et même athlétique. Ce visage émacié et ravagé frappe Tancrède Martel, dès la fin de 1889. Un an plus tard, le 23 novembre 1890, Goncourt, qui l’a observé à l’occasion de l’inauguration du monument de Flaubert à Rouen, note dans son Journal: "Je suis frappé de la mauvaise mine de Maupassant, du décharnement de sa figure, de son teint briqueté… et même de la fixité maladive de son regard. Il ne me semble pas destiné à faire de vieux os".

 

Un coup de revolver dans la bouche

Durant l’été 1891, Maupassant se confie, à Paris, à son vieil ami le peintre Fournier: "Personne ne me reconnaît plus, c’est un fait… Je souffre de plus en plus d’horribles migraines. Seule l’antipyrine me donne un peu de calme… Seulement je crois bien que c’est à cause de ce poison que j’ai maintenant d’effroyables lacunes dans la mémoire. Les mots les plus simples me manquent. Si j’ai besoin du mot ciel ou du mot maison, ils disparaissent subitement de mon cerveau. Je suis fini".

La deuxième période d’évolution de la paralysie générale de Maupassant est marquée par une détérioration mentale majeure qui débute au cours de la nuit du 2 janvier 1892. François et le marin Raymond sont réveillés cette nuit-là par un grand bruit dans la chambre de l’écrivain. Ils le trouvent ensanglanté, cherchant désespérément à se jeter par la fenêtre. Maupassant, après avoir tenté vainement de se tirer un coup de revolver dans la bouche (mais son valet en avait, par prudence, retiré les balles), s’était alors, en désespoir de cause, tailladé la gorge. Les deux hommes le maîtrisent à grand peine et sont obligés de le ligoter. Toute la journée Maupassant demeure confus et prostré. Le soir, il se dresse en hurlant: "François vous êtes prêt? Nous partons. La guerre est déclarée".

À Paris, Mme de Maupassant est informée de la situation. Elle consulte aussitôt le célèbre psychiatre Émile Blanche. Ce dernier juge nécessaire de faire venir l’écrivain à Paris pour l’interner, à Passy, dans sa clinique où Gérard de Nerval avait déjà séjourné 40 ans plus tôt. Blanche envoie à Cannes un infirmier musclé qui prend en charge Maupassant et lui passe une camisole de force. Avant de le mettre dans le train, on lui fait longuement contempler son yacht, dans l’espoir d’un hypothétique et bénéfique choc psychique… Finalement, le 7 janvier 1892, Maupassant est hospitalisé dans la chambre 15 de la clinique de Passy. Ce sera son seul univers jusqu’à sa mort 18 mois plus tard.

Les dernières semaines, Maupassant reste inerte, couché ou secoué de sinistres crises d’épilepsie. Il sombre dans le coma et meurt seul le 6 juillet 1893 à moins de 43 ans, sans la présence d’amis ou de famille. Son père et sa mère, qui ne sont pas venus le voir, une seule fois, à la clinique, ne se dérangeront pas pour ses obsèques. Ainsi finit Maupassant qui avait prophétisé: "Je suis entré dans la vie littéraire comme un météore et j’en sortirai comme un coup de foudre".

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : M.D, d’après La RevueduPraticien.fr. Pour lire le dossier complet, cliquez sur ce lien, Bruno Halioua*. 

 

* Bruno Halioua. Ancien chef de clinique à la faculté de médecine et dermatologue, il enseigne l’Histoire de la médecine à l’université Paris IV.