La révolution née de la loi Bertrand sur le médicament qui met en place le financement du DPC par une taxe levée sur l’industrie pharmaceutique est-elle en train de s’autodétruire ? Le produit de la taxe acquittée pour 2012 a disparu. Et de grands doutes pèsent sur le financement et l’organisation du DPC en 2013.
On n’y voit pas très clair, mais tout ce que l’on sait, c’est que cela s’agite pas mal dans le monde du développement personnel continu (DPC). Issu de la loi de décembre 2011 sur le médicament, le financement du DPC par le biais d’une taxe sur l’industrie pharmaceutique fait l’objet de toutes les suspicions. Et aiguise tous les appétits.
Sacraliser le transfert
Le montant de la taxe 2012 : 160 millions d’euros dûment réglée par les industriels à l’Ursaff, (qui a pris en 2005, la succession de l’ACOSS, la banque de la Sécurité sociale), a purement disparu du secteur de la formation continue, pour aller se perdre dans l’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance maladie). “La taxe, bien sûr que nous la payons, mais nous ne savons pas ce qu’elle devient” a confirmé lundi soir Christian Lajoux, le président du Leem (Les entreprises du médicament), invité de l’émission C dans l’air, sur France 5, consacrée au livre des Prs Debré et Even sur les médicaments inefficaces, inutiles ou dangereux.
A l’origine, cette somme aurait dû être fléchée vers un fond d’affectation. Mais la loi qui a créé cette taxe additionnelle sur le chiffre d’affaire "n’a pas désigné de fond d’affectation, le décret de réforme du DPC n’est toujours pas appliqué”, explique Philippe Lamoureux, le directeur du Leem. “Les texte ne sont pas publiés, mais nous sommes contraints d’acquitter une taxe injuste et opportuniste pour financer une réforme qui n’a pas vu le jour. Il est bien évident qu’à défaut de texte, la taxe de l’industrie a été utilisée pour contribuer au respect de l’Ondam 2012”.
Pourtant, dans l’esprit du législateur, la moitié de cette taxe aurait du venir abonder l’OGDPC (organisme gestionnaire du DPC), où sont fléchés les 80 millions de la dotation conventionnelle pour le DPC des professionnels de santé libéraux, versée par l’assurance maladie. L’OGDPC recueille également les fonds de l’Etat, soit deux millions d’euros pour cette fin d’année 2012. Deux arrêtés ont été publiés au journal officiel il y a trois semaines pour sacraliser ce transfert.
"Perdant-perdant"
L’OGDPC doit ensuite, selon les textes, répartir cette manne entre les libéraux, les salariés et les autres professions de santé libérales, l’hôpital bénéficiant de la moitié de la taxe pharmaceutique, gérée par un mécanisme à part. Mais, l’argent de 2012 a disparu. "Nous n’avons aucune trace de l’utilisation de ces fonds, confirme Philippe Lamoureux, qui parle d’un marché “perdant-perdant” entre les médecins et l’industrie pharmaceutique. Mais “gagnant pour l’assurance maladie, qui verse moins pour la formation continue que l’industrie”.
Mais ici et là, des voix s’élèvent pour dénoncer le “hold up” avec d’autant plus de virulence que l’an prochain, les autorités envisageraient de verser les deux tiers de la taxe à l’Ondam 2013, ce qui ne laisserait que 53,5 millions d’euros pour le DPC des professionnels de santé libéraux et salariés et les médecins hospitaliers. "Lorsque je pose précisément la question, on me répond par un large sourire", relate le directeur du Leem.
Le Dr Christian Jeambrun, le président du SML, ne l’entend pas de cette oreille. “Il s’agit d’une mauvaise loi, d’une usine à gaz. Elle ouvre la porte à toutes les manoeuvres. Je pense que la formation continue des libéraux est très mal partie…”, se désole-t-il. Sa grande crainte : que la contribution conventionnelle liée à la convention médicale disparaisse. Pour laisser les médecins libéraux contraints légalement par une obligation de formation continue et des sanctions en cas de non respect. Et, pour satisfaire cette obligation, un financement de seulement 75 millions d’euros, voire encore moins. Une crainte relayée il y a quelques mois par le Dr Michel Chassang, le président de la CSMF.
Boîte de Pandore
De fait, cette dotation conventionnelle de 80 millions d’euros est liée à la convention médicale, précisément en chantier sur le sujet de la limitation des honoraires libres. Et la Cour des comptes ne vient-elle pas de tirer à boulets rouges sur les “avantages sans contrepartie” alloués aux médecins du premier secteur par le biais de leurs cotisations sociales, partiellement prises en charge par les caisses ? La boîte de Pandore serait-elle en train de s’ouvrir ? “Si c’est le chemin que l’on nous désigne, c’est tout à fait clair que nous allons vers l’affrontement”, prévient le président du SML.
A l’évidence, la ministre de la Santé a remis sur le métier la réforme de formation continue, née de la loi Hôpital, patients, santé et territoire. Mais, sans vraiment le dire, à bas bruit. "Le DPC sera opérationnel au 1er janvier prochain", s’est-elle engagée à l’occasion des entretiens de Bichat, à Paris. Un coin du voile a néanmoins été levé lorsque la ministre a révélé dans son discours son intention de passer de 5 à 17 (et autant de suppléants), le nombre de sièges réservés à la médecine générale au sein de la CSI (commission scientifique indépendante). Ceci pour rabibocher les frères ennemis de la médecine générale, scindés entre membres du Collège d’une part, et certains syndicats médicaux de l’autre. Et aussi mettre les médecins généralistes à parité avec les médecins spécialistes dans une CSI médecins unique. Nouveauté : une instance de coordination supplémentaire sera constituée pour jouer les intermédiaires. “La CSI va devoir valider les organismes de formation continue d’ici le mois de juin. Cela paraît peu réaliste”, commente un bon connaisseur du dossier.
Continuum
Autre annonce de la ministre de la Santé : son intention d’adosser à l’avenir le DPC au troisième cycle de médecine. “Filialiser le DPC avec la formation médicale initiale, cela signifie que ce seront les universitaires qui auront à s’occuper de notre formation continue, alors que nous avons mis des années à nous sortir de leur tutelle. Ils ne sont pas des hommes de terrain, qu’ils restent dans le secteur de la FMI” s’emporte Christian Jeambrun.
A MG France, en revanche, on calme le jeu. “On n’a pas très bien compris ce que voulait dire la ministre”, avoue le Dr. Marie-Hélène Certain, en charge du dossier au syndicat. Les généralistes restent “vigilants” évidemment, mais une chose lui semble acquise, le ministère n’aurait aucune intention de revenir trente ans en arrière pour confier la formation continue des libéraux aux universitaires. Même si ces derniers en rêvent… “Il y a des universitaires généralistes” rappelle-t-elle. Le cabinet de Marisol Touraine semblerait plutôt se diriger vers un “continuum entre la FMI et le DPC, sur le plan des méthodes d’enseignement”. En outre, ajoute le Dr Certain, la maîtrise de stage pourrait devenir une des méthodes de DPC, à condition de répondre à un cahier des charges actuellement en cours de rédaction à la Haute autorité de santé (HAS), avec le Collège des généralistes enseignants et le Collège de médecine générale.
Des orientations, encore très floues qui, tout comme le financement du DPC, demandent à être très rapidement précisées. Alors que l’obligation de FMC, elle, est une réalité.
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne