Dans son dernier rapport, la Cour des comptes préconise de remettre en cause les avantages sociaux des praticiens conventionnés stricts (cotisations sociales partiellement prises en charge par les caisses) pour utiliser l’argent ainsi économisé à améliorer l’accès aux soins.

 

Un “casus belli”, une “véritable provocation”… La CSMF s’est étouffée d’indignation à la lecture du dernier rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, présenté hier matin. Et il y a de quoi ! Car dans ses recommandations numéros 9 et 10, la Cour envisage ni plus ni moins de faire exploser le système conventionnel né dans les années soixante. Et de récupérer pour un autre usage (l’amélioration de l’accès aux soins)  les 2,2 milliards d’euros (en 2011) représentant  le coût de la dotation des caisses à la prise en charge partielle des cotisations sociales des médecins du premier secteur (assurance maladie, allocations familiales et ASV).

Explosion du système conventionnel, en effet, car cette prise en charge représente pour les médecins du premier secteur la part majeure du contrat conventionnel : des honoraires différés (le vrai coût de l’acte est de 26 euros  et non de 23), accordés en contrepartie de l’application strict des tarifs conventionnels, identiques sur tout le territoire. Qu’importe pour la Cour. Cet avantage a représenté 18 % du revenu des médecins du premier secteur en 2008, et près de 16 % de celui des spécialistes, fait-elle simplement remarquer, “sans contrepartie”.

 

Rubis sur l’ongle

Les médecins en honoraires libres, en revanche et en toute logique, n’ont pas droit à cet avantage (quoiqu’ils cotisent – à tarif plein – à l’ASV, régime né avec le système conventionnel). Ils paient donc à 100 % leurs cotisations sociales, quand  les caisses les prennent en charge aux deux-tiers pour les médecins du secteur 1. Ce qui est amené à représenter une très lourde charge à l’avenir, sachant dans quelles proportions les cotisations du régime ASV sont appelées à augmenter. Or, dans l’accord conventionnel au finish conclu avec le gouvernement sortant, les caisses se sont engagées à “suivre” comme on dit aux cartes, et continuer à payer rubis sur l’ongle, malgré l’augmentation à venir, les deux tiers du coût des cotisations des médecins du premier secteur.

Y aurait-il une relation de cause à effet ? Toujours est-il que la Cour imagine tout simplement flécher autrement cet argent, aujourd’hui distribué à l’aveugle, pour améliorer l’accès aux soins. A la fois pour mieux répartir les professionnels de santé sur le territoire et réguler les dépassements d’honoraires, les deux plaies de notre système de santé. Mais de là à imaginer que le secteur 1, ce “ghetto”, cette “prison” où l’on veut jeter les contrevenants du secteur 2, serait la vache à lait… Il y a un pas que la Cour franchit allègrement. Voici comment.

 

Liberté tarifaire

En imaginant, dans un premier temps, utiliser comme un levier le financement partiel de ces charges sociales, et en en modulant le taux pour tous les médecins, selon le lieu d’installation. Une mise en place de tarifs différenciés selon les lieux d’exercice qui revient, signale la CSMF,  a dissoudre la convention médicale. “Et rendrait alors aux médecins libéraux une totale liberté tarifaire, comme c’est le cas pour les autres professions libérales”.

Et la Cour d’imaginer “Une modulation portant sur l’ensemble des avantages sociaux dont bénéficient les médecins, y compris ceux qui sont déjà installés, selon qu’ils exercent dans des zones plus ou moins dotée”. Le mécanisme “pourrait s’appliquer à l’ensemble des professions qui connaissent des déséquilibres démographiques tels qu’ils font obstacle à l’égalité d’accès aux soins”. Les magistrats de la rue Cambon se justifient :  “La participation financière de l’assurance maladie aurait ainsi à nouveau une raison d’être clairement identifiée et reconnue tant pour les professionnels que pour les assurés”.

 

Option de coordination

Deuxième cible : les dépassements d’honoraires. La Cour demeure très sceptique sur l’efficacité de l’option de coordination, issue de la précédente convention. Cette option impose aux praticiens qui l’ont souscrite d’appliquer des tarifs opposables pour les actes cliniques dispensés dans le parcours de soins coordonnés, appliquer des dépassements maîtrisés, plafonnés par acte facturé à 15 % des tarifs opposables pour les actes techniques dispensés dans le cadre du parcours de soins coordonnés, et réaliser au moins 30 % de son activité en tarifs opposables.

En contrepartie, le praticien  bénéficie de deux avantages : la facturation de la majoration de coordination lorsqu’il reçoit un patient dans le cadre du parcours de soins coordonnés, et la prise en charge d’une partie de ses cotisations sociales par l’assurance maladie. Au 1er janvier 2008 signale la CNAM,  20 professionnels de santé ont adhéré à l’option de coordination. Au titre de l’année 2006, le montant moyen de l’aide versée par la Cpam s’est élevé à 2 324€.

 

Mort né

La Cour demande donc une évaluation du mécanisme “qui consacre l’élargissement des prises en charge de cotisations par l’assurance maladie à des praticiens de secteur 2”.

Par ailleurs, en septembre dernier, un décret donnait naissance à une option de coordination renforcée, en lieu et place d’un secteur optionnel irréalisable. Chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens peuvent depuis bénéficier de cette prise en charge partielle de leurs cotisations sociales, à condition de pratiquer des dépassements limités à 50 % du tarif conventionné et de réaliser 30 % de leurs actes en secteur 1 strict.

A priori, ce secteur qui ne satisfaisait personne, à commencer par les organismes de protection complémentaire et l’actuel gouvernement, est à présent mort né. La Cour des comptes vient de lui donner le coup de pied de l’âne.

Les réactions aux préconisations de la Cour des comptes n’ont cessé de tomber depuis hier jeudi.

« Si l’Etat n’a pas de parole, les médecins ont de la mémoire” a menacé le président de la FMF, le  Dr. Jean-Paul Hamon. L’ASV est la contrepartie de l’abandon de la liberté des honoraires, pour les médecins du premier secteur, rappelle-t-il. Un avantage social vieillesse qui est depuis sa mise en place, un “objet de chantage” montrant tous les cinq ans, “le peu de paroles de l’Etat (…) Toute à atteinte à l’ASV entraînerait de facto, le retour à l’a liberté d’honoraires” prévient le généraliste.

Il se trouve sur la même ligne combative qu’un autre généraliste, le Dr. Michel Combier, le président de l’UNOF (médecins de famille de la CSMF). ”La remise en cause de cette partie du contrat mettrait fin au Secteur 1 qui est le mode d’exercice quasi-exclusif des médecins généralistes traitants” confirme le généraliste toulousain.

Le syndicat considère que les problèmes démographiques sont dus à “une gestion  technocratique de longue date des effectifs de la Médecine Générale pour laquelle les médecins généralistes libéraux ne sont en rien responsables. Qu’en était-il de la Cour des Comptes à l’époque où cette idéologie était dominante ?” interroge-t-il en rappelant le plaidoyer de son syndicat pour des “incitations fortes et non des sanctions” à l’égard de ceux qui “répondent aux besoins de la population dans le cadre d’un contrat social qui fait de la médecine française un des systèmes de soins où le reste à charge pour le patient est le plus faible.”

 Enfin, le Centre national des professions de santé (CNPS), adresse à son tour une mise en garde au gouvernement, et lui demande de “repousser clairement cette remise en cause du contrat conventionnel ”. Fort de ses 32 organisations représentatives de près de 400 000 professionnels libéraux, il affirme qu’il “n’hésitera pas à se mobiliser pour préserver les conditions d’exercice des professionnels de santé conventionnés et les avantages qui en découlent tant pour les libéraux de santé que pour les patients.”

Remis à jour le 14 septembre à 12 h 15.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne