La lutte contre les déserts médicaux fait le buzz sur la Toile. 24 médecins généralistes blogueurs ont simultanément posté lundi matin un ensemble de propositions pour lutter contre la désertification médicale. Les sites de ces médecins blogueurs possèdent une audience cumulée de plus de 2 millions de visiteurs uniques par mois. Le Dr Borée, co-signataire du texte, lève le voile sur les idées de ces nouveaux médecins 2.0.

 

Egora.fr : Comment est né ce projet d’écriture d’un texte à plusieurs mains?

Borée : Nous sommes un petit groupe de blogueurs qui nous connaissons et échangeons régulièrement. Il y a quelques semaines, début juillet, l’un d’entre nous qui est encore remplaçant est revenu sur le débat autour de la coercition à l’installation. Son Conseil de l’Ordre voulait recueillir l’avis de jeunes médecins et il ne savait pas trop quoi en penser. Nous en avons donc discuté entre nous. A l’issue du débat, nous avons réalisé que nous avions tous des idées et que si nous les mettions en commun, nous aurions une vraie force de frappe. Entre temps, il y a eu l’affaire des blouses d’hôpital qui n’était pas programmée du tout (un blogueur a mis en ligne une pétition pour que les patients hospitalisés portent des blouses qui préservent leur intimité, ndlr).  Cela a en quelque sorte validé notre possibilité de faire entendre notre voix. Du coup, nous nous sommes attaqués à la rédaction de ce texte il y a environ trois semaines.

 

Vous êtes tous installés aux quatre coins de France, comment avez-vous fait pour travailler ensemble  ?

Exclusivement par Internet. Nous avions trois, quatre rédacteurs principaux, nous avons débattu du texte, nous l’avons amendé. Nous avons aussi voté en ligne pour savoir comment on allait appeler les maisons de santé, pour trouver un titre…

 

Quels sont vos objectifs ?

Alimenter le débat. Si les instances décisionnaires veulent s’en servir et reprendre certaines idées, alors tant mieux. C’est sur la place publique, il n’y a pas de copyright ! Nous ne sommes pas un syndicat. Nous ne sommes pas le Conseil de l’Ordre. Nous ne sommes pas centralisés.  Nous n’avons pas de pyramide hiérarchique. Là est tout l’intérêt de notre démarche. Nous nous sommes simplement tous mis d’accord, dans une ambiance hyper positive, autour de ce projet. Nous n’avons pas vocation à venir siéger dans des organismes représentatifs de la blogosphère. Ce n’est pas le but. Si nous pouvons offrir des idées et via nos blogs et Twitter créer un espace de débat, c’est parfait.

 

Vous estimez-vous bien représentés par les syndicats de médecins généralistes ?

On a des syndicats qui sont globalement à l’image de notre profession, c’est-à-dire vieillissants avec une pyramide totalement inversée. Quand on regarde la pyramide des âges des médecins français, on ne peut pas s’étonner de voir des syndicats qui en sont le reflet et qui ne représentent pas forcement bien les aspirations des plus jeunes. Ce qui n’empêche pas que parmi les plus âgés, il y ait des gens très bien et très respectables. La moyenne d’âge des conseils de l’Ordre ou des syndicats est assez effrayante, ce qui ne veut pas dire que les plus vieux n’ont rien à apporter. On peut juste se poser des questions sur la représentativité que peuvent avoir les jeunes générations.

 

Cela ne vous donne pas des idées…

Personnellement j’ai fait bien assez de syndicalisme et d’autres activités militantes par le passé.  J’en suis revenu, donc non, cela ne me donne pas d’idées. J’aime aujourd’hui jouer ce rôle de pourvoyeur d’idées, participer au débat. Je ne veux surtout pas, et je crois que c’est vraiment le cas général, me réengager dans des affaires hiérarchiques et autres.

 

Pour revenir au texte, quelles sont vos idées fortes ?

L’idée forte est de répondre au problème de désertification médicale par la création massive de 3 000 postes de chefs de clinique. Nous faisons l’analyse que la coercition à l’installation est vouée à l’échec et ne fera que décourager davantage les jeunes générations. En revanche, aller sur un poste salarié, correctement rémunéré pendant deux ans, dans des zones désertifiées, cela peut marcher. L’objectif est aussi que dans le lot, certain y trouveront tellement bien leur compte qu’ils resteront. Voila pour l’idée centrale. Ensuite, nous imaginons des maisons de santé universitaires (MUSt) dans le but de décentraliser la formation des médecins dès l’externat, en assurant une présence dans les zones délaissées.

 

Comment financer les 1 000 maisons de santé que vous prévoyez de construire ?

C’est une affaire d’un milliard d’euros, ce qui est moins cher que des tas de choses moins utiles dans le domaine de la santé, comme la vaccination antigrippale de 2009 ou encore 5 ans de prescription de médicaments inutiles contre la maladie d’Alzheimer. Une maison de santé coûte en moyenne un million d’euros. Lorsque l’on ramène ces 1 000 maisons de santé au budget de…[ pagebreak ]

l’Assurance maladie, cela fait 0,6% des dépenses de santé annuelles. Par rapport à d’autres enjeux, on pense que ça peut valoir le coup. D’autant qu’en favorisant l’ambiance universitaire et de haut niveau scientifique, en excluant la visite médicale, nous irons vers une médecine beaucoup moins coûteuse. Au final, un grand nombre de ces dépenses seront équilibrées par les économies qu’elles généreront.

 

Comment fonctionneraient les MUSt ?

Il y aurait des externes, des internes,  des chefs de clinique et des séniors, un peu comme pour les CHU, mais en médecine de ville. Il s’agirait de conjuguer une activité de soins mais également de recherche et de formation dans ces pôles qui correspondent aux aspirations des jeunes générations.

Les séniors seront des généralistes classiques. La seule différence se situera dans le fait que pour leur rémunération ils bénéficieront d’une option pour sortir du paiement à l’acte exclusif. Il y aura des chefs de clinique qui seront des médecins diplômés développant une activité pédagogique et de recherche parallèle à leur activité de soins. Ils autofinanceront donc largement leur salaire via leurs consultations. Et il y aura également des internes qui auront une plus faible activité de soins et des externes qui seront surtout en observation.

 

N’avez-vous pas peur que ces MUSt restent vides ?

Il faut le faire avec les acteurs de terrain pour éviter de se retrouver avec des coquilles vides. Et puis de fait, elles ne seront pas vides puisqu’il y aura au minimum deux chefs de clinique par maison de santé. Plutôt qu’un système de coercition on propose un  principe de salaire aux enchères pour les chefs de clinique. Avec un tel système on trouvera toujours des gens pour aller n’importe où pendant deux ans. C’est un peu ce qui se fait au Canada, où pour trouver des médecins proches du cercle polaire, on accepte de les payer convenablement. A un certain niveau de revenus, on trouve toujours des gens, en évitant même la frustration.

 

Vous parlez de créer un poste d’agent de gestion et d’interfaçage de MUSt (AGI). De quoi s’agit-il ?

Cette fonction nous permettrait de dégager du temps médical et donc d’améliorer la qualité des soins. Cela nous libérerait d’un tas de tâches techniques comme la gestion administrative et technique, l’interfaçage avec les tutelles universitaires… Nous sommes formés pour être médecins et pas pour être chefs d’entreprise. Passer 30 minutes en ligne avec la hotline d’Orange parce que nous avons un problème de téléphone, c’est tout simplement infernal.

La rémunération pourrait se faire partiellement par les médecins, le chèque emploi médecin serait une solution, mais aussi partiellement par les caisses.

 

Comment les chèques emploi médecin fonctionneraient-ils?

L‘idée c’est d’obtenir une revalorisation qui ne soit pas forcement en numéraire. On a bien conscience de la critique qui cible parfois ces médecins privilégiés qui gagnent beaucoup d’argent. Je n’ai pas oublié le coup du sac à main et des…[ pagebreak ]

Playmobil de Christian Saout il y a quelques années (ndlr : Le président du Collectif inter-associatif sur la santé (Ciss) avait laissé entendre que les médecins avaient utilisé leur prime à l’informatisation pour acheter des sacs à main à leurs femmes et des Playmobil à leurs enfants). On a bien conscience que pour les politiques, nous offrir une revalorisation financière en augmentant le tarif des actes est compliqué. L’idée est donc de dire “ne nous donnez pas d’argent mais donnez nous des moyens pour travailler mieux et plus confortablement”. Ces chèques emploi nous permettrons donc d’engager une secrétaire ou un AGI, en sachant que nous libéraux, nous y contribuerons également. C’est un peu le principe du chèque vacances ou du ticket restaurant.

Cela sera certes une augmentation des dépenses publiques, mais je pense que cela sera plus facile à porter pour les politiques qu’une augmentation tarifaire.

 

Vous parlez du reclassement des visiteurs médicaux, qu’envisagez-vous pour eux ?

L’idée d’interdire la visite médicale est une demande récurrente. La visite médicale est une aberration qui ne correspond pas à un besoin de formation mais relève d’une pure démarche commerciale de la part des laboratoires. L’un des obstacles majeur à cette réforme est le reclassement des salariés qui ont besoin de gagner leur vie.  Nous proposons donc un reclassement en AGI. Il ne faut pas avoir bac + 10 pour apprendre à gérer un cabinet médical dans ses aspects techniques. En un an, on pourrait donner une formation à tous les visiteurs médicaux afin qu’ils puissent remplir ces tâches là. On leur permettrait ainsi d’avoir un boulot plus épanouissant et socialement utile.

 

Vous n’avez pas peur de faire scandale en disant cela ?

Non. On leur propose simplement de sortir du commercial tout en restant dans un secteur qu’ils connaissent bien, mais avec un boulot qui serait beaucoup plus utile. 

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi