L’ancien médecin généraliste et député-maire socialiste de Paris, Serge Blisko, a été nommé président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Il nous dévoile sa feuille de route, notamment dans le secteur de la santé. Il compte traquer les faux médecins ou encore les praticiens diplômés déviants.
 

 

 

Egora.fr : Quelle sera votre feuille de route pour lutter contre les dérives sectaires dans le secteur de la santé ?

Serge Blisko : La feuille de route est en quelque sorte inscrite dans le rapport 2010, remis au Premier Ministre en 2011, mais aussi dans le guide santé dérives sectaires que nous avons sorti au printemps. Ce guide a été fait en association avec les Ordres professionnels. C’est un problème qui nous semble être au fil des années de plus en plus préoccupant. Nous nous sommes en effet rendu compte que les sectes sont devenues de moins en moins visibles au niveau de l’espace public mais le phénomène reste toujours le même : emprise, coupure, escroquerie à l’encontre des personnes en état de fragilité.

Beaucoup de Français sont friands de médecines complémentaires. Tant qu’il s’agit de conseils et que tout cela est encadré, il n’y a aucun problème. La difficulté concerne plutôt les alternatives à la médecine “qui soigne”. Cela peut, dans les cas les plus extrêmes, mener à la mort. La solution est donc de traquer. Nous faisons particulièrement attention aux personnes qui sous couvert d’un diplôme – médecin, paramédical…- abusent des patients et de leurs familles. Certains proposent des traitements moins durs que ceux préconisés par les praticiens, pour éviter une amputation par exemple. Les gens ne guérissent pas. Il y a même une notion de perte de chances.

 

Est-ce que votre expérience de médecin généraliste induit un regard différent de ceux de vos prédécesseurs ?

Chacun des présidents successifs se sont intéressés à des champs en particulier. Judiciaire pour M. Fenech, administratif pour M. Roulet, politique pour M. Vivien, et pour moi se sera le médical, secteur dans lequel je suis le plus à l’aise. Mais je vais bien entendu m’intéresser à tous les champs. Dans l’équipe de la Miviludes, qui est certes restreinte mais très motivée, il y a des personnes qui viennent d’horizons très divers : magistrats, professeurs de l’Education Nationale, anciens de la police ou du monde social… Ce regard croisé permet de recevoir au mieux les victimes. Ce sont elles qui nous rassemblent.

 

Avez-vous été témoin de dérives sectaires parmi vos patients ?

En tant que médecin généraliste, j’ai toujours été surpris de voir les réticences à la vaccination. Je passais beaucoup de temps à expliquer aux patients que les dangers de la vaccination sont toujours moins graves que ceux de ne pas être vacciné. J’arrivais souvent à vacciner, tant bien que mal. Aujourd’hui je m’aperçois que ce n’est plus le cas. Il faut redonner du sens aux vaccinations. Et puis, il n’y a pas que cela. J’ai souvent remarqué les méfiances vis-à-vis des traitements durs, notamment lors de cancers.

 

Quel est le rôle de l’Ordre des médecins ?

Je pense qu’il a fait un pas gigantesque car il était confronté à une vraie difficulté. Parmi les pseudo-thérapeutes se trouvaient de vrais médecins, diplômés. Or il est toujours très difficile, parce que leurs méthodes ne sont pas toujours celles que l’on enseigne en faculté de médecine, de les sanctionner. Dans son dialogue avec le malade, le médecin doit conserver la capacité d’adapter le traitement. C’était un vrai problème que l’Ordre des médecins a courageusement pris en compte. L’éthique médicale est claire, il faut donner des soins adaptés aux patients, eu égard aux données de la science. Si le médecin propose une solution obscurantiste ou une décoction de plantes à la place d’un traitement de chimiothérapie, il est en dehors des données actuelles de la science et peut être condamné par le conseil de l’Ordre, qui n’hésite plus aujourd’hui à le faire. Il s’agit là de médecins qui dérivent et que l’on appelle les “dérapeutes”. Il y a toujours des signaux d’alerte de la part des patients qui disent “ il m’a pris beaucoup d’argent et je n’allais pas mieux. Le médecin ne voulait pas que j’aille voir des spécialistes…” Il faut écouter ces signaux.

La loi accorde à l’Ordre ce rôle de vigilance et de contrôle de l’éthique. Pour les cas les plus graves, il y a aussi les tribunaux civils et pénaux.

 

L’arsenal législatif est-il  suffisant pour encadrer  thérapeutes en santé mentale, en dehors des psychiatres et psychologues clinicien ?

Nous manquons un peu de recul sur vis-à-vis du décret Accoyer qui a mis beaucoup de temps à voir le jour. Cela a été très difficile. Il a fallu beaucoup de temps pour que ces spécialistes de “la thérapie mentale” aient un corpus réglementaire (d’enseignement, de vérification, de qualifications, de stages). Malgré le manque de recul, je pense que l’on peut donner certaines garanties aux patients qui consulteront ces thérapeutes.

 

Comment protéger les soignants ?

Il faut leur donner de l’humanité, en particulier dans les services difficiles comme les soins palliatifs ou la cancérologie. Introduire  par exemple des psychologues ou des psychiatres qui peuvent discuter avec l’équipe.

 

Craignez-vous qu’internet ravive le problème des dérives sectaires, notamment avec ces nouveaux sites qui proposent des réponses de médecins en ligne?

Nous avons beaucoup réfléchi à cette question. Les sites, lorsqu’ils sont fabriqués par des médecins, sont en général contrôlés. Sur certains sites, je note que les réponses des médecins sont circonstanciées. Ils ne se lancent jamais dans des diagnostics, ils donnent des conseils, aiguillent vers des professionnels… En revanche, c’est par le biais des forums de discussion que les dérives s’introduisent. Je suis souvent atterré par ce que j’y lis. Pour revenir par exemple sur le sujet de la  vaccination, on trouve des propos effrayant du type :  “qui connait un médecin qui pourrait me faire un certificat de contre-indication vaccinale pour mon enfant, le mien ne veut pas le faire ?” Et les gens se répondent. Tout cela me parait extrêmement grave. J’insiste pour que nous soyons tous très vigilants pour contrôler ce qui se passe sur ces forums de discussions. Certains faux thérapeutes s’introduisent sur les forums et recrutent de cette manière. Ainsi le mal est fait. 

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi