Les associations de permanence des soins ambulatoires (PDSA) se mobilisent pour contrer les tentations hégémoniques des SAMU, en passe de se doter d’un système d’information unique  faisant fi de l’outil construit par et pour les généralistes depuis 2005.

 

S’agit-il d’une nouvelle manifestation de la guerre larvée à laquelle se livrent, depuis des lustres, les acteurs de l’urgence et de la permanence des soins, les Samu d’un côté, et les médecins libéraux de l’autre ? Cet été, le 28 juillet exactement, les représentants libéraux de onze associations départementales de PDSA (permanence des soins ambulatoires), ont décidé de se constituer en une future “Fédération des associations départementales utilisatrices de système pour la permanence de soins”, afin de contrer les vues hégémoniques de SAMU de France, qui œuvre auprès de la direction de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la santé pour que l’on mette en place un système d’information (SI) unique pour ses 101 Samu et centres 15. Ce qui revient à écraser l’existant : le système d’information de PDSA libérale (SYPPS) progressivement mis en place depuis 2005,  promu et approuvé par les médecins généralistes de terrain. Ils étaient 11 départements mobilisés en juillet pour défendre leur bébé. Les organisateurs du mouvement œcuménique (pratiquement tous les syndicats, aux côtés de  non syndiqués sont représentés au bureau provisoire) espèrent que les troupes auront au moins doublé lors de l’assemblée générale constitutive de la future fédération,  le samedi 20 octobre prochain.

“C’est l’outil des généralistes, il nous rend d’énormes services tout en répondant aux exigences du cahier des charges des agences régionales de santé (ARS) qui sont désormais responsables de la mise en place de la PDS dans les départements” argumente le Dr Luc Duquesnel, membre de l’UNOF (CSMF), président de l’ADOPS 53 et vice-président du bureau provisoire (le président provisoire, le Dr. Jean-Jacques Vaissié (ALAUME 37), n’est pas syndiqué).

 

45 000 euros par an

 Hébergé à Paris, cet outil libéral permet une régulation délocalisée, déportée, y compris dans les déserts ruraux, ce qui signifie qu’elle peut s’effectuer du cabinet du praticien.  Il produit une traçabilité des appels jusqu’à un éventuel effecteur, permet d’envoyer une ordonnance électronique aux pharmacies de garde et possède une interface avec les systèmes d’information des SAMU et centres 15, pour éviter la double saisie. Et pour finir, procède à une évaluation. “Face à la performance de cet outil, plusieurs régions se sont portées candidates pour l’obtenir : les Pays-de-Loire, la Champagne-Ardenne, la Haute-Normandie, la Guadeloupe, la Seine Maritime notamment”. L’association départementale du Dr Duquesnel verse à la société privée qui développe l’outil, une rémunération de 45 000 euros par an, pour cette prestation.

Mais voilà que le bel élan, pourtant encouragé par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), s’est progressivement tari. Dernièrement, l’ARS de Champagne-Ardenne a fait savoir aux opérateurs de la PDSA, qu’elle ne souhaitait plus soutenir ce type de régulation déportée. Ce qui a fait bondir MG France, qui a fermement défendu dans une lettre ouverte au ministre de la Santé,  la cause des généralistes libéraux, investis dans cette mission de service publique.

Faut-il voir dans ce refus, l’impact de la mission confiée à l’ASIP (Agence des systèmes d’information partagés de santé) par la DGOS, en 2011, sur la “modernisation des équipements informatiques et de télécommunication des SAMU Centre 15”, dont les préconisations font  actuellement l’objet d’une consultation sur le site de l’agence (esante.gouv.fr),  jusqu’au 30 septembre prochain ? Certains le pensent.   

 

Comble

Plusieurs scénarios avaient été envisagés, mais c’est celui promu par le SAMU qui a été sélectionné par la DGOS : “une solution  unique et mutualisée où applications et téléphonie sont intégrées et disponibles en mode service sur l’ensemble du territoire”, solution préconisée par les auteurs de l’étude, les Drs Marc Giroud (SAMU de Pontoise), Frédéric Berthier (SAMU de Nantes)  et Gilles Viudes, directeur de l’Observatoire régional des urgences de la région PACA. Cette solution, avaient-ils fait valoir, permettra de pallier l“hétérogénéité” des ressources existantes, qui “ne permet pas de garantir l’égalité d’accès à une réponse médicale d’urgence sur tout le territoire”… Elle autorisera en outre, des interactions facilitées avec les ambulanciers et les services d’urgences, mais aussi avec les “autres services logiciels nationaux de santé” comme le dossier médical personnel (DMP).

“Le SAMU est dans son rôle de vouloir s’accaparer la PDS, mais c’est un comble de constater que l’ASIP le suit dans cette démarche. Nous n’avons jamais été consultés, tout s’est fait dans notre dos ” s’étrangle le Dr Duquesnel.  Interrogé sur cette mise en cause par Egora, le directeur de l’ASIP, Jean-Yves Robin répond que “l’objet même de la publication du document étude sur le Système d’Information des SAMU sur notre site Internet est d’initier une concertation sur le sujet. Nous sommes donc à l’écoute des avis de l’ensemble des parties prenantes. Nous n’avons pas encore reçu de contribution écrite mais des réunions sont en cours de planification.” Les libéraux ont donc bien raison de se mobiliser. D’ailleurs,  Luc Duquesnel est accompagné dans son indignation par le président de MG France, le Dr Claude Leicher, qui fait dûment remarquer que 80 % des affaires traitées par le Centre 15 relèvent de la médecine générale. Le syndicaliste rebondit sur ce constat pour revendiquer la mise en place d’un numéro unique, le 30-66, dédié à la PDSA. “Ce système a été mis en place en Franche Comté avec succès, explique-t-il. Il le sera dans l’Yonne et sans doute en Midi-Pyrénées. Nous demandons aux pouvoirs publics l’individualisation de la régulation libérale, avec des moyens modernes”.

 

Un puits sans fond

Toutefois,  la mise en place de ce futur outil promu par  les SAMU ne fait pas que des heureux. Outre qu’avec sa centralisation des données, il fait redouter “des piratages et des atteintes au secret médical”, comme le souligne le député PS Gérard Bapt, il risque de couter bien cher. La facture établie par SAMU de France a de quoi faire frémir un ministère de la Santé qui compte ses sous, bien qu’il annonce une prochaine et vaste réforme des urgences. Marisol Touraine aura dès lors à donner son feu vert à une entreprise dont le coût ne sera pas anodin, a savoir : 175 millions d’euros d’ici dix ans, dont près de 30 millions pour démarrer, 34 pour exploiter le nouveau système et 113,2 millions pour maintenir en état d’exploitation les anciennes installations durant la montée en charge du système.

Ce qui fait sourire le Dr Duquesnel : “on a vu ce que donnait la chantier du DMP. Un puits sans fond depuis 2004 et pratiquement rien à l’arrivée”. Autre argument qui pourrait faire tiquer le ministère : la nécessité, plaidée par le SAMU, de centraliser les budgets d’investissements (…) délégués à une maîtrise d’ouvrage nationale. Autrement dit dépouiller les ARS de leurs prérogatives en matière de PDS. Un comble alors qu’avec des budgets revus à la baisse, ces dernières sont parvenues tant bien que mal, à optimiser la PDSA sans se couper des médecins de terrains.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne