Le médecin de famille, c’est démodé. Ce n’est qu’un héritage du passé,  un peu suspect,  un peu paternaliste. Mais tout comme le paiement à l’acte, les patients y tiennent encore ! Voilà l’une des affirmations défendues par le rapport de Terra Nova, le think tank de la gauche, qui propose une réforme radicale du système de santé basée sur une pratique coordonnée des soins.  

Dirigé par le sociologue Daniel Benamouzig, le rapport N°29 de Terra Nova "Réinventons notre système de santé au-delà de l’individualisme et des corporatismes”, fait une centaine de pages.  Il est  présenté ce week-end aux congressistes du Parti socialiste réunis à La Rochelle, pour leur université d’été. On y  fait table rase du modèle conçu en 1945 par Pierre Laroque sous la direction du Général de Gaulle, car “l’accumulation des déficits” menace l’héritage, tout autant que “ l’émergence de comportements individuels et l’atténuation des formes d’appartenance collective”, socle sur lequel le modèle de 45 avait été construit. Le think tank se donne le défi d’intégrer ces principes sans renoncer à la solidarité, mais en envisageant “de nouveaux équilibres”.

Et Terra Nova n’y va pas par quatre chemins.

Il faut, dit-il,  un “état sanitaire fort”, régionalisé et démocratisé, susceptible de reprendre à son compte les prérogatives de l’assurance maladie. Et de  prôner un “plus grand rôle de l’Etat”, dans le domaine de la Sécu obligatoire mais aussi complémentaire, ce qui signifie évidemment que l’Etat devra entrer de plain pied dans le domaine jusqu’ici réservé aux syndicats de salariés, aux  médecins, aux mutuelles (qui ont pourtant le cœur à gauche) et autres assurances santé complémentaires. “La gauche ne peut se contenter de valoriser l’héritage de la Libération”, est-il exposé dans l’introduction. Elle doit s’adapter aux évolutions de notre temps, quitte à s’écarter pour cela du modèle historique de 1945 dont sont issus certaines de ses valeurs et certains de ses soutiens”.

 

INSTANCES DE REGULATION

Le système envisagé serait  “solidaire” et donc éloigné du tout marché, peut être inspiré du régime Alsace-Lorraine, qui bénéficie d’un meilleur remboursement du fait d’une extension de la couverture obligatoire. Il pourrait être encore doté d’une assurance complémentaire obligatoire chapeautée par une autorité indépendante de régulation, ”qui viendrait s’immiscer dans le maquis des complémentaires”. Autre idée : regrouper sous l’aile de l’Etat, dans une administration centrale, ”des instances de régulation aujourd’hui dispersées à l’assurance maladie ou dans une myriade d’agences spécialisées”.

Du fait de cette meilleure prise en charge des soins, imagine Terra Nova, et d’une évolution très importante des modalités de rémunération s’éloignant sensiblement du tout paiement à l’acte (voir plus loin),  les dépassements d’honoraires seraient interdits.

Et c’est là que l’on pénètre dans le cœur du système : la coordination des soins, entre la médecine hospitalière, ambulatoire, de proximité, en réseau avec les professions paramédicales associées ; Il faut, plaide le groupe de réflexion, réparer la fracture entre la ville et l’hôpital qui s’est creusée depuis la loi Debré de 1960. Il faut également tenir compte de la décrue démographique à venir, de la féminisation de la profession médicale, de la création de déserts médicaux, de l’essor des pathologies chroniques et des patients qui eux même ont changés sans doute grâce à internet. Terra Nova défend l’idée que ces derniers acceptent de plus en plus mal le modèle de l’ancienne figure tutélaire du médecin omniscient, médecin de famille dans la durée,  et du rapport “emprunt de paternalisme” qui en découlait.

 

REPRESENTATION CONSERVATRICE

Alors que le modèle traditionnel du médecin de famille s’estompe dans les pratiques de soins, et qu’il correspond de moins en moins aux enjeux sanitaires du pays, il s’est paradoxalement imposé à contre temps dans le discours administratif et politique. Il a inspiré les dernières réformes importantes en médecine ambulatoire à travers la référence au “médecin traitant” constate le groupe pour le déplorer.  Ce concept est une “représentation conservatrice de la pratique médicale ambulatoire au lieu de la transformer (et promeut) un modèle qui ne correspond plus aux pratique ni des patients ni des professionnels de santé”. Il ne prend pas la mesure de “l’individualisation des relations de soins, devenues aujourd’hui plus utilitaires, techniques et “professionnelles” qu’auparavant”.

Terra Nova salue au passage le mécanisme du “médecin référent”, mis en place par la gauche dans les années 90, qui avait l’avantage de fonctionner sur le volontariat “sans enrôler toute la profession par des menaces financières comme l’a fait le dispositif du médecin traitant”.

Son option ? Une évolution sensible du modèle, favorisée par une diversification des modes de rémunération, qui n’est pas adaptée aujourd’hui, à la pratique coordonnée en médecine libérale. Sans jeter au feu le paiement à l’acte, “qui comporte des avantages”, Terra Nova souhaite le compléter par d’autres formes de rémunération. A la capitation, comme en Grande Bretagne, qui encourage les démarches de prévention à l’échelle individuelle et d’une population. A la performance – ce qui existe également en Grande Bretagne et en France depuis janvier dernier –  au salariat notamment lorsque des professionnels de santé sont associés aux structures de soins collective, libérales ou hospitalières.

Mais le groupe de réflexion mise également beaucoup sur le paiement collectif à la structure de soins, système qui supprimerait les limites entravant actuellement le bon fonctionnement des réseaux de soins. Et d’imaginer un paiement forfaitaire à la capitation, le paiement des structures à la performance voire le paiement direct des patients à la structure elle-même. Ces systèmes ”peuvent être modulés de multiples façons“. Enfin, on peut également concevoir, pour la médecine ambulatoire, un paiement à la pathologie en médecine de ville (maladies chroniques), versé à la structure et non aux professionnels. Ces derniers ou les divers intervenants, étant rémunérés à partir du budget alloué ensuite soit au médecin ou à la structure.

Cette diversification des modes de paiement implique de changer les règles de négociation entre pouvoirs publics et professionnels de santé, pour inclure de nouvelles formes de contractualisation. “Des contrats de soins plus diversifiés ont vocation à remplacer l’actuelle convention médicale, des contrats cadres étant négociés à l’échelle nationale” imagine le think tank en postulant que les agences régionales de santé pourraient être associées aux négociations de nouvelles formes de contrats.

Quand à l’Etat, il resterait le seul responsable de la tarification des actes.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne