Pour les experts, il faudrait un taux de 100% d’autopsie en cas de mort subite inexpliquée du nourrisson, alors qu’il n’est que de 55% aujourd’hui.

 

Pour la première fois cette année, une session a été entièrement dédiée au thème de l’infanticide au congrès des Sociétés médico-chirurgicales de pédiatrie qui a eu lieu du 6 au 9 juin dernier à Bordeaux. Il semble, en effet, que ce phénomène soit largement sous-estimé en France et dans le monde. « édiatres et médecins généralistes sont souvent au premier plan dans ces situations » a rappelé le Pr Brigitte Chabrol (Marseille), présidente de la Société française de pédiatrie lors d’une conférence de presse en amont du congrès. Les praticiens ont un rôle important à jouer dans la prise en charge et surtout la prévention de ces cas complexes.

Force est de constater que les données manquent. Les dernières statistiques spécifiques concernant les homicides chez les enfants de moins d’un an- ce qui définit un infanticide d’un point de vue épidémiologique- remontent à 1993. Elles montraient déjà, que les enfants de moins d’un an sont surreprésentés parmi les victimes, constituant 3,8% de l’ensemble des homicides, alors qu’ils ne représentent que 1,2% de la totalité de la population. En 2008, les données du CépiDc – Inserm ont confirmé cette surreprésentation. Le taux d’homicides chez les enfants de moins d’un anétait estimé à 1,4 sur 100 000, versus  0,2 à 0,9 pour toutes les autres tranches d’âge jusqu’à 85 ans.

En outre « depuis des dizaines d’années, la littérature internationale soulève le problème de probables confusions, lors de la certification des décès, entre homicides, accidents, mort subite du nourrisson (MSN) et morts « de cause inconnue », et constate la sous-estimation des homicides d’enfants de moins de 1 an dans les statistiques officielles » constate Anne Tursz (Inserm U988/Cermes3, Site Cnrs, Villejuif, 94), qui participait à cette session du congrès.

C’est pourquoi elle a réalisé une enquête rétrospective destinée à évaluer la sous-estimation des infanticides en France et les causes de celles-ci, sachant que les sources officielles (CépiDc) évaluent entre 7 et 24, le nombre d’infanticides par an entre 1980 et 2008 (soit une moyenne de 14 cas par an). Cette étude a recensé les morts suspectes survenant chez des enfants de moins d’un an entre 1996 et 2000 dans trois régions aux caractéristiques socio-démographiques et géographiques très différentes : Bretagne, Île-de-France, et Nord-Pas-de-Calais. Les données provenaient des services sanitaires (centres de référence de la MSN, services hospitaliers) et les tribunaux, et ont été comparés avec celles du CépiDc/Inserm.

 

255 cas par an selon une enquête rétrospective

Au total, pendant la période d’étude, 619 enfants sont arrivés décédés dans les hôpitaux. Parmi eux 32 étaient considérées comme décédés de mort violente intentionnelle alors que seulement deux avaient comptabilisés en tant qu’homicide dans les données du CépiDc. De même 247 enfants avaient fait l’objet d’une saisine du parquet parmi lesquels 80 décédés de mort violente intentionnelle, alors que ce nombre n’était que de 23 dans le CépiDc. Pour les auteurs, ces résultats mettent bien en évidence la sous-estimation des infanticides : 1/3 des morts accidentelles et ¼ de celles « de cause inconnue » du CépiDc seraient  en fait des homicides. Pour Anne Tursz, « la MSN est un diagnostic fourre-tout, posé souvent sans les investigations appropriées ». Sur cette base, les auteurs ont calculé que si « officiellement », le nombre de cas d’infanticides pendant cette période 1996-2000, a été de 17 par an, les chiffres réels pourraient s’élever à 255 cas par an. « Et ceci ne peut être qu’une estimation minimale, notamment du fait du nombre inévaluable de cas d’enfants décédés à domicile, vus par des médecins de familles et laissés sur place et des cas jamais connus de la médecine ni de la justice (des néonaticides principalement) » ajoute le Dr Tursz.

 

Accroitre le nombre d’autopsies

L’étude a, par ailleurs permis d’identifier les principales causes de sous-estimations. Pour les auteurs, elles résident principalement dans une sous-investigation médicale ou médico-légale. Ainsi, seule 55% des cas mentionnés dans l’enquête hospitalière ont bénéficié d’une autopsie et le diagnostic de Msin a été posé sans autopsie dans la moitié des cas. D’autres examens qui auraient pu être nécessaires au diagnostic d’infanticide sont encore moins pratiqués : radio du crâne, scanner cérébral. Selon Anne Tursz « une telle politique conduit à passer à côté du diagnostic d’au moins 2 types d’homicides qui ne laissent pas de traces : le secouement sans impact, l’étouffement (par un coussin par exemple) ». « Il faudrait qu’il y ait 100% d’autopsie dans ces situations de Msin », complète le Pr Chabrol. Mais cet acte requiert l’accord des parents. « Il ne faut pas oublier, cependant, que la Msin est une réalité ; et de nombreux enfants décèdent sans qu’aucune cause ne soit retrouvée. Il faut faire attention à ne pas faire l’amalgame entre Msin et infanticide. Toutes les morts subites ne sont pas des infanticides non reconnus comme certains médias l’ont sous-entendu !». Anne Tursz évoque aussi  le manque de compétence de la médecine légale pédiatrique en France. « Il y a peu de formation spécialisée de ce type » confirme le Pr Chabrol. Sont aussi mis en avant, le non-signalement par le système de soins, la certification du décès sous des causes erronées, et le déficit de transfert des résultats des investigations, pour expliquer cette sous-estimation.  

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Marielle Ammouche