Chers lecteurs, la rédaction d’Egora.fr est en vacances. A cette occasion, nous en profitons pour faire un peu d’Histoire…


Louis XI (1423-1483) a souffert, presque toute sa vie, des hémorroïdes. Elles ont été son tourment constant, et elles suffiraient, presque seules, à expliquer l’irritabilité de caractère, l’humeur agressive de ce sombre et maladif monarque, qui avait ses heures de gaieté – une gaieté de pince-sans-rire, mais qui n’allait pas sans une certaine causticité.

Le roi de France, dit fort à propos Le Prudent, fit appel à de nombreux médecins européens pour tenter de mettre fin à ses souffrances malvenues. Le grand docteur italien Ferrari, pionnier de la télémédecine, donna par exemple une consultation à distance au monarque pour ses hémorroïdes, dont voici l’exacte retranscription.

 

Consultation pour le roi de France sur les hémorroïdes :

"D’après le rapport de très respectable Manuel de Jacob, parlant au nom de Sa Très Sacrée Majesté le Roi de France, Sa Majesté aurait des hémorroïdes dont Elle souffre quelquefois. Et puisque j’ai reçu l’ordre de mon très Illustre Maître le prince duc de Milan, d’avoir à donner par écrit les remèdes à apporter à cette affection, ainsi ferai-je.

Les hémorroïdes sont diverses ; elles ont des aspects différents. Il en est de sourdes qui ne donnent pas de sang, mais qui à certains moments s’obstruent et alors se tuméfient. Parmi elles, il en est d’extrêmement douloureuses et d’ailleurs ce sont de toutes les plus douloureuses.

D’autres donnent du sang trop abondamment, et alors que dans le premier cas il est nécessaire de provoquer une émission sanguine, à seule fin d’arrêter ou d’atténuer la douleur, ici, au contraire, il est nécessaire de s’opposer à cet écoulement de sang exagéré, de peur que les organes royaux, par suite surtout du refroidissement du foie, ne viennent à s’affaiblir. Et comme j’ignore de quelle sorte d’hémorroïdes est affligée Sa Majesté, je laisserai de côté nombre de choses subtiles et théoriques que je pourrais dire, et sur les causes et sur les remèdes à leur opposer quand elles donnent modérément, quand elles sont indolentes, etc. ; je ne parlerai pas non plus des accidents que peut provoquer une perte sanguine trop considérable, ni du régime à suivre. Non que ces différents points n’aient leur intérêt, mais les très savants médecins de Sa Majesté pourront là-dessus la mieux renseigner que moi-même. Je me contenterai donc de donner les formules de certaines médecines qui pourront utilement être employées contre les diverses espèces d’hémorroïdes, me bornant à les énumérer, m’attachant surtout à indiquer celles que j’emploie d’ordinaire, que j’ai expérimentées dans des cas semblables.

Or donc, si les hémorroïdes ne donnent pas de sang et sont très douloureuses, comme il arrive souvent, il y a deux indications à remplir : en premier lieu, atténuer la douleur ; en second lieu, favoriser l’écoulement du sang. A cet effet, pour atténuer la douleur, on prendra des bains de siège dans la décoction que voici : graines de lin, feuilles de guimauve, fenugrec ; limaces trouvées dans des lieux humides et sans carapaces, fleurs et feuilles de bouillon blanc deux parties de chaque. Faire bouillir le tout dans deux seaux d’eau, jusqu’à évaporation de la sixième partie. Verser la décoction dans un récipient concave dans lequel on pourra s’asseoir.

Sa Majesté prendra un bain de siège de quatre heures. A la sortie du bain, il sera fait sur l’endroit malade une onction destinée à l’adoucir et à l’insensibiliser autant que possible avec l’onguent suivant : huile de graines de lin, huile de camomille, un jaune d’oeuf, poudre de nénufar desséché. Ajouter un peu de cire. Sur cet onguent sera appliqué un emplâtre ainsi composé : limaces comme plus haut, feuilles de mauve, de guimauve et de mélilot, fleurs de nénufar, graines de lin. Faire bouillir et agiter. Ajouter huile de violette et moelle de jambe de veau, un peu de safran, et appliquer l’emplâtre sur la région douloureuse. Si, cependant, il y avait chaleur intense et douloureuse à l’endroit malade, pour empêcher l’attraction des matières en ce point, il sera nécessaire de faire une diversion.

On saignera donc d’abord la veine basilique du côté droit ; six ou huit heures après, nouvelle saignée de la salvatelle du côté gauche. De chaque veine, on retirera environ deux onces de sang. Si, malgré tout, la douleur persistait, on pourrait ajouter à l’onguent ci-dessus formulé, et pour détruire toute sensibilité : opium, safran. Sa Majesté en éprouvera un grand soulagement.

Mais il se peut faire que la douleur, bien qu’atténuée, ne soit pas complètement éteinte ; alors il sera bon le lendemain de saigner la saphène du pied droit, à moins toutefois que la sensibilité soit surtout exagérée du côté gauche, auquel cas la saignée porterait sur le pied gauche et serait de une once et demie au plus.

Le sang ne sort pas naturellement des hémorroïdes ? Il faut provoquer son écoulement. Si elles sont pendantes, on posera une sangsue ou deux sur les veines tuméfiées, en ayant soin de choisir des sangsues non venimeuses. Voici comment il faut s’y prendre pour les faire adhérer : on introduira la sangsue à l’intérieur d’un tube, puis l’endroit choisi pour la saignée sera recouvert d’un peu de sang de poulet. Ceci fait, et sans tarder on applique le tube sur cette région. La sangsue prisonnière adhérera aussitôt et sucera le sang de la veine. On retire alors le tube en laissant pendre la sangsue. Quand elle sera bien gorgée de sang, on la saupoudrera de sel, et l’on placera au-dessous d’elle un petit bassin dans lequel elle tombera et rendra le sang qu’elle a sucé.

L’endroit paraît-il décongestionné ? Tout est bien ; sinon on appliquera une seconde sangsue de la même manière, après quoi, on mettra sur la région malade une compresse imprégnée de l’onguent ainsi composé : jaune d’oeuf, huile de rose et safran en très petite quantité. Voilà qui suffit pour les hémorroïdes externes et apparentes.

Sont-elles internes et latentes ? Alors il les faut ouvrir, et provoquer l’émission sanguine au moyen de compresses appliquées sur l’anus, et ayant pour effet de dilater les pores des veines et de faire sortir le sang. A cette intention, le suppositoire que voici sera composé : R. Hiera de plusieurs espèces et mastic préparé, deux parties ; myrrhe, une partie ; miel, quantité suffisante. Faire des suppositoires de médiocre dimension, mais assez épais. Le suppositoire sera beaucoup plus efficace s’il est fait avec une racine d’iris enveloppée dans un morceau de laine, lequel sera cousu puis trempé dans la composition ci-dessus formulée, à laquelle on ajoutera de l’huile de lys, de rue ou de scorpion. Voici encore une formule pour suppositoires très actifs : amandes amères, feuilles de rue, pulpe de colloquinte ; musc, safranc, moëlle de cerf dissoute ; bdellium, en petite quantité et dissout dans du vin blanc. Ces suppositoires seront longs et appliqués sur l’anus. On les renouvellera toutes les heures, et ce, pendant cinq heures consécutives.

Que si, en raison-même de l’activité de ces médicaments, S. M. éprouverait de la douleur, l’indication serait de l’atténuer par un suppositoire renfermant des substances ad hoc, en ayant soin toutefois de ne pas choisir des substances qui mettraient obstacle à l’écoulement du sang. En effet, j’ai en vue ici ces hémorroïdes chez lesquelles il faut favoriser la sortie du sang, celles qui, à époques fixes forment une tumeur, et donnent alors lieu à une hémorragie, ou bien arrivent à l’état de tumeur mais ne coulent pas. On fera, par exemple, un suppositoire avec une racine de chou ou de blette, ou mieux encore avec une racine de raifort, que l’on plongera dans de l’huile de rose additionnée d’un jaune d’oeuf ou de l’huile de violette.

Voici un moyen de faire sortir sans grande douleur les hémorroïdes sourdes et latentes : Faire un suppositoire en se servant des mêmes racines que précédemment, qu’on enveloppera dans de la laine et, qu’on laissera tremper dans de l’huile de pêcher, de camomille, etc., etc.

On traite quelquefois les hémorroïdes sourdes par l’incision et la cautérisation et, pour ce faire, il est divers procédés et inventions. Quelquefois encore on emploie la ligature des hémorroïdes, mais il est besoin dans toutes ces interventions d’une très grande habileté, et je n’ose ici louer ni conseiller semblable pratique sur une si illustre Majesté. Souvent en effet, j’ai été témoin d’accidents au cours de ces opérations.

Si donc les hémorroïdes sont apparentes et sourdes, et si l’on a dessein de les dessécher et d’en amoindrir le volume, sans crainte alors on peut recourir à ce médicament, qu’on appliquera sur trois ou quatre des veines tuméfiées, en ayant soin toutefois d’en laisser une intacte : R. Antimoine, corne de cerf brûlée, corail, hématite, encens. Ajouter huile de myrte. Oindre les veines avec cette mixture au moyen d’une compresse.

En très peu de jours, les hémorroïdes auront diminué de volume. Veut-on les faire disparaître complètement ? Ceci est possible, à condition pourtant qu’elles ne soient ni anciennes, ni sujettes à donner du sang à époque fixe. Ce doivent être exclusivementhémorroïdes se tuméfiant périodiquement et occasionnant des douleurs vives. Dans ce cas, on peut user du même liniment mentionné plus haut, en y joignant une légère saignée de la veine basilique. On donnera aussi les potions appropriées dont parle Avicenne à la fin de son chapitre des Liquides, après avoir traité des médicaments à appliquer sur les hémorroïdes.

Et parmi ces potions, il prescrit, à prendre et dans la boisson : le galbanum sec et pulvérisé, dans une potion d’absinthe ou de plantain, ajoutant que le galbanum, pris sous cette forme, fait disparaître les hémorroïdes dont il vient d’être parlé. Il ajoute encore que, si l’on prend de cette potion par trois fois, les hémorroïdes ne récidivent pas. Quant à moi, je n’oserais pas conseiller à Sa Majesté Royale une dose aussi forte en une seule fois. Je serais d’avis qu’elle commençât par la dose de ij. pour atteindre 3i. et qu’elle n’augmentât pas cette dernière. Et cela suffit pour

les hémorroïdes sourdes et qui ne donnent pas de sang. Pour celles qui, au contraire, saignent très abondamment, la première indication pour arrêter ce flux de sang consiste dans un régime approprié. En effet, il faut craindre tout ce qui est susceptible de produire l’inflammation, exercices corporels ou intellectuels ; s’abstenir des aliments, boissons et médecines trop subtiles et excitantes.

La nourriture sera non seulement très styptique, mais il faudra veiller à ne manger que des aliments légers afin de conserver la liberté du ventre, car si les fèces venaient à durcir, elles pourraient au moment de leur évacuation occasionner des accidents. Ces règles observées, une autre indication consiste dans une diversion par une légère saignée de la basilique, par des ventouses posées sur les régions hépatique ou splénique, par une émission sanguine nasale.

Si le sang est trop aigre et trop subtil, par suite de son mélange avec la bile, comme il arrive souvent, on aidera sa digestion ; on le refroidira et on le rendra plus épais, au moyen de sirops, breuvages et autres médecines composées à cette intention ; puis on s’occupera de l’évacuation de la matière aigre. Le sang est-il aqueux, ce qui est mauvais, il le faudra sécher avec certains médicaments que je n’indique pas, laissant ce soin aux excellents médecins de Sa Majesté très Sacrée.

Cependant, je vais mentionner ici quelques médecines, tant pour l’usage interne que l’externe, ayant pour effet de resserrer les pores des veines et d’épaissir le sang. Et en premier lieu, je mentionnerai dans la première catégorie les mirobolans confits, citrons, canelle, et la préparation de scorie de fer de Razès. Car, si deux fois en la semaine on en prend, dans de l’eau de plantain, ou dans de l’eau ayant bouilli, on en retirera grand avantage. Que si, à l’écoulement de sang, se joint de la difficulté pour évacuer les fèces, on pourra prendre du bdellium en pilules : deux suffiront.

Pour l’usage externe, et afin de faire contracter les veines, on appliquera l’onguent suivant : R. noyaux de dattes, noix de cyprès brûlé, corail rouge, hématite préparée, acacia, terre sigillée, encens, santal blanc, glands, enveloppes de grenades, semences d’euphorbe et de plantain. Ajouter suc de menthe et basilicon.

De cette mixture oindre les hémorroïdes. Et si, au flux de sang s’ajoute de la douleur, voici un remède qui m’est particulier : chercher de ces vers à cent pattes, qu’on appelle encore porcellion et qu’on trouve dans les endroits humides, dans les huches par exemple, ou bien des scarabées. On les pilera avec soin, puis on les fera bouillir et longtemps dans l’huile de graines de lin en quantité suffisante. De ce liniment on oindra les veines tuméfiées. Pour atténuer encore les douleurs, et en même temps resserrer les veines, on prendra un bain de siège dans la décoction suivante : R. plantain, fleurs et feuilles de bouillon sauvage, graines de lin, enveloppes de grenades, balaustes, galles, nénufars. Faire bouillir le tout dans de l’eau et du vin noir styptique jusqu’à évaporation d’une moitié. Et de tout cela je suis satisfait et prêt à en écrire plus long et à m’étendre davantage sur ce sujet, s’il est besoin."

Dr FERRARI

Biographie. Louis XI de France, dit le Prudent, né le 3 juillet 1423 à Bourges, mort le 30 août 1483 au château du Plessis-lez-Tours (commune de La Riche, Indre-et-Loire), fut roi de France de 1461 à 1483, sixième roi de la branche dite de Valois (Valois directs) de la dynastie capétienne. Son intense activité diplomatique, perçue par ses adversaires comme sournoise, lui valut de la part de ses détracteurs le surnom d’"universelle aragne". Son règne voit le rattachement de plusieurs grandes principautés mouvantes au domaine royal par des moyens parfois violents : territoires mouvants du duché de Bretagne (1475, Traité de Senlis), des ducs de Bourgogne (1477, confirmé en 1482 par le traité d’Arras avec Maximilien Ier de Habsbourg), Maine, Anjou, Provence et Forcalquier en 1481, par la mort sans héritier de Charles V d’Anjou, et une partie des domaines de la maison d’Armagnac, qui, brisée par l’affrontement avec le pouvoir royal, s’éteignit peu après. La ligne directrice de sa politique fut le renforcement de l’autorité royale contre les grands feudataires, par l’alliance avec le petit peuple. Alors que l’évêque tombé en disgrâce Thomas Basin développa la légende noire du roi (tyran laid, fourbe et cruel, enfermant ses ennemis dans les "fillettes"), le décrivant dans son Histoire de Louis XI comme un "fourbe insigne connu d’ici jusqu’aux enfers, abominable tyran d’un peuple admirable", le "roman national" édifié par les historiens du XIXe siècle en a fait un « génie démoniaque » (expression de Jules Michelet) père de la centralisation française.

 

Source :
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Auteur : M.D, d’après Les morts mystérieuses de l’Histoire, Docteur Cabanès.