Lundi, un chirurgien orthopédique de la clinique du Val d’Ouest à Ecully a été condamné à verser 10 millions d’euros à la famille d’un enfant 12 ans, handicapé à vie à la suite d’une erreur médicale. Une somme record qui a fait réagir les internautes d’Egora.fr. Ces derniers craignent une flambée du prix des assurances. Une hypothèse très probable alors que certains syndicats réclament un plafonnement des cotisations. Les assureurs joueraient sur les peurs des médecins pour augmenter leurs profits.
Un vent d’inquiétude et de révolte souffle sur le corps médical. Un chirurgien orthopédique vient d’être condamné à verser 10 millions d’euros à la famille d’un enfant devenu lourdement handicapé à la suite d’une erreur médicale. Une somme record en France. Sur Egora.fr, des praticiens s’interrogent sur les répercussions que cette affaire aura sur leur vie professionnelle.
Pour Daaan, “le risque de tout ça, c’est que des primes d’assurances vont flamber et que plus personnes, hors hôpital public, ne pourra exercer…Ou alors, on se dirigera vers un système à l’américaine (assurances dépassant le million de dollars) où, pour une appendicectomie, on vous réclame plusieurs dizaines de milliers de dollars”. Même crainte du côté de Danielf, qui s’interroge : “mais se rend- on compte qu’on est en train de tuer la mutualisation des risques avec des montants si importants ? Et donc de tuer la capacité de s’assurer ? Et donc de tuer la médecine et la chirurgie, ce qui permettra de laisser mourir ou finir handicapés des tas d’enfants en l’absence de soins, mais sans responsable identifié ?”
Médecine défensive
Pour le Dr Jean Marty, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof) et co-fondateur du syndicat Le Bloc (réunissant les praticiens à plateau technique lourd), “il faut réfléchir à l’incidence que peut avoir ce genre d’affaire sur les comportements médicaux. Cela amène les médecins à prescrire beaucoup d’examens pour se couvrir. Cela conduit à des dépenses beaucoup plus élevées que nécessaires. C’est en quelque sorte de la médecine défensive. Les soignants ne sont jamais sanctionnés s’ils prescrivent trop d’examens” analyse-t-il.
En outre, ce climat anxiogène permanent favoriserait les compagnies d’assurance. “Elles font de la manipulation. Elles communiquent sur les montants faramineux de ces condamnations pour justement créer de la peur chez les médecins. Ainsi, ces derniers paient toujours plus pour se couvrir” déplore-t-il. Résultat : le Dr Marty constate que les cotisations augmentent de 5 à 10% chaque année. Une inflation inquiétante à mettre en rapport avec le plafond des aides financières à la RCP de l’assurance maladie, actuellement de 40 %, pour les praticiens libéraux anesthésistes-réanimateurs, réanimateurs médicaux, gynéco-obstétriciens et chirurgiens dont la pratique fait l’objet d’une accréditation.
Pourtant, d’après l’économiste spécialisé dans la protection sociale Jacques Bichot, “la marge des assurances est considérable”. Le Dr Marty va plus loin et cite le rapport Johanet de 2011. “Les soignants versent 478 millions d’euros par an aux assurances, alors que ces dernières ne déboursent que 50 millions d’euros pour les assurer” s’emporte-t-il. Le praticien ajoute : “il faut mobiliser les pouvoirs publics sur ce problème et pourquoi pas mettre en place un plafonnement des cotisations, comme il est envisagé pour les dépassements d’honoraires. Car c’est bien avec nos honoraires que nous payons !”. D’autant que, pour lui, la sécurité sociale prend en charge des frais qui devraient être couverts par les assurances.
[Ecoutez le témoignage sonore pour plus de détails]
"Sur ses propres deniers"
L’énormité de la somme de 10 millions d’euros peut faire bondir, mais le Dr Marty relativise. “Ce montant ne me choque pas. Il ne fait que confirmer ce que je pense : on atteindra très probablement les 20 millions d’euros dans d’autres affaires”. En effet, cette somme tient compte de la dépendance maximale de l’enfant mais aussi de son espérance de vie, qui, grâce aux progrès de la médecine, est de plus en plus longue. En tant que co-président du syndicat Le Bloc, le praticien a travaillé sur la réforme de l’assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP) des soignants. Votée dans le cadre de la loi Fourcade, finalisée dans celui de la loi de financement de la sécurité sociale 2012, cette réforme effective depuis quelques mois a notamment mis en place un fonds mutualisé géré par la caisse centrale de réassurance, financé par tous les professionnels de santé libéraux. Elle est censée apporter une solution aux trous de garantie tellement déplorés jusqu’alors, pour les sinistres d’un montant supérieur à 8 millions d’euros.
Néanmoins, dans le cadre de cette condamnation, ce fond ne sera pas utilisé. En effet, le mécanisme d’indemnisation de l’alea ou de la faute médicale remonte à 2002, date de promulgation de la loi dite Kouchner sur l’indemnisation des patients. Avant cette date, les assurances ne couvraient que les opérations et non les plaintes des patients. “En 2001, l’assurance couvrait toutes les conséquences de l’opération jusqu’à la mort du patient, ce qui était logique et beaucoup plus confortable pour les médecins. Un an plus tard, les assurances ont obtenu que l’on change cette règle et que l’assurance couvre le chirurgien à partir de la plainte du patient” explique le Dr Marty.
Au résultat, il appartiendra donc à l’assurance ACE Europe, qui couvrait le chirurgien en 2001, de régler l’intégralité des 10 millions d’euros. Mais l’hypothèse semble peu probable à Nicolas Gombault, le directeur général du Sou médical à la MASCF, l’assureur des professions de santé. “ A l’époque, en 2001, peu de polices proposaient des garanties supérieures à 6 millions d’euros. Je doute fortement que le plafond des indemnités fut illimité cette année-là. Si tel est le cas dans cette affaire, ce sera au chirurgien de verser les quatre millions restants sur ses propres deniers” commente-t-il.
Interpellée par Egora.fr, ACE Europe ne pourra répondre à nos questions avant jeudi prochain… En attendant, Nicolas Gombault prévient : “si ces condamnations interviennent de façons plus fréquentes, il y aura probablement une hausse des cotisations”.
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi