Le Dr Denis Boucq, chirurgien plasticien, a été assigné en justice devant le juge des référés du tribunal de Nice. Il est mis en cause dans la mort de sa patiente, Edwige Ligoneche, décédée d’un lymphome alors qu’elle portait des prothèses PIP. La sœur de la victime lui réclame 322 000 euros. Il s’explique.

 

 

 

Egora.fr : Pourquoi êtes-vous assigné en justice ?

Dr Denis Boucq. Je ne fais pas l’objet d’une plainte, comme cela a été rapporté dans certains journaux, mais d’une procédure en référé qui est également exercée à l’encontre de la clinique Mozart, où j’exerce. C’est  Katia Colombo, la sœur d’Edwige Ligoneche, qui m’accuse. Cette procédure est destinée à obtenir une provision de 37 000 euros sur l’indemnisation des préjudices définitifs qui sont demandés par une assignation sur le fond, qui elle me réclame 322 000 euros, dont 50 000 euros au titre du préjudice d’affectant.

L’audience était prévue le 14 juin dernier. Elle n’a pas eu lieu, parce que Maître Colombani, l’avocate de Katia Colombo, avait omis d’enrôler son assignation. Elle devra donc refaire toute la procédure et je pense que cela devrait avoir lieu aux alentours du 18 juillet. Je n’ai encore rien reçu officiellement.

 

Dans l’affaire PIP, vous êtes le seul chirurgien dont on parle. N’avez-vous pas le sentiment de régler l’addition pour les autres ?

Je rappelle qu’il y a entre 400 000 à 500 000 femmes qui portent des prothèses PIP dans le monde, dont près de 30 000 en France. J’ai été mis dans le jour médiatique parce que j’étais le chirurgien d’Edwige Ligoneche qui est décédée d’un lymphome et qui a présenté également une rupture d’un implant PIP. Il y a beaucoup de femmes qui ont présenté des ruptures d’implants PIP et qui n’ont pas de lymphome. Par ailleurs, beaucoup de femmes portent des prothèses PIP, mais aucune n’a un lymphome. Edwige Ligoneche est le seul cas.

Je pensais être tranquille puisque je fais partie du comité de suivi PIP au ministère de la Santé qui se réunit une fois par mois. J’y raconte l’expérience du chirurgien, puisque j’ai explanté 210 patientes, ce qui représente 420 prothèses. Sur ce total, il y en avait 64 qui étaient rompues. J’ai pu expliquer comment cela se passait. J’ai rencontré, alors que j’étais au ministère, Alexandra Blachère, qui est la présidente de l’Association de défense des porteuses de prothèses PIP (PPP). En discutant avec elle, je lui avais dit que je m’attendais à être assigné par Katia Colombo et son frère.

Le lendemain de la mort d’Edwige Ligoneche, sa soeur avait dit au journal télévisé que j’avais laissé du silicone dans le sein de sa sœur et que je l’avais ainsi condamnée à mort. Ces mots très forts m’avaient fait réagir, car les critiques contre moi étaient véhémentes. Une plainte pour homicide a ensuite été déposée à Marseille et j’ai été surpris de ne pas en faire partie. Alexandra Blachère m’a alors expliqué que Katia Colombo lui avait rapporté que sur son lit de mort, Edwige Ligoneche avait demandé de faire le nécessaire pour assigner PIP, assigner l’Afssaps, mais avait demandé qu’on ne me touche pas, car elle avait beaucoup d’amitié et de confiance en moi.

Lorsque j’ai vu arriver cette assignation j’ai donc été très surpris. J’ai compris lorsque j’ai additionné les préjudices demandés qui arrivaient à 322 000 euros. Je me suis dit que, désormais, Katia Colombo, en faisait une affaire d’argent. Elle anticipe toute la procédure pour homicide qui est engagée à Marseille et qui elle, aurait pu donner des conclusions en disant si oui ou non PIP est pour quelque chose dans la mort de sa sœur. A ce jour, rien n’est prouvé. Toutes les autorités scientifiques, l’Institut national du cancer et le comité scientifique de la commission européenne du cancer ont estimé qu’il n’y a pas de données permettant d’appréhender un risque de lymphome ou de cancer du sein chez les porteuses de prothèses PIP.

 

D’après vous, il n’y a pas de lien entre la mort d’Edwige Ligoneche et les prothèses PIP ?

En tout cas rien n’est prouvé. Il n’y a aucune statistique, aucun argument scientifique qui puisse dire que la prothèse ou le gel PIP ont provoqué ce lymphome. Le médecin de Marseille, l’anapath, a constaté un lymphome développé au contact d’un implant mammaire. Cependant, Maître Colombani s’est saisi de ce rapport en disant qu’il y a un lymphome développé à cause de l’implant PIP, ce qui est différent. Elle a fait un raccourci qui n’existe pas. On ne sait même pas, si, dans la prothèse que j’ai explanté à Edwige Ligoneche en 2009, il s’agit du gel PIP ou du gel Nusil. On va le savoir parce que PIP n’est pas venu me rechercher cette prothèse et que je l’avais conservée. J’ai pu la remettre aux autorités judiciaires. Pour ma part, à l’aspect, je pense qu’il s’agit du gel Nusil, car il n’était pas huileux. Lorsque j’ai opéré Edwige Ligoneche en 2009, j’avais opéré 120 patientes de prothèses PIP de 2001 à 2008. Je n’avais eu qu’un seul problème de rupture. Edwige Ligoneche était la deuxième patiente dans ce cas. Cela reste dans des statistiques normales.

 

Quels autres points allez-vous aborder pour vous défendre ?

Je réponds point par point à tout ce qu’elle me dit. Pour le moment, je pense que Maître Colombani n’a pas encore tout lâché dans la presse, mais j’imagine qu’elle va le faire. Je pense qu’elle préfère faire le jugement médiatiquement plutôt que dans les coulisses des tribunaux. Lorsqu’elle m’attaque en disant que j’ai multi-opéré Edwige Ligoneche, je lui réponds qu’elle a inventé un grand nombre d’opérations. Je lui aurais posé à plusieurs reprises des fils d’or, je n’ai jamais fait ça. Elle dit qu’Edwige Ligoneche a porté trois paires de prothèses différentes, encore une fois, c’est faux. Je lui ai implanté deux prothèses PIP en 2005, puis en 2009, lorsque l’on a changé la prothèse rompue et l’autre de façon systématique en changement sous garantie. En 2009, rien n’avait été découvert quant aux prothèses PIP. Ces prothèses étaient avalisées par le ministère de la santé, avalisées par l’Afssaps… Tout le monde avait mis son tampon, à tel que point tous les centres anticancéreux de France avaient choisi ces prothèses. Moi, Dr Boucq, j’aurais dû savoir ! Tout cela ne tient pas debout. Il sera facile de réfuter ses arguments et c’est ce que je vais faire, point par point.

 

Comment vos patientes explantées réagissent-elles à votre assignation ?

Elles ne m’en parlent pas, ou alors elles me soutiennent. Elles me proposent des lettres de témoignages. J’ai beaucoup de lettres de soutien. Elles sont toutes malheureuses pour moi et elles se demandent si je ne suis pas anéanti, sur les… [ pagebreak ]

genoux. Je les rassure en leur disant que je vais bien. Je ne crains rien, j’ai ma conscience pour moi. Je pense que cela ne doit pas être le cas pour Katia Colombo qui a trahi les dernières volontés de sa sœur.

 

L’avocate, Maître Colombani, dit que ce sera “le procès de la chirurgie esthétique à outrance”, pensez-vous que c’était le cas pour Edwige Ligoneche ?

C’est vrai que lorsque l’on fait la somme des opérations qu’elle a eu auparavant et les miennes, cela fait pas mal d’interventions. C’était une femme qui, à 54 ans, avait un corps parfait. Elle avait certainement fait des erreurs de jeunesse. Elle a eu beaucoup d’interventions qui n’étaient pas réussies et lorsqu’elle m’a connu, elle a arrêté avec tous les autres et m’a fait une confiance aveugle. J’ai réparé peu à peu tout ce qu’elle avait eu et qui n’était pas parfaitement réussi. Je n’ai pas fait d’opérations extraordinaires sur elle qui n’étaient pas justifiées. Elle était à un stade où elle voulait rester belle et lutter contre les effets du temps. Mais elle ne venait pas se faire injecter du botox ou de l’acide hyaluronique tous les six mois. Pour moi, c’était une patiente adorable, nous avions presque des rapports d’amitié. Elle était devenue une patiente normale et raisonnable.

Je pense que Maître Colombani utilise cette addiction contre moi. Elle dit que j’aurais dû voir qu’Edwige Ligoneche avait cette addiction et que j’aurais dû la récuser, mais que j’en ai profité pour gagner de l’argent. Moi je rétorque que si sa sœur, soi-disant si proche d’elle, puisqu’elle demande 50 000 euros de dommages et intérêts pour privation d’affection, soupçonnait une addiction pathologique, je suis étonné qu’elle ne m’ait jamais contacté ni accompagné Edwige Ligoneche lors d’une consultation pour m’en parler. J’ai fait la connaissance de Katia Colombo au journal télévisé, le lendemain de la mort d’Edwige Ligoneche. Avant, je n’avais jamais entendu parler d’elle.

 

Une étude britannique récente démontre que le silicone présent dans les prothèses PIP n’est ni toxique, ni cancérigène. Qu’en pensez-vous ?

Je le pense également. Je me suis installé en 1983 à Nice. C’est à cette époque, par le biais d’un confrère, que j’ai découvert les prothèses PIP qui s’appelaient à l’époque MAP. Les patientes étaient satisfaites, il n’y avait pas de complications. J’ai donc continué à utiliser ces prothèses. En 1995, il y a eu un moratoire sur les prothèses en silicone. Certains pays, dont la France, ont arrêté de poser ces prothèses. Ce n’était pas le cas de pays comme l’Italie ou l’Espagne. Les études faites à travers le monde ont conclu qu’il n’y avait pas de risques dus aux prothèses en silicone. Elles ont donc été  de nouveau autorisées en France en 2001. Mais il y avait une contrainte. PIP n’avait plus le droit de mettre son gel PIP, mais un gel dit de grade médical, contenant moins d’impuretés. Le président de PIP a été confronté à des problèmes de coûts, car les gels médicaux coûtaient 8 à 10 fois plus cher. Il a donc, ni vu, ni connu, décidé de mettre un tiers de médical et deux tiers de PIP dans ses prothèses. Il a en fait remis un gel qui était devenu interdit, mais qui était autorisé avant et sur lequel nous n’avions pas de problèmes.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi