S’il n’est plus considéré comme un trouble mental, le transsexualisme reste un sujet complexe et débattu. Face à la demande des associations, des filières de soins se mettent en place pour instaurer une prise en charge rigoureuse et pluridisciplinaire de ces personnes en mal d’identité. Le Dr Thierry Gallarda, psychiatre membre du service Hospitalo-Universitaire du Pr Krebs à l’hôpital Sainte-Anne de Paris, va entreprendre  une étude autour des liens entre la mémoire autobiographique et la constitution de l’identité de genre.

 

Egora.fr : Qu’entend-on par transsexualisme ?

Dr Thierry Gallarda : Du point de vue des classifications actuelles des troubles mentaux, le transsexualisme appartient au chapitre des troubles d’identité de genre. Sa persistance en tant que trouble et ses contours cliniques font l’objet de discussions au sein des groupes d’experts en charge de la révision de ces classifications (CIM 11 et DSM V). La réflexion semble s’acheminer vers la notion de dysphorie de genre plutôt que celle de trouble qui demeure trop souvent associée à une certaine stigmatisation et ne reflète pas la diversité de ces conditions. En fait, au-delà de la notion de trans-sexualisme qui renvoie directement à celle d’une transition entre les sexes, ce sont de multiples situations auxquelles le corps médical se voit confronté. Pour une majorité d’entre eux, nos consultants expriment néanmoins un désir permanent de modifier leurs caractères sexuels de manière à mettre en accord leur identité de genre avec leur rôle social et leur apparence physique.  

 

Quel est en France le parcours de soins des transsexuels jusqu’à la transformation chirurgicale et le changement d’identité?

Les portes d’entrée dans le système de santé peuvent être assez diverses, liées au degré d’information des personnes sur les modalités de la transition hormono-chirurgicale et à l’offre de soins disponible dans leur bassin de vie.

Chez les plus jeunes ou en région rurale, c’est souvent le médecin généraliste qui est consulté en premier.  Dans ce cas, le médecin de famille a la mission d’accueillir les interrogations, la souffrance, la honte parfois de ressentir ce sentiment de ne pas être venu au monde dans le corps adéquat et d’éprouver ce désir irrépressible de rectifier son anatomie. Son rôle de soutien du patient et de ses proches est déterminant de même que son aide à l’orientation dans un parcours de soin spécialisé. Auprès des populations urbaines, souvent mieux informées, parfois demandeuses d’initier une transition hormonale dans les meilleurs délais, le recours direct aux endocrinologues est assez fréquent. A l’inverse, les psychiatres sont rarement sollicités d’emblée par les personnes dysphoriques de genre. Ils le sont plus fréquemment par des confrères lorsque la demande de transformation émerge chez des personnalités  particulièrement vulnérables sur le plan psychique, atteintes d’un trouble mental chronique (schizophrénie, trouble bipolaire, trouble envahissant du développement…) ou chez celles qui se questionnent sur l’opportunité d’une démarche psychothérapique associée. Les chirurgiens spécialisés dans les interventions de réassignation sexuelle exerçant dans le public sont peu nombreux et ne sont jamais consultés sans avis endocrinologique ou psychiatrique préalable mais ce constat ne s’applique pas aux plasticiens qui proposent une offre moins spécifique (rhinoplastie, mammoplastie…).

Dans tous les cas, les regards croisés de ces trois spécialistes (endocrinologue, chirurgien, psychiatre) sont essentiels afin d’appréhender au mieux : le degré d’autonomie de la personne dans sa prise de décision d’une transformation irréversible de son anatomie, le risque médical (anesthésique, lié aux prises d’hormones au long cours ou à des antécédents spécifiques…) et l’accroissement éventuel du risque de décompensation psychique, en particulier en présence d’antécédents de cet ordre.  A cet égard, dans la plupart des grandes villes de France (Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux…), il  existe des équipes spécialisées regroupées dans le cadre de la SOFECT qui regroupent des chirurgiens urologues ou gynécologues, des endocrinologues, des psychiatres et des psychologues et dans certains cas des juristes. 

 

A quoi êtes-vous attentif en tant que psychiatre ?

Tout au long d’un parcours de soins pluridisciplinaire qui dure généralement entre 1,5 et deux ans, notre mission va être d’évaluer la constance du désir de transformation  (dont il faut rappeler notamment auprès des plus jeunes, qu’elle est irréversible et induit une stérilité définitive), d’accompagner au mieux la souffrance psychique, que cette dernière soit individuelle ou qu’elle soit exprimée par les conjoints ou les familles, d’alerter parfois un patient sur le risque d’aggravation de son état psychique dans les suites opératoires voire de regret lorsque sa demande de changement paraît intriquée aux symptômes d’une affection mentale qui nécessite des soins spécifiques  (par exemple, schizophrénies ou troubles affectifs bipolaires non traités…). Dans ce cas, il est important de favoriser la reprise des soins psychiatriques de proximité en lien avec le médecin traitant et de réévaluer la demande de THC après l’obtention d’une meilleure stabilisation des symptômes. De façon générale, dans ces situations souvent complexes, une ligne directrice sera d’évaluer le plus précisément possible le degré d’autonomie du patient, autrement dit, savoir s’il possède une autonomie psychique suffisante pour évaluer le bien fondé de cette intervention. Si c’est le cas, après réflexion collégiale, il n’y a alors pas de raison de s’opposer à une transformation hormonochirurgicale.

 

Que souhaitez-vous pour l’avenir ?

Les débats théoriques actuels autour des questions de genre sont très fournis au niveau sociétal, philosophique et politique . S’ils l’influencent indubitablement, ils dépassent néanmoins largement le champ de notre pratique médicale. Celle-ci demeure en effet centrée sur les patients désireux d’entamer une transition hormono-chirurgicale dans les conditions optimales de sécurité et de suivi. Après plus d’une quinzaine d’années d’exercice, dans des conditions souvent difficiles, notre équipe ne peut que se réjouir de la réflexion approfondie qui a été menée au cours des dernières années sur ce sujet longtemps demeuré « marginal » dans notre pays autour des filières de soins, des acteurs de santé et des missions spécifiques de chacun. Je fais notamment référence aux travaux de la HAS et plus récemment au rapport de l’Igas paru cette année. Au-delà de cette étape de « synthèse » et de recueil de témoignages qui était incontournable, il s’agit désormais de s’appuyer sur l’expérience des différentes équipes impliquées dans notre pays afin de proposer une offre de soins répondant à des standards d’efficience, de qualité et à une charte éthique.

 

A l’hôpital Sainte Anne où vous exercez doit débuter un ambitieux travail de recherche sur le genre ? Pouvez-vous nous en parler ?

A la faveur d’une collaboration scientifique avec l’équipe du Pr Piolino, dans le cadre d’un Programme Hospitalier de Recherche Clinique (Phrc), nous allons en effet entreprendre  une étude autour des liens entre la mémoire autobiographique et la constitution de l’identité de genre chez des personnes dysphoriques et d’autres qui ne le sont pas. La mémoire autobiographique a été largement impliquée dans la constitution et dans la permanence du sentiment de Soi au cours de la vie. En conciliant une perspective psychologique et neuroscientifique (au moyen d’une imagerie cérébrale fonctionnelle), nous allons essayer de mieux comprendre comment des sujets dysphoriques de genre et d’autres qui ne le sont pas (ou moins) ont pu construire leur sentiment d’identité (d’être une personne de l’autre genre ou d’être une personne dont le genre est en accord avec le sexe biologique) et comment leur mémoire entretient ce vécu permettant une cohérence de soi. L’ensemble des équipes franciliennes proposant une offre de soins psychiatrique et psychologique aux personnes souffrant d’une dysphorie de genre et le département d’imagerie morphologique et fonctionnelle du Chsa (Pr Méder et Oppenheim) sont partenaires de cette recherche.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Dr Catherine Bailly